Page images
PDF
EPUB

bition absolue. Mais la logique a tort quand elle est contraire à la loi; or, l'article 1341 pose une règle générale à laquelle l'article 1715 ne déroge que partiellement lorsque le bail verbal n'a pas encore été exécuté; et l'article 1716 n'y déroge que pour la preuve du prix lorsque le bail a eu un commencement d'exécution; donc, dans tous les autres cas, le droit commun reste applicable. C'est la doctrine consacrée par la jurisprudence (1).

85. Nous avons supposé que la contestation portait sur la durée du bail. Le même principe s'applique aux autres conditions du contrat. Cela est admis, même par les auteurs qui rejettent la preuve testimoniale de la durée du bail. Les textes, qui rendent la question douteuse quand le débat a pour objet la durée du bail, n'ont rien de commun avec les autres clauses du contrat; or, dans le silence de la loi, on reste sous l'empire du droit commun. Il faut donc appliquer aux conditions du bail, autres que le prix, ce que nous venons de dire de la durée du bail (no 84).

86. Il reste une difficulté qui se présente dans les divers cas où la preuve testimoniale est admise en vertu de l'article 1341. La règle est qu'il doit être passé acte de toutes choses excédant la somme ou valeur de 150 francs. Quand cette limite est-elle dépassée en matière de bail? C'est au moment où le contrat se fait que les parties doivent savoir si elles sont tenues de dresser un écrit de leurs conventions, en ce sens qu'elles ne seront pas admises à les prouver par témoins. Il faut donc calculer le montant pécuniaire du bail, c'est-à-dire le prix de la chose louée pendant toute la durée du contrat : telle est, en effet, la convention dont il faudra administrer la preuve. Le chiffre qui décide de l'admission de la preuve testimoniale n'est pas la valeur du fonds loué, ce n'est pas cette valeur qui fait l'objet du bail, c'est la jouissance, et la jouissance est représentée par le prix. Nous disons le

(1) Bruxelles, 10 septembre 1827 (Pasicrisie, 1827, p. 283). Rejet, car de cassation de Belgique, 28 mars 1837 (Pasicrisie, 1837, 1, 74). Vo z la jurisprudence française dans Aubry et Rau, t. IV, p. 468, noté 15 e dans le Répertoire de Dalloz, au mot Louage, nos 141-143.

prix, et non le loyer pendant une année; l'article 1715 le dit la jouissance que le bailleur promet au preneur, et que celui-ci paye, n'est pas bornée à une année; elle comprend toute la durée du bail; c'est donc le prix tout entier qui forme la chose, d'après la vague expression de l'article 1341, et c'est d'après ce prix que l'on décidera si la preuve testimoniale peut être admise. La doctrine et la jurisprudence sont en ce sens (1).

II. Deuxième hypothèse Le commencement d'exécution du bail

est contesté.

87. L'une des parties prétend que l'exécution du bail a commencé, l'autre le nie. Celle qui nie le commencement d'exécution, nie par cela même l'existence du bail; c'est donc à celle qui soutient qu'il y a un bail à en faire la preuve. On demande si elle sera admise à prouver par témoins les faits d'exécution qu'elle allègue pour en induire que le bail existe. La cour de cassation s'est prononcée pour la négative; cette solution est, à notre avis, fondée sur les vrais principes. Lorsque le bail dépasse la somme de 150 francs, il n'y a aucun doute. En effet, la règle est la prohibition de la preuve testimoniale quand la chose litigieuse excède cette valeur; il faudrait donc une exception à la prohibition pour que la preuve testimoniale fût admissible, à l'effet de prouver l'existence d'un bail verbal, en prouvant les prétendus faits d'exécution; or, l'article 1716, qui parle du bail verbal dont l'exécution a commencé, suppose que le fait de l'exécution est constant (n°77); si l'exécution est contestée, l'existence même du bail est douteuse; et quand le bail verbal n'a pas reçu une exécution incontestée, on se trouve dans le cas de l'article 1715, lequel prohibe la preuve testimoniale du bail, quelque modique qu'en soit le prix. Donc, au lieu d'une disposition extensive de l'article 1341, nous avons une disposition restrictive. qui aggrave la prohibition en

(1) Duvergier, t. I, p. 17, no 15. Aubry et Rau, t. IV, p. 467, note 13, §361. Voyez la jurisprudence dans le Répertoire de Dalloz, au mot Louage, no 133.

la rendant absolue. Il suit de là qu'il n'y a pas à distinguer si le prix du bail excède ou non la valeur de 150 francs. L'objet du débat étant de prouver l'existence d'un bail verbal, il faut appliquer l'article 1715, qui rejette la preuve par témoins (1).

On objecte que les faits d'exécution d'un bail sont des faits matériels, lesquels se prouvent toujours par témoins, quel que soit le montant pécuniaire du litige: tel est le fait de cultiver la terre s'il s'agit d'un bail à ferme, ou le fait d'avoir introduit dans une maison des meubles pour la garnir quand il s'agit d'un bail à loyer. Ces faits, par eux-mêmes, n'engendrent ni droit ni obligation, ce sont des faits purs et simples auxquels ne s'applique pas l'article 1341; ils se prouvent par témoins indéfiniment, sans considérer quelle est la valeur du litige. La preuve de ces faits restant en dehors de l'article 1341, on ne peut plus invoquer l'article 1715, qui déroge à cette disposition; on reste donc sous l'empire du droit commun, qui admet toujours la preuve par témoins des faits matériels (2). L'objection est sérieuse; voici ce que la cour de cassation y répond: L'article 1715 interdit la preuve testimoniale d'un bail verbal qui n'a encore reçu aucune exécution, quelle que soit la modicité du prix. Quand peut-on dire d'un bail qu'il n'a reçu aucune exécution? Dès que la prétendue exécution alléguée par l'une des parties est niée par l'autre. Donc il faut rejeter la preuve testimoniale des faits contestés, car admettre à prouver par témoins des faits considérés comme commencement d'exécution d'un bail verbal, pour en induire l'existence de ce bail, ce serait admettre la preuve testimoniale d'un bail verbal, ce que l'article 1715 interdit formellement (3). » A notre avis, la réponse est péremptoire. La cour de cassation ne

(1) Aubry et Rau, t. IV, p. 468, note 17, § 364, et les autorités qu'ils citent.

(2) Duranton, t. XVII, p. 37, no 56. Troplong, no 113. Mourlon, t. III, n° 737.

992

sation. 14 janvier 1840 (Dalloz, au mot Louage, no 131), après de chambre du conseil, et sur les conclusions contraires de dence fra oire de Da--1102, 1864, 1. 142). Tarbé. Rejet, 3 janvier 1848 (Dalloz, 1848, 1, 28). Cassation,

parle pas de la distinction des faits matériels et des faits juridiques; elle n'avait pas besoin de distinguer, et elle n'en avait pas le droit, car elle se trouvait en présence d'un texte absolu qui prohibe la preuve testimoniale d'un bail verbal dont l'exécution est contestée et dont, par suite, l'existence est incertaine; l'article 1715 décide la question.

Les arrêts de cassation que la cour suprême prononce prouvent que l'incertitude règne toujours dans la jurisprudence sur les principes qui gouvernent la matière. Il en est de même de la jurisprudence des cours de Belgique. Un arrêt de Liége admet la preuve testimoniale des faits d'exécution, en se fondant sur ce que ces faits ne sont pas de nature à être prouvés autrement que par témoignages(1). Cela est vrai, mais la question est de savoir si la loi admet la preuve testimoniale de ces faits pour en induire l'existence d'un bail verbal; or, l'article 1715 décide le contraire. C'est ce que dit la cour de Bruxelles dans un arrêt rendu en sens contraire; la preuve des faits d'exécution constituerait la preuve du bail verbal par témoins; elle violerait donc l'article 1715 (2).

88. De ce que la preuve testimoniale est prohibée, faut-il conclure que les faits d'exécution ne peuvent être prouvés par témoins lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit? Il a été jugé par la cour de Bruxelles que, dans ce cas, la preuve testimoniale est admissible (3). Dans l'opinion que nous avons enseignée sur l'article 1715, cela n'est pas douteux. Si un bail purement verbal, sans allégation de faits d'exécution, peut se prouver par temoins dans les cas prévus par les articles 1347 et 1348, il doit en être de même, et à plus forte raison, quand l'une des parties demande à prouver qu'il y a eu des faits d'exécution. Ces faits ajoutent une probabilité à la demande; pour mieux dire, quand les faits d'exécution sont bien prononcés, c'est la plus forte des preuves; on ne peut

(1) Liége, 18 décembre 1838 (Pasicrisie, 1841, 2, 19).

(2) Bruxelles, 30 mars 1863 (Pasicrisie, 1863, 2, 177).

(3) Bruxelles, 27 mai 1848 (Pasicrisie, 1849, 1, 129), et 15 février 1858 (Pasicrisie, 1858, 2, 266).

plus nier l'existence d'un contrat qui s'exécute. Il y a des objections, nous y avons répondu (no 79).

Par identité de motifs, il faut dire que le commencement d'exécution peut être prouvé par l'aveu, donc par un interrogatoire sur faits et articles. En un mot, le droit commun reste applicable, sauf qu'il est dérogé à la règle de l'article 1341. Il va sans dire que le commencement d'exécution et l'existence du bail peuvent être prouvés par une lettre c'est un aveu écrit. La cour de cassation l'a jugé ainsi (1).

:

No 3. CAS DANS LESQUELS LES ARTICLES 1715 ET 1716 NE SONT

PAS APPLICABLES.

89. L'article 1715 consacre une exception au droit commun, qu'il est difficile de justifier (n° 69). C'est une raison déterminante pour en restreindre l'application au cas prévu par la loi. Il en est ainsi de toute exception, et on doit surtout restreindre les dispositions exceptionnelles qui rendent la preuve d'un contrat impossible, alors que cette preuve serait admise en vertu des principes généraux de droit. L'article 1716 contient également une dérogation au droit commun, puisqu'il rejette la preuve testimoniale de l'une des conditions d'un bail verbal dont l'existence n'est pas contestée. Nous avons déjà déduit les conséquences qui résultent du caractère exceptionnel de l'article 1716 (nos 83-85). Il faut poser comme principe général que les dérogations des articles 1715 et 1716 sont de la plus stricte interprétation.

90. L'article 1715 est placé sous la rubrique des règles communes aux baux de maisons et de biens ruraux. On ne doit donc pas l'appliquer aux baux de meubles ni au louage d'ouvrage. Il est vrai que les règles générales que le code établit pour les baux d'immeubles peuvent s'appliquer, par analogie, au bail de meubles, mais l'argumentation analogique n'est pas admise quand il s'agit de dispositions exceptionnelles. Il suit de là qu'un tapissier

(1) Rejet, 5 mars 1856 (Dalloz, 1856, 1, 146).

« PreviousContinue »