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fille à qui nous avons disputé sa place. Pour le groupe de Niobé même et les autres statues, Mr. Cockerell soutient qu'elles sont de marbre Pentélique ; et puisqu'il a visité cette carrière, qu'il a vu en Grèce une foule d'ouvrages d'architecture et de sculpture qui en sont tirés, son opinion est de quelque poids. Cependant un sculpteur fort expérimenté dans les marbres de Carrare, en examinant avec moi le groupe de Niobé, fut frappé de la ressemblance du marbre avec celui de Carrare. A l'exception du marbre de Paros qu'on reconnoît au premier abord, on ne peut pas toujours définir avec certitude l'espèce du marbre, en le voyant poli et travaillé il faut le voir dans la brisure. Il faudroit détacher un petit morceau de la plinthe, et le faire analyser par des experts.

Les carrières de Luna n'ayant été découvertes que peu de temps avant Auguste, quand un ouvrage ancien est de marbre de Carrare, il est clair qu'il a été fait sous les Empereurs romains. Mais il n'est pas aussi évident que les antiques de marbre grec, qu'on trouve en Italie, ayent été faites en Grèce et à une époque antérieure. Tous les marbres devoient arriver à Rome de loin et par mer; on pouvoit donc en faire venir de la Grèce, tout aussi bien qu'on y transportoit des colonnes de l'Afrique et de l'Egypte.

Il existe des répétitions de plusieurs de ces treize figures de la famille de Niobé qu'on a trouvées ensemble, et ces différens exemplaires ne leur sont pas inférieurs au point qu'on puisse dire: voilà l'original et voilà la copie. A Florence même deux des fils se trouvent doubles; le fils expirant se voit à Dresde; le fragment du fils aîné dans le musée Pie-Clémentin est aussi une répétition. Winckelmann cite une tête de Niobé, moulée en plâtre d'après un marbre perdu, d'un dessin plus arrondi, du reste ressemblant à la nôtre. Tout cela porte à croire que ces morceaux, aussi bien que la collection

complète, sont des copies de cet illustre original dont parle Pline. C'est la seule grande composition en sculpture de la fable de Niobé dans l'ancienne Rome, dont nous ayons connoissance; la collection de Florence fut trouvée à Rome même, et toutes les pièces relatives à la fable de Niobé qu'on a découvertes séparément, se rapportent à la même composition.

Quand même le monument que nous voyons, ne seroit qu'une copie de cet original qu'on attribuoit à Scopas ou à Praxitèle,il n'en resteroit pas moins infiniment précieux. La Grèce a produit encore d'excellens artistes originaux sous les Empereurs romains, depuis Auguste jusqu'à Marc-Aurèle; à plus forte raison elle aura fourni de bons copistes. Dans les statues de Niobé et de sa famille, en tant qu'elles n'ont pas été endommagées, le marbre est traité avec la plus grande franchise; il n'y a rien de timide ni d'indécis, les mouvemens sont vigoureux, les figures principales sont de la plus noble beauté. Le copiste avoit donc saisi à merveille l'esprit de son modèle; et, si ce que nous voyons est une copie, c'est une copie excellente d'un original sublime. Si l'imagination de Mengs pouvoit aller au-delà en fait de belles têtes de femmes, je l'en félicite : il ne l'a pas prouvé au moins par ses ouvrages.

On sera encore moins porté à dédaigner les bonnes copies, pour peu qu'on se fasse une idée précise de ce que c'est qu'un original. Faut-il, pour qu'un ouvrage mérite ce nom, qu'il aît été travaillé tout entier des mains de son auteur ? Non, assurément. En sculpture, il y a beaucoup de travaux préparatoires que les sculpte urs anciens faisoient faire sans doute par des ouvriers, comme le pratiquent les sculpteurs de nos jours. En outre, les célèbres sculpteurs de la Grèce formoient de nombreux élèves qui travailloient à leurs atteliers. Il est à croire que les maîtres auront terminé avec un soin extrême quelques ouvrages favoris, sur lesquels ils fon

doient principalement leurs titres à la gloire. Mais quand il s'agissoit d'une vaste composition, destinée à la décoration d'un édifice, et qui par conséquent devoit être vue à distance, îl est à présumer que les maîtres faisoient les dessins et les modèles, et qu'ensuite ils confioient l'exécution en grande partie à leurs écoliers. La fécondité que les anciens attribuent à ces grands artistes, ne seroit pas concevable autrement. Plusieurs peintres du seizième siècle ont suivi un systême semblable. Nombre de tableaux passent avec raison pour des originaux de Raphaël, quoiqu'ils ayent été peints, d'après ses cartons et sous ses yeux, par Périn del Vaga, Francesco Penni et Jules Romain, et que lui-même n'y aît retouché que quelques parties principales.

Les nouveaux commentateurs de Winckelmann (r) reconnoissent le groupe de Niobé, et la plupart des autres statues, pour des originaux, mais ils ne veulent les attribuer ni à Scopas ni à Praxitèle, qui furent contemporains. Selon eux, la sévère simplicité, qui règne dans cet ouvrage, porte l'empreinte d'un temps plus ancien. Ils se fondent principalement sur les statues que l'on considère, avec quelque probabilité, comme des imitations de ces deux maîtres: l'Apollon Sauroctone, le jeune Faune qui s'appuye, la Vénus Médicis, de Praxitèle; la Néréïde de Florence, la Bacchante en basrelief de la Villa Borghèse, de Scopas. J'observerai ici qu'nne imitation diffère essentiellement d'une copie. Dans les copies on s'efforçoit sans doute de rester fidèle au style de l'original; dans les imitations, l'artiste se prévaloit de la conception heureuse d'un grand maître ; mais l'exécution pouvoit être modifiée par son propre talent et le goût de ses contemporains. Gardons - nous de nous figurer la Grâce de Praxitèle trop mignonne.

(1) MM. Meyer et Schulze, Œuvres de Winckelmann ; édit. de Dresde. Vol. VI, note. 297.

Depuis que les arts ont commencé à fleurir en Grèce jusqu'au temps d'Alexandre-le-Grand, il y a eu une progression constante de l'austérité du style simple et sublime vers l'élégance, la grâce, les proportions sveltes et le dessin moelleux. Cependant, d'après tout ce que nous savons, les ouvrages de cette époque ont généralement porté un grand caractère. En conséquence, je ne vois aucune difficulté pour admettre que l'original de notre Niobé étoit postérieur à Phidias, et antérieur à Lysippe, ce qui est précisément l'époque de Scopas et de Praxitèle.

L'abbé Zannoni remarque judicieusement que, puisque les anciens doutoient déjà à qui de ces deux fameux artistes il falloit attribuer la Niobé, nous n'avons guère de moyens de décider la question. Il paroit que Praxitèle se plaisoit dans l'imitation de la jeunesse et de la beauté calme; on cite, au contraire, plusieurs ouvrages de Scopas d'une expression vive et passionnée. Néanmoins une épigramme de l'anthologie attribue expressément une Niobé à Praxitèle. Ce qui pourroit jeter un petit poids dans la balance en favenr de Scopas, si l'on admet la supposition de Mr. Cockerell, c'est que Scopas étoit en même temps architecte et sculpteur : il pouvoit donc avoir l'occasion d'orner, par une vaste composition, un temple construit par lui-même. Nous savons qu'il a représenté la chasse du sanglier calydonien, et le combat d'Achille et de Télèphe dans les frontons du temple de Minerve à Tégée.

Si jamais la Grèce est délivrée des barbares qui l'oppriment, si jamais cette belle contrée est rendue à la civilisation européenne, l'histoire des arts en recevra aussi un nouveau jour. Les fouilles heureuses, entreprises par cette société de voyageurs dont Mr. Cockerell faisoit partie, prouvent que l'on peut espérer encore beaucoup de découvertes importantes. Il est à désirer que Mr. Cockerell veuille bientôt publier ses dessins et ses observations sur les monumens de la Grèce.

A. W. DE SCHLEGEL.

BIOGRAPHIE.

MEMOIRS OF THE, etc. C'est-à-dire, Mémoires de la vie privée et publique de Guillaume PENN, par Thomas CLARKSON, M. A. Londres 1813, 2 vol. in-8.° d'environ 500 pages.

(Troisième et dernier extrait. Voy. pag. 152 du vol. précéd.)

G. PENN avoit été honorablement acquitté; rien désormais ne sembloit devoir s'opposer au désir qu'il avoit de revoir la Pensylvanie. Mais d'autres considé rations le retinrent. Il venoit de perdre sa femme, et ne pouvoit se résoudre à laisser ses enfans privés de leur mère, sans guide et sans appui. Il employa le loisir que lui procura ce changement de résolution à la compo-, sition de divers ouvrages, dont un étoit destiné à faire T'histoire des quakers et à exposer leurs principes; un autre s'adressoit aux Juifs et les invitoit, d'une manière douce et fraternelle, à se réunir à la société chrétienne; un troisième contenoit la relation de son voyage én Hollande et en Allemagne en 1677.

A peu près dans le même temps il eut deux sujets de contentement; le premier fut une pleine, réconciliation avec sa secte, de qui l'on se rappelle qu'il avoit reçu quelques reproches mal fondés auxquels il avoit été sensible; le second fut l'acte qui le rétablit dans le gouvernement de la Pensylvanie. Cet acte, conçu en termes honorables pour lui, émanoit du roi Guillaume, qui avoit rendu justice au mérite de Penn et reconnu combien il étoit nécessaire à la colonie qu'il avoit fondée. L'estime générale ne tarda pas à s'attacher à lụi ;

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