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pour défendre; peu importe que le droit soit contesté sous forme d'action ou d'exception (1).

168. Quel est l'effet de la garantie? L'article 1726 répond que le preneur a droit à une diminution proportionnée sur le prix du bail à loyer ou à ferme. Cette disposition est très-incomplète. Elle suppose d'abord que le trouble ne consiste que dans une diminution de jouissance; mais l'éviction peut aussi être totale, le droit même du bailleur peut être contesté, comme le dit l'article 1727; dans ce cas, l'action tend à faire déguerpir le preneur, ce qui entraîne nécessairement la résiliation du bail; nous reviendrons sur cette hypothèse en traitant des manières dont le contrat de louage prend fin. Lorsque l'éviction est partielle, le preneur peut avoir d'autres droits que celui de demander une diminution du prix; il faut appliquer, par analogie, au preneur ce que l'article 1636 dit de l'acheteur si le preneur est évincé d'une partie de la chose, et qu'elle soit de telle conséquence, relativement au tout, que le preneur n'eût point loué sans la partie dont il a été évincé, il peut faire résilier le bail.

Que le bail soit résilié ou maintenu, le preneur peut réclamer des dommages-intérêts, outre la diminution du prix du bail, si l'éviction n'est que partielle. Tel est le droit commun en matière de garantie. Il y a, sous ce rapport, analogie complète entre la vente et le louage; le preneur est privé de la jouissance, en cas d'éviction, comme l'acheteur est privé de la propriété de la chose : l'un et l'autre ont droit à des dommages-intérêts, puisque le bailleur est en faute, aussi bien que le vendeur, quand il donne à bail une chose qui ne lui appartient pas. Le droit du preneur aux dommages-intérêts est donc incontestable; on applique les principes généraux qui régissent les dommages et intérêts, puisque le code n'y déroge pas en matière de bail (2).

Il suit de là que le bailleur est tenu de la garantie et, par conséquent, des dommages-intérêts, quand même il

(1) Aubry et Rau, t. IV, p. 480, notes 28 et 29, § 366. Voyez la jurisprudence dans le Répertoire de Dalloz, au mot Louage, nos 247 et 248. (2) Duvergier, Du louage, t. I, p. 305, no 322.

serait de bonne foi; la bonne foi n'exclut pas la faute. Pothier donne comme exemple le cas où le bailleur n'avait qu'une propriété résoluble; si le bail est résolu par suite de la résolution du droit du bailleur, celui-ci sera garant de l'éviction, quand même il aurait ignoré le droit du tiers. Mais le juge tiendra compte de la bonne foi ou de la mauvaise foi du bailleur dans l'estimation des dommages et intérêts; on applique les distinctions des articles 1150 et 1151 que nous avons expliquées au titre des Obligations (1).

Il suit du même principe que le preneur n'aurait pas droit à des dommages-intérêts s'il avait connu, lors du contrat, le danger de l'éviction. Nous renvoyons à ce qui a été dit au titre de la Vente. Le preneur, quoiqu'il eût loué sciemment la chose d'autrui, pourrait néanmoins réclamer une diminution du prix en cas d'éviction partielle, et il va sans dire qu'il ne devrait pas payer le loyer ou le fermage s'il était évincé de la totalité de la chose louée; le prix est dû pour la jouissance; dès que le preneur ne jouit pas, le prix n'a plus de cause et, partant, le bailleur n'y a aucun droit (2).

169. La diminution proportionnelle du prix à laquelle le preneur a droit, d'après l'article 1726, donne lieu à une légère difficulté que Pothier a prévue. On demande i la diminution se calcule sur le prix qui est stipulé par le bail, ou sur la valeur que la jouissance a lors de l'éviction. Pothier répond que l'on doit calculer non la somme pour laquelle la chose pourrait être louée lors de l'éviction, mais la somme pour laquelle la chose a réellement été affermée. En effet, il s'agit de savoir quelle est la partie du prix que le preneur payerait sans cause par suite de l'éviction; c'est donc au prix convenu lors du bail qu'il faut avoir égard.

Est-ce à dire que le preneur n'ait pas droit à être in. demnisé du préjudice qu'il éprouve s'il est privé de la jouissance d'une chose dont la valeur locative a augment

(1) Pothier. Du louage, nos 83 et 92. Duvergier, t. I, p. 309, no 327. (2) Marcadé, t. VI, p. 458, no II de l'article 1727.

lors de l'éviction? Pothier décide qu'il a droit à une indemnité de ce chef, non en vertu du premier chef de l'action en garantie, qui tend à la décharge de tout ou partie du loyer, mais en vertu du second chef, qui a pour objet les dommages-intérêts que le preneur souffre de l'éviction. Qu'importe, dira-t-on, à quel titre il peut réclamer l'indemnité? Cela importe beaucoup. Si c'était à titre de décharge du prix que le preneur avait droit à l'indemnité, il pourrait toujours la réclamer, car il a toujours droit à la décharge des loyers ou fermages, tandis qu'il n'a pas toujours droit à des dommages-intérêts; il ne peut pas en réclamer quand il a connu le danger de l'éviction lors du bail; et alors même qu'il a droit à des dommages-intérêts, la quotité varie selon que le bailleur est de bonne foi ou de mauvaise foi (1).

En matière de vente, l'article 1637 établit un principe différent lorsque l'éviction est partielle et que la chose vendue est diminuée de valeur; l'acheteur n'a droit qu'à l'estimation de la chose à l'époque de l'éviction. Le preneur, au contraire, a droit à une diminution du prix, donc de la valeur que la chose avait lors du bail. Il y a une raison de cette différence. Le louage se parfait successivement, le prix est payé pour la jouissance successive de la chose; donc il est sans cause dès que le preneur n'a pas la jouissance qui lui a été promise; partant, le défaut partiel de jouissance doit entraîner une diminution partielle du prix.

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170. Le code ne parle que des obligations du preneur en ce qui concerne la jouissance de la chose (art. 1728), il ne dit rien de ses droits. Mais le droit du preneur à la jouissance de la chose louée résulte de l'obligation que le bailleur contracte de le faire jouir de la chose. C'est

(1) Pothier, Du louage, no 93.

d'ailleurs la jouissance, c'est-à-dire le droit de jouir qui forme l'objet du bail. Si le principe est d'évidence, l'application donne lieu à de sérieuses difficultés.

171. Le preneur a le droit de jouir des accessoires de la chose. En faut-il conclure qu'il a le droit de jouir de l'alluvion qui se forme pendant le cours du bail? Cette question était déjà controversée dans l'ancien droit, et elle l'est encore; à notre avis, elle doit être décidée négativement. C'est l'opinion de Pothier, et il l'établit sur des principes incontestables. Le fermier a le droit de jouir de l'héritage, de tout l'héritage; donc, dit-on, il a le droit de jouir des terres d'alluvion, qui sont un accessoire de l'héritage. Pothier répond, et sa réponse est péremptoire : Il est vrai que le fermier a le droit de jouir de tout ce qui lui a été loué, mais il n'a pas le droit de jouir de ce qui ne lui a pas été loué; or, les terres d'alluvion qui se forment depuis le bail n'ont pas été louées au fermier; il faut dire plus, elles n'ont pas pu être louées, puisqu'elles n'existaient pas encore. Sans doute l'alluvion est un accessoire qui, à ce titre, appartient au propriétaire; mais il s'agit de savoir si cet accessoire est compris dans le bail et s'il a pu y être compris. Il y a, sous ce rapport, une différence élémentaire entre la vente et le bail. L'acheteur profite de l'alluvion; Pothier le décidait ainsi dans l'ancien droit, alors même que l'alluvion s'était formée avant la tradition, donc à un moment où le vendeur était encore propriétaire; à plus forte raison en doit-il être ainsi en droit moderne; l'acheteur étant propriétaire à partir du contrat, avant toute tradition, il peut invoquer l'article 556, qui attribue l'alluvion aux riverains. Dans le contrat de louage, au contraire, la chose louée continue à appartenir au bailleur, c'est donc lui qui profite de l'alluvion; pour lui, c'est un accessoire en vertu de la loi; pour le fermier, ce n'est pas un accessoire, car on entend par accessoires les choses dont le bailleur doit faire la délivrance; et comment le bailleur délivrerait-il des choses qui n'existent point (1)?

(1) Pothier, Du louage, no 278.

L'opinion contraire est généralement enseignée; il n'y a de désaccord que sur le point de savoir si le preneur doit une augmentation proportionnelle du fermage pour les terres d'alluvion. La question seule témoigne contre la doctrine que nous combattons. Comment le preneur pourrait-il devoir une augmentation du fermage sans s'y être obligé? On objecte qu'il jouit de l'alluvion à titre d'accessoire; nous demanderons si le preneur doit un prix à part à raison des accessoires? Est-ce que le prix n'est pas fixé définitivement et irrévocablement par le contrat (1)?

Il y a des auteurs qui distinguent: ils ne soumettent le preneur au payement d'un fermage pour les alluvions que lorsqu'elles sont de quelque importance (2). Nous sommes étonné de voir cette distinction si peu juridique admise par les éditeurs de Zachariæ. Est-ce que les droits et les obligations se déterminent d'après la quotité de l'intérêt pécuniaire? Il y a bien un vieil adage qui dit que intérêt on ne peut pas agir en justice, adage qui est lon d'être aussi absolu qu'il en a l'air. Mais on n'a jamais dit que celui qui a un droit ne peut le réclamer que si ce droit a quelque importance. Or, on reconnaît au bailleur le droit d'exiger une augmentation du fermage pour les terres d'alluvion, et on lui refusera d'exercer son droit parce que l'alluvion est peu considérable! Qui permet aux tribunaux de décider en équité contre le droit? Et y a-t-il même équité à refuser au créancier d'agir, parce que son droit ne paraîtrait pas assez important au juge?

172. Le preneur a-t-il droit à la chasse? Cette question est aussi controversée; la plupart des auteurs, ainsi que la jurisprudence, se prononcent contre le fermier. Nous croyons, avec Duvergier, que le droit de chasse appartient au preneur (3). C'est un attribut de la propriété;

(1) Duvergier. t. I, p. 337, n° 356. Duranton, t. XVII, p. 62. no 81. Marcadé, t. VI, p. 452, no III de l'article 1722.

(2) Demolombe, t. X, p. 70, nos 90-95.

(3) Duvergier, t. I, p. 66, no 73. Duranton, t. XVII, p. 64, no 82. En sens contraire, Aubry et Rau, t. IV, p. 470, note 2, § 365, et les autorités qu'ils citent.

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