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CHAPITRE II.

DES RÈGLES COMMUNES AUX BAUX DES MAISONS ET DES BIENS RURAUX.

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99. L'article 1602 porte que tout pacte obscur ou ambigu s'interprète contre le vendeur. On demande si cette disposition doit être appliquée par analogie au bail. L'orateur du gouvernement dit dans l'Exposé des motifs que le louage ressemble beaucoup à la vente, et que, malgré les différences qui séparent les deux contrats, ils ont de grands rapports. Là-dessus il cite le témoignage de Cujas, qu'il rapporte en latin, puis il invoque une loi romaine, qu'il transcrit également, loi qui établit la règle de l'article 1602 pour les contrats de vente et de bail. La raison én est, dit l'orateur, qu'il y a même motif de décider: il est au pouvoir du bailleur comme du vendeur de formuler clairement la loi du contrat (1). Nous ne savons si à Rome le bailleur dictait la loi du contrat; il est certain qu'il n'en est plus de même dans nos moeurs, les propriétaires subissent les conditions du preneur plutôt qu'ils ne les imposent. Mais peu importe. Il s'agit de savoir si l'analogie qui existe entre la vente et le louage suffit pour étendre au bailleur une règle d'interprétation que la loi établit contre le vendeur. Si l'article 1602 consacrait un principe de droit commun, l'affirmative ne serait pas douteuse; mais il n'en est pas ainsi; l'article 1602 déroge au droit commun (art. 1162); c'est une exception que les interprètes ont beaucoup de peine à justifier, et que la jurisprudence élude quand elle le peut.

(1) Galli, Exposé des motifs, no 1 (Locré, t. VII, p. 192).

Cela décide la question : une disposition exorbitante du droit commun ne s'étend pas, quand même il y aurait analogie. On peut même contester l'analogie; le propriétaire est forcé de louer, puisque c'est le seul profit qu'il tire de la chose, il n'est donc guère dans le cas d'imposer la loi. On ne peut pas même affirmer qu'il connaît la chose louée, comme un vendeur connaît la chose qu'il vend; car le propriétaire n'habite pas la maison louée ou la ferme. Reste l'autorité qu'il faut attacher à l'Exposé des motifs elle est très-mince dans l'espèce. Galli est un légiste romain, qui se trouve très-mal à l'aise quand il s'agit d'interpréter un droit qui n'est pas celui dans lequel il a été nourri et élevé il est donc très-naturel qu'il n'aperçoive aucune différence entre le droit romain et le droit français (1).

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Toutefois la jurisprudence, entraînée par la tradition, s'est prononcée pour l'application de l'article 1602 au bail. On lit dans un arrêt de la cour de Paris qu'en cas de doute, les clauses obscures doivent s'interpréter contre le bailleur au profit du preneur (2). Un bail contracté par un fonctionnaire public porte que le bail sera résilié par cessation ou changement de fonctions. Le preneur meurt; ses héritiers prétendent que le bail est résilié. En première instance ils succombent, mais la cour d'appel prononce la résiliation, en invoquant la règle que, dans le doute, on doit interpréter la clause en faveur du preneur (3). En droit, la cour s'est trompée, à notre avis. La clause litigieuse était stipulée par le preneur, dans son intérêt, contre le bailleur; ce n'était donc pas le cas d'appliquer l'article 1602, d'après l'interprétation qu'on lui donne généralement (t. XXIV, n° 156). En fait, il y avait des circonstances qui paraissaient témoigner que, dans l'intention commune des parties, le bail devait finir à la mort du preneur..

100. Il y a une autre règle d'interprétation qui est bien plus ratio nnelle que celle de l'article 1602. Le louage

(1) Comparez Duvergier, Du louage, t. I, p. 23, no 26.
(2) Paris, 10 août 1841 (Dalloz, au mot Louage, no 147)
(3) Angers, 23 avril 1842 (Dalloz, au mot Louage, no 87).

étant le contrat le plus usuel, il s'est formé partout des usages locaux qui déterminent les droits et les obligations des parties contractantes. Ces usages sont le vrai interprète du contrat, car les parties contractantes ne connaissent pas d'autres règles. C'est surtout au bail qu'il faut appliquer les articles 1159 et 1160, d'après lesquels « ce qui est ambigu s'interprète par ce qui est d'usage dans le pays où le contrat est passé ; et on doit suppléer dans les contrats les clauses qui y sont d'usage, quoiqu'elles n'y soient pas exprimées ». Un propriétaire prétend que les voitures conduisant soit le locataire, soit les personnes qui viennent chez lui ne peuvent entrer dans la cour après minuit. La cour de Paris rejeta cette prétention, en invoquant l'usage. Elle invoque encore une autre règle également fondée en raison, c'est qu'il faut donner aux conventions le sens que les parties lui ont donné en l'exécutant l'exécution et l'usage sont les meilleurs interprètes de l'intention des parties contractantes (1).

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101. L'article 1719 énumère les obligations du bailleur : il est tenu de délivrer au preneur la chose louée, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. Toutes ces obligations découlent de l'objet du contrat, tel que l'article 1709 le définit le bailleur s'oblige à faire jouir le preneur d'une chose pendant un certain temps.

§ I. De l'obligation de délivrance.

102. Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée (art. 1719, 1o). Puisque le bailleur s'oblige à faire jouir le preneur de la chose, il doit commencer par la lui délivrer, pour que le preneur en puisse jouir. La première question qui se pré

(1) Paris, 8 janvier 1856 (Dalloz, 1856, 2, 75).

sente sur la délivrance, dit Pothier, est de savoir si le bailleur, qui a le pouvoir de délivrer la chose au preneur, peut y être contraint, au besoin, par la force publique, ou s'il peut seulement être condamné à des dommages-intéréts. Pothier répond que l'obligation du bailleur n'est pas une obligation de faire, que le bailleur s'oblige à livrer, donc à donner, dans le sens large de ce mot; d'où suit que l'obligation est susceptible d'être exécutée malgré le refus du débiteur. Il faut dire plus : quand même ce serait une obligation de faire, le créancier peut en réclamer l'exécution forcée, dans tous les cas où l'intervention personnelle du débiteur n'est pas nécessaire et telle est bien l'obligation du bailleur. Nous renvoyons, quant au principe, au titre des Obligations (t. XVI, no 197). Le rapporteur du Tribunat fait l'application du principe au bail : Si le bailleur, pouvant délivrer la chose, s'y refuse ou seulement diffère, le preneur peut se faire autoriser par justice et s'en mettre en possession. Si le bailleur se trouve hors d'état de faire la délivrance, il est sujet aux dommages-intérêts du preneur, à moins que la chose n'ait péri par un accident de force majeure (1) ». Il faut ajouter: ou qu'il ne soit dans l'impossibilité légale de faire la délivrance; mais si cette impossibilité lui est imputable, il sera tenu des dommages-intérêts tel serait le cas où il aurait loué la chose d'autrui et qu'il fût évincé avant d'avoir fait la délivrance. Le refus seul du bailleur n'empêche donc pas le preneur d'obtenir la délivrance de la chose; il l'obtiendra par l'intervention de la justice et avec des dommages-intérêts s'il y a lieu.

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103. Aux frais de qui se fait la délivrance? Le rapporteur du Tribunat répond que le bailleur les supporte. Ici on peut se prévaloir de l'analogie qui existe entre la vente et le louage, le vendeur et le bailleur étant également tenus à délivrer. L'article 1608 porte que les frais de la délivrance sont à la charge du vendeur; c'est une application du principe qui met les frais du payement à

(1) Pothier, Du lovage, no 66. Mouricault, Rapport, no 8 (Locré, t. VII, p. 199). Duvergier, t, I, p. 271, no 186. La jurisprudence est dans le même sens. Voyez les arrêts dans le Répertoire de Dalloz, au mot Louage, no 159.

la charge du débiteur (art. 1248); or, le bailleur de même que le vendeur sont débiteurs en ce qui concerne la délivrance de la chose.

104. Aux termes de l'article 1615, l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui est destiné à son usage perpétuel. La loi ne reproduit pas cette disposition, au titre du Louage; cela était inutile, puisque cela est de droit. Mouricault en fait la remarque: la chose, dit-il, doit être livrée avec tous ses accessoires, sans quoi la délivrance ne serait pas complète (1). Il faut donc appliquer au louage ce que nous avons dit de la vente, au titre qui est le siége de la matière.

Troplong range parmi les accessoires le vestibule et la cour. Cela est d'une grande importance dans les maisons louées à plusieurs locataires. C'est ce qui a donné lieu au procès dont nous avons dit un mot. Un propriétaire prétendait que les voitures des personnes qui se rendaient en soirée chez l'un de ses locataires devaient s'arrêter devant la porte cochère, dans la rue, et ne pouvaient passer sous cette porte pour pénétrer dans la cour. L'avocat cherchait à justifier cette prétention en soutenant que les invités n'avaient pas besoin de traverser la cour, puisque l'escalier était placé sous un vestibule à quatre pas de la porte cochère. Séguier, le premier président de la cour, l'interrompit en disant : « On veut descendre sous la porte, et non pas à la porte. Pour vous, Me C..., descendant de la voiture avec des souliers noirs, cela vous serait égal; mais madame C..., arrivant au bal avec des souliers blancs, ne voudrait pas descendre dans la rue. Dans la maison où je suis locataire, les personnes qui viennent me visiter entrent avec leur voiture dans la Il a été décidé que le passage sous la porte cochère d'une maison et l'usage de la cour étant communs aux locataires, à moins de stipulations contraires, le propriétaire ne peut pas s'opposer à ce que les voitures des personnes qui viennent visiter un locataire entrent sous la porte cochère et dans la cour de la maison, encore que

cour. » "

(1; Mouricault, Rapport, no 8 (Locré, t. VII, p. 199).

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