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a plus de raisons pour qu'ils s'abstiennent de soumettre les bâtiments neutres à une exacte surveillance. La situation nouvelle qui leur est faite par une application plus rigoureuse des règles de la neutralité, nous détermine à avancer l'heure que nous aurions choisie pour revendiquer le plein et entier exercice des droits reconnus aux belligérants par la loi internationale (1). »

Le gouvernement français allait donc, conséquence directe du fait qu'il se reconnaissait belligérant, exercer le droit de visite et confisquer les cargaisons constituant contrebande de guerre.

Furent réputés contrebande de guerre non seulement les articles de guerre destinés pour la Chine, mais encore pour Hong-Kong. Bien plus, la France, commme le dit une note du baron de Courcel au gouvernement allemand en date du 23 février « s'est trouvée trouvée amenée, par suite des circonstances particulières, dans lesquelles se poursuivaient les hostilités entre la France et la Chine, à considérer le riz comme contrebande de guerre (2).

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Cette situation se prolongea jusqu'à ce que M. de Freycinet eut donné à l'amiral Courbet l'ordre de lever, le 15 avril, le blocus de Formose.

Protocole et

traité défini

§ 1852. Par un protocole du 4 avril, les deux puissances s'engageaient en effet à cesser les hostilités partout, aussi vite que les tif. ordres pourraient être donnés et reçus, et la France consentait à lever immédiatement le blocus de Formose. Elle déclarait en outre ne poursuivre aucun autre but que l'exécution du traité de Tien-Tsin que la Chine s'engageait à ratifier (3). Après de longs pourparlers, toutes les questions de détail furent réglées par un traité de paix, d'amitié et de commerce conclu le 9 juin à Tien-Tsin (4) *.

Telle fut l'issue peu rémunératrice pour la France, de ce long et dispendicux conflit au cours duquel le blocus pacifique de Formose n'intervient que comme un simple procédé de tactique. Considéré en soi et indépendamment des règles encore si mal définies du droit des gens, ce blocus nous apparaît comme une mesure dont, en définitive, l'humanité a profité. Quelque illégale et surprenante qu'ait été, de la part de la France, dans les circonstances où elle s'est élevée, cette prétention de rester en paix avec la Chine tout en bom

(1) Livre jaune. Affaires de Chine, no 3, p. 2.

(2) Voir Contrebande de guerre, TROISIÈME PARTIE, livre IV.

(3) Livre jaune, no 207, p. 224.

(4) Op. cit, no 281, p. 283.

Bulmerincq, Journal du Droit international privé, 1884, t. XI, pp. 579 et seq.; Geffcken, Revue de droit intern., 1885, t. XVII, pp. 145 et seq.

1886.

Blocus des

Grèce.

bardant ses ports et en bloquant ses côtes, il est positif que l'un et l'autre peuples lui en sont redevables d'avoir échappé à toutes les calamités qu'eussent sûrement entraînées les longueurs et les vicissitudes d'une guerre complète si lointaine.

§ 1853. Si le blocus de Formose, ne se légitimant que par des entes de la considérations d'utilité pratique, ne peut fournir des données et des principes à la science du droit des gens, il en est tout autrement de celui qu'il nous reste à exposer ici.

Armements

de la Grèce.

Le blocus des côtes de la Grèce en 1886 est en effet, malgré les réserves que l'on doit faire sur sa légitimité, le seul à mériter, par son exécution, cette épithète de pacifique qui, appliquée aux blocus précédents, semble une contradiction.

En septembre 1885, la nation hellénique, déçue déjà par la convention de 1882, dans les espérances d'agrandissement fondées par elle sur le traité de Berlin et ses annexes, témoigna la plus vive agitation lorsque parvint à Athènes la nouvelle de la révolution de Philippopoli.

§ 1854. Aux yeux des Grecs, tolérer, sans compensation équivalente, une expansion si considérable de la race slave dans la presqu'ile des Balkans, c'était souscrire à l'anéantissement des destinées futures de l'Hellénisme. L'opinion publique surexcitée réclamait du gouvernement une prompte intervention armée dans le but de faire profiter la Grèce du trouble causé par les événements de Roumélie, ou tout au moins de forcer la Porte à lui concéder la ligne de frontière promise en 1881. Le ministère Delyannis, cédant à la pression générale, prépara des armements compromettant au plus haut degré le maintien de la paix en Orient. Alarmées par ces menaces de guerre, les grandes puissances jugèrent nécessaire d'intervenir. Après d'inutiles démarches communes ou particulières auprès du gouvernement hellénique, l'Italie, la France, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Russie et la GrandeBretagne lui firent la déclaration suivante : « En vue de l'absence de tout motif légitime de guerre de la part de la Grèce contre la Turquie, et du préjudice qu'une pareille guerre porteraient aux intérêts pacifiques, et notamment au commerce d'autres nations, aucune attaque navale de la Grèce contre la sublime Porte ne saurait être admise. »

Loin d'apaiser l'humeur guerrière de la nation et du gouvernement grecs, cette déclaration des puissances ne fit que surexciter les esprits. Fort de la sanction donnée à sa politique par les Chambres dans la séance du 25 octobre, M. Delyannis fit aux puissances, le 2 février, cette réponse peu propre à calmer les inquié

tudes... « Le gouvernement oyal croit devoir décliner la responsabilité des conséquences d'un conflit éventuel. Toutefois le gouvernement royal ne croit pas devoir dissimuler qu'il considérerait tout obstacle apporté à la libre disposition de ses forces navales, comme imcompatible avec l'indépendance de l'Etat et les droits de la couronne, et en même temps comme préjudiciable aux intérêts politiques du pays. »

Devant cette attitude belliqueuse, l'embarras des puissances était grand; contraindre la Grèce au désarmement par une démonstra→ tion navale collective, c'était courir les risques d'une catastrophe parcille à celle de Navarin l'on cherchait un moyen à la fois aussi efficace et inoffensif que possible. La France, qui d'ailleurs refusa de prendre part à l'exécution de mesures coercitives contre la Grèce, fit, à différentes reprises, auprès du gouvernement hellénique les démarches les plus pressantes par le moyen de son ministre à Athènes, M. de Mouy. De plus, le 23 avril, M. de Freycinet adressait à M. Delyannis une dépêche dont l'habile éloquence eut pour effet de décider le gouvernement hellénique à adhérer aux conseils de la France. « Rendez-vous, disait-il, à l'évidence. Ecoutez la voix d'une puissance amie. Suivez des conseils qui n'ont rien de blessant pour votre amour-propre. Prenez, pendant qu'il en est temps encore, une initiative dont vous êtes les maîtres et dont vous aurez tout le mérite. »>

des puissan

§ 1855. Au lieu de notifier officiellement ses nouvelles inten- Ultimatum tions, M. Delyannis se contenta de les exprimer au comte de ces. Mouy, dans une lettre particulière, et d'en adresser,le 26 avril, une copie aux représentants des puissances. Le même jour, ceux-ci, sans tenir compte de ce procédé inusité et dépourvu de caractère officiel, adressèrent au gouvernement hellénique leur ultimatum invitant le Cabinet d'Athènes « à mettre les forces helléniques de terre et de mer sur le pied de paix dans le plus bref délai et à leur donner l'assurance dans le courant d'une semaine, à dater de la présente déclaration, que des ordres conformes avaient été promulgués ».

du blocus.

§ 1856. Cet ultimatum n'ayant pas atteint son but, les représentants Notification d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie, de la Grande-Bretagne, d'Italie et

de Russie firent, le 8 mai, au gouvernement hellénique la communication suivante :

« La réponse du Cabinet d'Athènes à la note collective des 14 et 26 avril, n'étant pas de nature à satisfaire les puissances, les gouvernements sus-mentionnés ont donné ordre aux commandants de

mis

le

M. Dragou

ordonne

ment des trou

pes.

leurs escadres combinées d'établir un blocus sur les côtes de la Grèce contre tout navire sous pavillon grec.

« Ce blocus deviendra effectif à partir de la date de la présente déclaration. Il s'étendra du cap Malée jusqu'au cap Colonne, et de là jusqu'à la frontière septentrionale de la Grèce, y compris l'île d'Eubée et comprendra aussi, sur la côte occidentale, l'entrée du golfe de Corinthe.

<«< Tout navire sous pavillon grec, qui essayerait de forcer ce blocus s'exposerait à être détenu. »

Le blocus ne devint effectif qu'à partir du 13 mai; le déploiement de force était considérable : l'escadre anglaise comptait à elle seule 19 vaisseaux, dont deux navires à tourelles de 9,310 et 10,820 tonnes, et trois cuirassés de 8,540, 9,170 et 9,200 tonnes. Aucune résistance n'était possible de la part de la Grèce M. Delyannis sc retira et fut remplacé par un ministère Tricoupi, favorable au désarmement, qui rencontra dans les Chambres une importante majorité.

Cependant des conflits éclataient sur la frontière gréco-turque aux environs de Tyrnavo. M. Dragoumis, ministre des affaires étrangères, les signala, tout en protestant, par un télégramme du 22 mai, aux puissances «< auxquelles, disait-il, il a plu de rccourir à une pareille mesure à notre égard, ayant en même temps jugé bon de laisser de l'autre côté une entière liberté de mouvements tant sur terre que sur mer; les entraves apportées à la défense acquièrent un degré d'iniquité qui ne demande pas a être relevé. »

§ 1857. Toutefois, le 31 mai, un nouveau télégramme de M. Dralicencie goumis, en renouvelant ses protestations contre l'appui prêté à la Porte pendant les cinq jours du conflit gréco-turc, informe les puissances des mesures que le gouvernement hellénique, « animé de sentiments pacifiques et fondant sa politique sur l'entretien des relations de bon voisinage avec l'Empire Ottoman » a prises dans le but d'opérer promptement le licenciement des troupes.

C'était donner en fait satisfaction à l'ultimatum des puissances, mais M. Dragoumis affectait de n'en pas reconnaître la légitimité « Il ne rentre pas dans le cadre de cette communication de procéder à l'examen des considérations qui ont amené les grandes puissances à user d'une mesure coercitive à l'égard de la Grèce. Mais il est évident que le danger des préparatifs militaires de la Grèce une fois écarté, la continuation ultérieure d'une pression qui a déjà provoqué nos réclamations, est

dorénavant dépourvue des raisons mêmes que les grandes puissances lui ont assignées. >>

Le 7 juin seulement, les puissances, prenant acte des assurances pacifiques du cabinet d'Athènes, lui notifièrent que les commandants des escadres combinées avaient reçu l'ordre de lever le blocus des côtes de la Grèce *.

publicistes:

§ 1858. Les blocus pacifiques ont été très différemment appréciés Opinions des par les publicistes. Bon nombre de ceux qui leur sont opposés se basent sur le fait qu'ils constituent purement et simplement un acte de guerre. Tel est l'avis de Pistoye et Duverdy qui s'ex- Pistoye et priment en ces termes :

« Pour nous qui considérons la réalité des choses, qui ne reconnaissons les blocus que lorsqu'ils sont réels et effectifs, la guerre existe lorsqu'un blocus réel et effectif est établi contre une nation. En effet, l'établissement d'un blocus, étant l'emploi de la force par une puissance contre une autre puissance, est un acte d'hostilité qui constitue en état de guerre l'une contre l'autre la nation bloquante et la nation bloquée. Il arrive souvent qu'une puissance de premier ordre, lorsqu'elle a à demander une satisfaction à une puissance secondaire, se borne à bloquer ses ports sans lui déclarer positivement la guerre. On n'a pas déclaré la guerre, mais on la fait réellement; seulement, comme on est le plus fort, on n'emploie pas tous les moyens d'attaque dont on pourrait disposer; on ne fait la guerre que dans la mesure de ses conve

nances. »

Fauchille considère le blocus pacifique comme un acte d'hostilité parfaitement caractérisé; « un blocus exécuté sans déclaration de guerre préalable est un acte de brigandage; les nations ne doivent en tenir aucun compte: le respecter serait se rendre complice d'un attentat odieux contre le peuple attaqué.

« En réalité ce n'est pas la guerre que les puissances veulent éviter en usant du blocus pacifique, ce sont les inconvénients de la guerre; ce sont des considérations d'intérêt et nullement des considérations d'humanité qui engagent les peuples à se servir de ce moyen de contrainte.

* Διπλωματικα εγγραφα Κατατεθέντα εις την βουλην ύπο του επι των εξωτερικων Vroup You, Ev Anvar 1886; Rolin-Jaequemyns, Revue de droit international, 1886, vol. XVIII, pp. 591 et seq.; Saripoulos, Revue de droit international et de législation comparée, 1879, t. XI, pp. 119-143; Revue du droit int., 1881, t. XIII, p. 231; Arntz, Revue du droit int. t. XIII, p. 244; Livre jaune du 16 mai 1886, sur les affaires de Roumélie et de Grèce.

Duverdy.

Fauchille.

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