Page images
PDF
EPUB

traités de vigueur. A bord du cuirassé français Bayard, le 20 octobre 1884. Signé Courbet (1).

Motifs du gouvernement

§ 1849. Il est curieux de voir quels sont les motifs qui ont poussé le gouvernement français à prendre cette mesure; ils sont de deux français. ordres, tactiques et politiques.

Les premiers sont exprimés par l'amiral français qui jugea le blocus nécessaire pour prévenir l'envoi de renforts chinois et empêcher la nouvelle de l'insuccès de Tamsui de se répandre en Chine (2). Les motifs politiques ont été développés à la Chambre des députés française, dans la séance du 26 novembre 1884, par le président du Conseil des ministres :

[ocr errors]

Nous avons pensé que, pour l'efficacité du blocus lui-même, qu'en vue des difficultés que nous pouvons rencontrer au cours de l'exécution, qu'eu égard enfin à la situation particulière des puissances qui ont avec la Chine des relations commerciales, il de très grands avantages à suivre la politique des gages sans déclaration de guerre, à faire la guerre comme nous la faisons, sans recourir à une déclaration préalable.

y avait

« Cette manière de procéder avait à nos yeux trois sortes d'avantages. Le premier c'est de laisser la porte toujours ouverte aux négociations. Le second c'est de laisser subsister l'état conventionnel antérieur. Et enfin, il était d'une sagesse élémentaire de ne pas compliquer notre conflit avec la Chine de différends ou de difficultés avec les puissances neutres. Or la déclaration de guerre, non seulement nous donnait le droit, mais nous imposait en quelque sorte le devoir de nous en prendre au commerce des neutres. Nous avons pensé qu'entre tous les gages celui de Formose était le meilleur, le mieux choisi, le plus facile et le moins coûteux à garder. » « Cette entreprise ne cache aucun dessein de conquête; nous sommes à Formose non en conquérants, mais en créanciers, résolus à nous payer nousmêmes de nos propres mains si on conteste plus longtemps notre droit et à saisir, sous une forme quelconque, la réparation qui nous est due (3). >>

On le voit par l'exposé de ces différents motifs, le blocus de Formose pouvait avoir de l'opportunité comme moyen de représailles tendant à obtenir une réparation. Mais était-il conforme au droit des gens, et la France était-elle fondée à empêcher l'entrée des navires étrangers dans les ports de l'ile?

(1) Journal officiel du 23 octobre 1884.

(2) Livre Jaune, no 107, p. 122 et n° 114, p. 127.

(3) Journal officiel du 27 novembre 1884.

Opinion du

sous-secrétai

re d'Etat pour

les affaires étrangères de la GrandeBretague.

Le gouver nement fran

la prétention

avec la Chine

droit de visite

sur les navires

neutres.

§ 1850. Il fut fait à cette question, dans la Chambre des communes par le sous-secrétaire d'État pour les affaires étrangères de la Grande-Bretagne, la réponse suivante :

« Le gouvernement français a notifié formellement, le 23 octobre, le blocus de l'île de Formose. La France a sans aucun doute le droit de bloquer ces ports et la notification du blocus doit être regardée par les neutres comme une notification de l'état de guerre.

Dans ces circonstances, la France possède tous les droits de la guerre, y compris celui de blocus, si elle désire les exercer elle a donc le droit d'empêcher les navires d'entrer dans les ports bloqués. Mais, en l'absence d'une déclaration formelle de guerre soit par la France, soit par la Chine, le gouvernement anglais a cru nécessaire de se mettre en communication avec le gouvernement français pour écarter tous les doutes relativement à la situation des navires neutres (1). »

Le sous-secrétaire d'Etat anglais reconnaissait donc à la France le droit d'établir le blocus de Formose et d'exiger le respect de ce blocus par les neutres.

Mais ce qu'il n'admet pas, c'est la prétention du gouvernement français de n'être point en état de guerre avec la Chine, prétention qui, après les hostilités de Fou-Tchéou ct de Tamsui, paraissait inexplicable quels que soient d'ailleurs les avantages que pouvait présenter, au point de vue de la politique intérieure française ou des approvisionnements à faire dans les ports anglais de l'Asie, le fait de n'avoir pas ouvertement déclaré la guerre.

§ 1851. Au reste le gouvernement français, en se qualifiant luiçais renonce à même de belligérant, en vint, par là même, à renoncer à soutenir d'ètre en paix cette thèse. Le cabinet anglais ayant mis en vigueur le Foreign et exerce le Enlistment act pour les ports asiatiques, et prescrit que les bâtiments français ne pourraient prendre du charbon et des vivres que pour le prochain port français, M. Ferry écrivit le 24 janvier 1885, à M. Waddington, ambassadeur français à Londres : « Le modus vivendi consacré par la pratique des derniers mois, se trouve évidemment modifié à notre désavantage par les instructions qui viennent d'être envoyées aux autorités des possessions coloniales anglaises. Nos croiseurs ne devant plus rencontrer dans les ports étrangers les facilités qu'ils y ont rencontrées jusqu'à présent, il n'y

(1) Bulmerincq, Journal du Droit international privė, 1884, t. II, pp. 579 et 580.

a plus de raisons pour qu'ils s'abstiennent de soumettre les bâtiments neutres à une exacte surveillance. La situation nouvelle qui leur est faite par une application plus rigoureuse des règles de la neutralité, nous détermine à avancer l'heure que nous aurions choisie pour revendiquer le plein et entier exercice des droits reconnus aux belligérants par la loi internationale (1). »

Le gouvernement français allait donc, conséquence directe du fait qu'il se reconnaissait belligérant, exercer le droit de visite et confisquer les cargaisons constituant contrebande de guerre.

Furent réputés contrebande de guerre non seulement les articles de guerre destinés pour la Chine, mais encore pour Hong-Kong. Bien plus, la France, commme le dit une note du baron de Courcel au gouvernement allemand en date du 23 février « s'est trouvée trouvée amenée, par suite des circonstances particulières, dans lesquelles se poursuivaient les hostilités entre la France et la Chine, à considérer le riz comme contrebande de guerre (2). »

Cette situation se prolongea jusqu'à ce que M. de Freycinet eut donné à l'amiral Courbet l'ordre de lever, le 15 avril, le blocus de Formose.

Protocole et traité défini

§ 1852. Par un protocole du 4 avril, les deux puissances s'engageaient en effet à cesser les hostilités partout, aussi vite que les tif. ordres pourraient être donnés et reçus, et la France consentait à lever immédiatement le blocus de Formose. Elle déclarait en outre ne poursuivre aucun autre but que l'exécution du traité de Tien-Tsin que la Chine s'engageait à ratifier (3). Après de longs pourparlers, toutes les questions de détail furent réglées par un traité de paix, d'amitié et de commerce conclu le 9 juin à Tien-Tsin (4) *.

Telle fut l'issue peu rémunératrice pour la France, de ce long et dispendicux conflit au cours duquel le blocus pacifique de Formose n'intervient que comme un simple procédé de tactique. Considéré en soi et indépendamment des règles encore si mal définies du droit des gens, ce blocus nous apparaît comme une mesure dont, en définitive, l'humanité a profité. Quelque illégale et surprenante qu'ait été, de la part de la France, dans les circonstances où elle s'est élevée, cette prétention de rester en paix avec la Chine tout en bom

(1) Livre jaune. Affaires de Chine, no 3, p. 2.

(2) Voir Contrebande de guerre, TROISIÈME PARTIE, livre IV.

(3) Livre jaune, no 207, p. 224.

(4) Op. cit, n° 281, p. 283.

Bulmerincq, Journal du Droit international privé, 1884, t. XI, pp. 579 et seq.; Geffcken, Revue de droit intern., 1885, t. XVII, pp. 145 et seq.

1886.

Blocus des

Grèce.

bardant ses ports et en bloquant ses côtes, il est positif que l'un et l'autre peuples lui en sont redevables d'avoir échappé à toutes les calamités qu'eussent sûrement entraînées les longueurs et les vicissitudes d'une guerre complète si lointaine.

§ 1853. Si le blocus de Formose, ne se légitimant que par des côtes de la considérations d'utilité pratique, ne peut fournir des données et des principes à la science du droit des gens, il en est tout autrement de celui qu'il nous reste à exposer ici.

Armements

de la Grèce.

Le blocus des côtes de la Grèce en 1886 est en effet, malgré les réserves que l'on doit faire sur sa légitimité, le seul à mériter, par son exécution, cette épithète de pacifique qui, appliquée aux blocus précédents, semble une contradiction.

En septembre 1885, la nation hellénique, déçue déjà par la convention de 1882, dans les espérances d'agrandissement fondées par elle sur le traité de Berlin et ses annexes, témoigna la plus vive agitation lorsque parvint à Athènes la nouvelle de la révolution de Philippopoli.

§ 1854. Aux yeux des Grecs, tolérer, sans compensation équivalente, une expansion si considérable de la race slave dans la presqu'ile des Balkans, c'était souscrire à l'anéantissement des destinées futures de l'Hellénisme. L'opinion publique surexcitée réclamait du gouvernement une prompte intervention armée dans le but de faire profiter la Grèce du trouble causé par les événements de Roumélie, ou tout au moins de forcer la Porte à lui concéder la ligne de frontière promise en 1881. Le ministère Delyannis, cédant à la pression générale, prépara des armements compromettant au plus haut degré le maintien de la paix en Orient. Alarmées par ces menaces de guerre, les grandes puissances jugèrent nécessaire d'intervenir. Après d'inutiles démarches communes ou particulières auprès du gouvernement hellénique, l'Italie, la France, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Russie et la GrandeBretagne lui firent la déclaration suivante : « En vue de l'absence de tout motif légitime de guerre de la part de la Grèce contre la Turquie, et du préjudice qu'une pareille guerre porteraient aux intérêts pacifiques, et notamment au commerce d'autres nations, aucune attaque navale de la Grèce contre la sublime Porte ne saurait être admise. »

Loin d'apaiser l'humeur guerrière de la nation et du gouvernement grecs, cette déclaration des puissances ne fit que surexciter les esprits. Fort de la sanction donnée à sa politique par les Chambres dans la séance du 25 octobre, M. Delyannis fit aux puissances, le 2 février, cette réponse peu propre à calmer les inquié

tudes : ... « Le gouvernement yal croit devoir décliner la responsabilité des conséquences d'un conflit éventuel. Toutefois le gouvernement royal ne croit pas devoir dissimuler qu'il considérerait tout obstacle apporté à la libre disposition de ses forces navales, comme imcompatible avec l'indépendance de l'Etat et les droits de la couronne, et en même temps comme préjudiciable aux intérêts politiques du pays. »

Devant cette attitude belliqueuse, l'embarras des puissances était grand; contraindre la Grèce au désarmement par une démonstration navale collective, c'était courir les risques d'une catastrophe pareille à celle de Navarin : l'on cherchait un moyen à la fois aussi efficace et inoffensif que possible. La France, qui d'ailleurs refusa de prendre part à l'exécution de mesures coercitives contre la Grèce, fit, à différentes reprises, auprès du gouvernement hellénique les démarches les plus pressantes par le moyen de son ministre à Athènes, M. de Mouy. De plus, le 23 avril, M. de Freycinet adressait à M. Delyannis une dépêche dont l'habile éloquence eut pour effet de décider le gouvernement hellénique à adhérer aux conseils de la France. « Rendez-vous, disait-il, à l'évidence. Ecoutez la voix d'une puissance amie. Suivez des conseils qui n'ont rien de blessant pour votre amour-propre. Prenez, pendant qu'il en est temps encore, une initiative dont vous êtes les maîtres et dont vous aurez tout le mérite. »

§ 1855. Au lieu de notifier officiellement ses nouvelles inten- Ultimatum des puissantions, M. Delyannis se contenta de les exprimer au comte de ces. Mouy, dans une lettre particulière, et d'en adresser,le 26 avril, une copie aux représentants des puissances. Le même jour, ceux-ci, sans tenir compte de ce procédé inusité et dépourvu de caractère officiel, adressèrent au gouvernement hellénique leur ultimatum invitant le Cabinet d'Athènes « à mettre les forces helléniques de terre et de mer sur le pied de paix dans le plus bref délai et à leur donner l'assurance dans le courant d'une semaine, à dater de la présente déclaration, que des ordres conformes avaient été promulgués ».

du blocus.

§ 1856. Cet ultimatum n'ayant pas atteint son but, les représentants Notification d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie, de la Grande-Bretagne, d'Italie et de Russie firent, le 8 mai, au gouvernement hellénique la communication suivante :

« La réponse du Cabinet d'Athènes à la note collective des 14 et 26 avril, n'étant pas de nature à satisfaire les puissances, les gouvernements sus-mentionnés ont donné ordre aux commandants de

« PreviousContinue »