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qu'il faut la limiter à l'usufruitier, et qu'on ne peut pas l'étendre au preneur : l'un a un droit réel, qui démembre la propriété, l'autre n'a qu'un droit de créance : l'un jouit en vertu d'un droit qui lui est propre, l'autre jouit en vertu de l'obligation que le bailleur contracte de le faire jouir. Il est inutile de continuer ce parallèle; nous avons déjà relevé les différences principales qui existent entre le bail et l'usufruit; elles sont telles, qu'il est impossible de raisonner par analogie d'un droit à l'autre.

182 bis. Le preneur a donc droit à une indemnité; mais quelle est cette indemnité? La cour de cassation répond que le bailleur doit rembourser la valeur des maté riaux et le prix de la main-d'œuvre; ce qui aboutit à traiter le preneur comme un possesseur de mauvaise foi. Pourquoi la cour l'assimile-t-elle à un possesseur de mauvaise foi, plutôt qu'à un possesseur de bonne foi? Sur ce point, l'arrêt garde le silence, il ne prononce pas les mots de mauvaise foi. Mais on ne peut pas écarter le texte par le silence; la difficulté subsiste, et, dans l'opinion générale qui admet l'application de l'article 555 au bail, il faut la résoudre. La cour de Bordeaux répond à la question, mais sa décision ne fait qu'augmenter l'anarchie qui règne dans la jurisprudence. Il s'agissait de l'exploitation d'une carrière; le preneur exécuta des travaux importants et coûteux; le bail ayant été fait sans durée fixe, le bailleur mit fin en signifiant un congé. Le preneur réclama une indemnité pour les ouvrages qu'il avait faits et qui allaient profiter au bailleur. Sa demande fut rejetée. La cour décide que le preneur a le droit de retirer les choses qu'il a placées sur le fonds loué, l'arrêt ne dit pas si les travaux étaient des constructions; il ajoute cette restriction: pourvu que l'enlèvement n'occasionne pas de dégradations; et il refuse au preneur tout droit à une indemnité. On ne peut,. dit la cour, assimiler le preneur à un possesseur de bonne foi qui, croyant améliorer son propre domaine, fait des plantations et des constructions. Non; mais, en lui refusant toute indemnité, la cour le traite plus sévèrement qu'un possesseur de mauvaise foi. C'est écarter entièrement l'article 555, sur lequel se fonde la jurisprudence de

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la cour de cassation. Le dissentiment ne s'arrête pas là. Pourquoi la cour de Bordeaux décide-t-elle que le preneur ne peut pas réclamer la plus-value que les travaux ont procurée à l'immeuble? Elle applique au preneur l'article 599, que la cour de cassation écarte comme étranger au bail; et elle ajoute qu'il faut le lui appliquer, à plus forte raison, parce que le titre du preneur est plus précaire et que ses droits sont moins étendus que ceux de l'usufruitier. Voilà l'anarchie au complet. Reste une objection d'équité. Le preneur avait fait des travaux coûteux, ces améliorations vont profiter au propriétaire : peut-il s'enrichir aux dépens d'autrui? La cour répond que si le preneur a fait des travaux importants, il en a été dédommagé par les fournitures importantes qu'il a faites au gouvernement (1). Et s'il n'avait pas été dédommagé? Si on laissait donc là toutes ces considérations de fait et si l'on décidait les questions de droit par des principes de droit!

183. Un arrêt récent de la cour de cassation semble déserter la jurisprudence qui déclarait applicable au preneur la disposition de l'article 555. Cependant nous n'osons rien affirmer, car la décision a été rendue dans des circonstances spéciales. Un preneur qui occupait les lieux en vertu d'un bail verbal est expulsé par l'acquéreur ; il avait construit un hangar; l'acquéreur demanda que la construction fût enlevée. Sa demande fut repoussée, par le motif que le preneur n'était pas un tiers évincé dans le sens de l'article 555. C'est bien là notre opinion. Sur le pourvoi, il intervint un arrêt de rejet (2). La cour de cassation dit que le preneur expulsé n'est pas un possesseur de bonne foi, dans le sens de l'article 555. Ce qui est évident. Mais si l'on écarte l'article 555 quand le preneur veut s'en prévaloir, de quel droit l'appliquera-t-on quand le bailleur l'invoque contre le preneur? La cour entendelle répudier l'article 555, qu'elle a constamment appliqué au profit du bailleur? Nous doutons que telle soit la pen

(1) Bordeaux, 4 mars 1856 (Dallo7, 1856, 2, 206). (2) Rejet, 17 janvier 1870 (Dalloz, 1870, 1, 194).

sée de la cour. Dans un arrêt plus récent, elle pose en principe, par application des articles 553 et 555, que les constructions élevées par le preneur sur le terrain loué appartiennent au bailleur (1); elle maintient donc l'article 555 dans les rapports du bailleur et du preneur; mais si elle l'applique contre le preneur, pourquoi ne l'appliquet-elle pas en sa faveur? N'est-ce pas une contradiction nouvelle à ajouter à celles que nous venons de signaler?

184. L'application de l'article 555 combiné avec l'article 1731 a soulevé une autre difficulté, sur laquelle la cour de cassation s'est trouvée en désaccord avec la cour de Paris. Il s'agissait de la location d'un moulin avec prisée, c'est-à-dire que tous les accessoires du moulin de viennent la propriété du fermier, qui doit en payer la valeur, à dire d'experts, lors de son entrée en jouissance; et, à la fin du bail, la valeur de la prisée est restituée au preneur, également à dire d'experts. Un usage analogue existe dans nos provinces flamandes, pour les plantations qui se trouvent dans les jardins, loués comme dépendance d'une maison. Dans l'espèce, la prisée fut estimée lors du bail à 5,000 francs et, à la cessation du bail, à 28,475 francs; le meunier avait remplacé l'ancien système par un mécanisme nouveau, dit anglais. Le propriétaire refusa de payer ces améliorations et demanda qu'elles fussent enlevées par le meunier sortant. La cour de Paris se prononça en faveur du preneur. C'est cette décision qui a été cassée après délibéré en la chambre du conseil et sur les conclusions contraires de l'avocat général Nicias-Gaillard. La cour se fonde tout ensemble sur l'article 555 et sur l'article 1731 pour en induire que le preneur peut être obligé de supprimer les constructions qu'il a faites. Il nous paraît étrange que l'on puisse appliquer au preneur deux dispositions, dont l'une suppose un tiers possesseur en face d'un propriétaire revendiquant, tandis que l'autre met en regard un bailleur et un preneur, c'est-à-dire que l'on applique au preneur une disposition qui suppose qu'il n'y a aucun lien d'obligation entre le possesseur et le propriétaire et

(1) Rejet, 27 mai 1873 (Dalloz, 1873, 1, 410).

une autre disposition qui implique l'existence d'un contrat. Des qu'il y a un contrat, ce sont les conventions des parties qui seules doivent décider le débat. Or, dans l'espèce, la question était très-simple, et la cour la juge parfaitement dès qu'elle laisse de côté l'article 555. Le preneur a droit au remboursement de la prisée par lui reçue et des réparations qu'il y aurait faites: tel est le sens de la convention sur laquelle se fondait l'arrêt de Paris. Mais le bailleur ne s'oblige pas à payer la valeur d'une chose tout autre que celle qu'il avait livrée et qu'il était tenu de reprendre; dans l'espèce, il n'était pas tenu de reprendre et de payer le système anglais substitué à l'ancien mécanisme. Cette interprétation est en harmonie avec les principes du bail: le preneur n'est pas un propriétaire, il ne peut pas rendre les lieux changés, modifiés, il doit les rendre tels qu'il les a reçus. S'il fait des constructions, elles sont à ses risques et périls, en ce sens qu'il peut être obligé de les enlever sans indemnité aucune, avec obligation, au contraire, de rétablir i hose dans son état primitif. Cela est dur quand les travaux constituent un perfectionnement, mais telle est la rigueur du droit (1).

185. Il est rare que les locataires fassent des constructions, mais il arrive assez souvent qu'ils font des embellissements. Le preneur ne peut pas les enlever; peut-il les supprimer en rétablissant les lieux dans leur état primitif? On décide que le preneur est sans intérêt, partant sans droit. Cela a été ainsi jugé par le parlement de Paris sur la plaidoirie de Séguier, avocat général. Le locataire avait loué une maison sans plafonds, ni papiers, ni peintures; il exécuta ces travaux à ses frais. Le propriétaire ne voulut pas renouveler le bail, et il prétendit garder les améliorations. Sur ce refus, le locataire détruisit les plafonds, gratta les peintures et arracha les papiers. De procès. Le parlement confirma la sentence du Châtelet, qui avait adjugé des dommages-intérêts au propriétaire. Nous étions présent, dit Lepage, et nous entendimes le

(1) Cassation, 3 janvier 1849 (Dalloz, 1849, 1,27), et sur renvoi, Orleans, 20 avril 1849 (Dalloz, 1850, 2, 1).

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réquisitoire de l'avocat général Séguier. Il invoqua d'abord le principe qui ne permet pas de faire le mal d'autrui sans intérêt pour soi : excellente maxime en morale, mais en droit? Séguier ajouta que les embellissements avaient été faits dans un esprit de perpétuelle demeure. Cela n'est pas exact; comment un locataire, qui n'a qu'une jouissance à temps et précaire, pourrait-il agir dans un esprit de perpétuité? Les embellissements, continue l'avocat géné ral, étaient devenus la propriété du bailleur. Non, car le preneur avait le droit de défaire ce qu'il avait fait. Le droit était pour le preneur; il n'était tenu qu'à une chose, à rendre les lieux tels qu'il les avait reçus. Duvergier et Troplong approuvent néanmoins la décision, tout en blåmant l'indélicatesse du propriétaire. Il y a plus qu'indélicatesse (1) il y a spéculation aux dépens du locataire. Le propriétaire est tenu de faire les réparations; il ne les fait point, comptant que le locataire les fera; puis, quand elles sont faites, il refuse de renouveler le bail, afin de louer à un prix plus élevé, en profitant des travaux d'embellissement exécutés par le preneur: est-ce là de la justice?

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§ III. De la sous-location.

No 1. PRINCIPE.

186. Le preneur a le droit de sous-loucr, et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite » (art. 1717). Pourquoi la loi permet-elle au preneur de sous-louer? S'il avait un droit réel dans la chose, comme l'usufruitier, il serait inutile de dire qu'il a la faculté de louer; car sa jouissance serait indépendante du droit de propriété du bailleur, et il serait libre de jouir comme il l'entend. Mais, dans l'opinion générale que nous avons enseignée, le preneur n'a qu'un droit de créance contre le bailleur; ce droit naît d'un contrat: n'en

(1) Lepage, Lois des bâtiments, p. 188, 189. Duvergier, t. I, p. 469, no 457. Troplong, no 356.

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