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faut-il pas conclure qu'il est personnel au preneur, el ce sens que lui seul peut l'exercer par voie d'action contre celui qui s'est obligé de le faire jouir? Non, car une créance peut être vendue, et la créance de jouissance n'est pas plus attachée à la personne que toute autre créance: le preneur doit donc avoir le droit de la transmettre à un tiers.

Ainsi le droit de bail est transmissible; il se transmet aux héritiers du preneur, il peut être loué ou cédé, il n'est pas attaché à la personne du preneur; partant, il peutêtre exercé par ses créanciers. Cela a été jugé ainsi par la cour de Douai. Le principe ne saurait être contesté; il n'en est pas de même de l'application que la cour en a faite. Quand les créanciers exercent un droit au nom de leur débiteur, cela suppose qu'il a un droit, que ce droit fait partie de son patrimoine, et qu'à ce titre il est le gage de ses créanciers. Dans l'espèce, le débiteur insolvable tenait à bail une maison avec dépendances; il avait délégué au bailleur, à titre de garantie, une somme de 3,200 francs, à imputer sur les loyers échus ou à échoir. Le bailleur offrit au preneur de résilier le bail; cette offre ne fut pas acceptée; les créanciers se présentèrent pour l'accepter au nom de leur débiteur (1). Etait-ce bien là le cas d'appliquer l'article 1166? Une offre non acceptée ne constitue pas un droit; le preneur était libre de ne pas l'accepter; en ne l'acceptant pas, il usait du droit qu'il avait de maintenir son bail. Il en usait mal, il est vrai, il en usait au préjudice de ses créanciers; mais cela n'autorisait pas les créanciers à intervenir; en résiliant le bail, ils n'exerçaient pas un droit de leur débiteur, ils l'empêchaient de gérer ses intérêts comme lui-même l'entendait. Or, le débiteur, quoique insolvable, conserve la libre administration de ses biens, ses créanciers n'ont pas le droit de l'entraver. Nous renvoyons à ce qui a été dit, au titre des Obligations, sur l'article 1166.

187. La loi dit que le preneur a le droit de sous-louer, et même de céder son bail. Qu'est-ce que l'article 1717

(1) Douai, 13 novembre 1852 (Dalloz, 1856, 2, 21).

entend par sous-louer et par céder son bail? Il n'y a pas de doute sur le sens du mot sous-louer. La sous-location est un contrat de bail par lequel le preneur devient bailleur, sous-bailleur, et s'oblige à faire jouir de la chose une autre personne, que l'on appelle sous-preneur ou souslocataire. Il y a, dans ce cas, deux baux, l'un entre le bailleur primitif et le preneur; l'autre entre le sous-bailleur et le sous-preneur.

Qu'est-ce que céder son bail? Le mot céder a, dans le langage du droit, un sens technique: il signifie transporter la propriété d'un droit par voie de vente ou de donation. Quand il s'agit d'un acte à titre onéreux, céder est synonyme de vendre. Tel est le sens que l'on attache d'ordinaire au mot céder dans l'article 1717; la cession de bail serait donc la vente du droit de jouir que le bail donne au preneur. Dans cette opinion, il y a une grande différence entre sous-louer et céder son bail: le premier contrat est un louage, tandis que le second est une vente.

188. Cette interprétation est très-douteuse. D'abord elle est en opposition avec la tradition. Pothier et Domat, les deux guides habituels des auteurs du code, ignorent la différence que l'on prétend établir entre la sous-location et la cession. Après avoir dit que le droit du preneur passe à ses héritiers, de même que toutes les autres créances, Pothier ajoute : « Ce droit peut aussi se céder à un tiers, de même que nous avons vu, au titre du Contrat de vente, que les créances pouvaient se céder à des tiers. C'est pourquoi un locataire ou fermier peut sous-bailler, en tout ou en partie, la maison ou l'héritage qui lui ont été loués. Puis Pothier cite une loi romaine qui ne parle que de la sous-location, et il ajoute : « Ces sous-locataires doivent jouir comme le principal locataire ou fermier aurait dû jouir lui-même (1). » Ainsi Pothier, tout en comparant la cession de bail à une cession de créance, ne considère pas celui à qui le droit de bail est transmis comme un cessionnaire ou un acheteur, il le qualifie de sous-locataire; il se sert des mots céder et sous-bailler

(1) Pothier, Du iouage, no 280.

pas

comme d'expressions absolument synonymes. La seule distinction qu'il fasse, c'est que le preneur peut sous-louer en tout ou en partie la chose louée. Ne serait-ce là l'idée que les auteurs du code ont entendu reproduire en disant que le preneur peut sous-louer et même céder son bail? Le mot sous-louer indique une sous-location partielle; on loue une maison et on en sous-loue un appartement. Céder son bail s'entend de la sous-location de toute la maison; le preneur transmet tout son droit de jouissance à un tiers, mais c'est toujours à titre de bail.

Domat se borne à traduire la loi romaine qui permet au preneur de transmettre à un tiers son droit de jouissance à titre de bail : « Celui qui tient à louage ou à ferme une maison ou un autre héritage peut le louer ou bailler à d'autres personnes, si ce n'est qu'il eût été autrement convenu (1). » Louer ou bailler; ces mots sont employés comme synonymes. Or, dans l'ancien droit, le mot bailler signifiait céder. Donc le principe, tel que Domat le formule, met sur la même ligne la sous-location et la cession; l'un et l'autre acte constituent un nouveau bail. La loi romaine que Domat reproduit ne parle pas de céder le droit de bail, elle ne parle que de louer la chose à un tiers.

Enfin, ce qui est décisif, dans la pratique on entendait par cession du bail la sous-location de la totalité de la chose louée; tandis que la sous-location pouvait ne comprendre qu'une partie de la chose louée. En ce sens, on disait sous-location n'est pas cession de bail (2).

Les auteurs du code auraient-ils entendu innover? Il n'y a aucune trace de cette intention dans les travaux préparatoires. Le seul orateur qui parle de l'article 1717, Galli, dit dans l'Exposé des motifs : « L'article 1717 déclare que le preneur a le droit de sous-louer et même de céder son bail à un autre, si cette faculté ne lui a pas été interdite. La loi romaine l'avait déjà dit : Nemo prohibetur rem quam conduxit fruendam alii locare, si nihil

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(1) Domat, Des lois civiles, liv. I, tit. IV, sect. I, § 9 (p. 58).

(2 Merlin, Répertoire, au mot Sous-location, no 1 (t. XXXI, p. 364).

XXV.

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aliud convenit. Ainsi le code ne fait que reproduire un principe traditionnel; or, la tradition ignore la différence que l'on veut établir entre la sous-location et la cession de bail. Donc cette interprétation doit être rejetée.

On invoque le mot même de l'article 1717. Ce mot. dit-on, indique une différence entre la sous-location et la cession de bail; la loi considère la cession comme un acte plus grave, plus préjudiciable au bailleur; c'est donc un acte d'une nature différente. Sans doute il doit y avoir une différence, mais la différence porte-t-elle nécessairement sur la nature du droit? ne peut-elle pas concerner l'objet loué, c'est-à-dire l'étendue de la jouissance? C'est ce que Pothier disait le preneur peut louer en tout ou en partie; les auteurs du code disent qu'il peut sous-louer en partie et même en tout, en cédant son bail. Il est certain que la sous-location totale est un acte plus grave que la sous-location partielle. Le bailleur loue sa maison à un homme soigneux; il tient, par conséquent, à ce que le locataire l'habite lui-même; peu lui importe que le preneur sous-loue quelques appartements, pourvu qu'il soit toujours sur les lieux, qu'il occupe lui-même la maison et qu'il puisse surveiller la jouissance des sous-locataires. Mais si le preneur, au lieu d'habiter lui-même les lieux loués, en cède la jouissance à un tiers, cet abandon du bail peut être contraire aux intérêts et, en tout cas, à l'intention du bailleur ; il fallait donc s'expliquer sur ce point et dire que la faculté de sous-louer ne comprenait pas seulement le droit de sous-louer partiellement, que le preneur pouvait même céder toute sa jouissance à un souslocataire. Le droit commandait cette décision; puisque le bail n'est pas attaché à la personne du preneur, on doit lui reconnaître le pouvoir d'en disposer, même pour le tout. Mais il était bon de le dire, afin que le bailleur fût averti et qu'il pût stipuler une clause contraire.

Cette interprétation du mot même nous semble plus naturelle que celle qu'on lui donne dans l'opinion générale. Est-ce que les parties contractantes savent la différence qui existe, dans la subtilité du droit, entre la souslocanon et la cession de bail? Le preneur qui transmet

son droit de jouir entend sous-louer, faire un bail, il ne sait pas ce que veut dire la vente du droit de bail. Il faut dire plus le législateur lui-même n'a pas songé à cette différence en formulant le principe de l'article 1717. Nous allons le prouver en analysant les autres dispositions qui se rapportent à la sous-location.

Le premier alinéa de l'article 1717 porte que la faculté de sous-louer ou de céder le bail peut être interdite. Le second explique la portée de cette interdiction : la faculté accordée au preneur de sous-louer ou de céder son bail peut être interdite pour le tout ou en partie. Cette disposition révèle la vraie pensée de la loi. C'est une exception; or, l'exception porte sur la règle; si l'exception dit que le preneur ne peut transmettre sa jouissance pour le tout ou en partie, la règle aussi doit signifier que le preneur a le droit de transmettre sa jouissance en partie ou pour le tout.

L'article 1753 établit un principe très-important, en disposant que le bailleur primitif a une action contre le sous-locataire pour le payement des loyers que lui doit le preneur. Il n'y est pas dit un mot des rapports que la cession établit entre le bailleur et celui à qui le preneur aurait cédé son droit de bail. Si cette cession était autre chose qu'une sous-location, la loi aurait dû régler les rapports entre le bailleur et le cessionnaire, comme elle règle les rapports entre le bailleur et le sous-locataire. Le silence de la loi ne prouve-t-il pas que, dans la pensée du législateur, il n'y a aucune différence entre sous-louer et céder son bail, sauf la difference de fait que sous-louer c'est louer partiellement, tandis que céder le bail c'est louer pour le tout?

Il en est de même des articles 819 et 820 du code de procédure. L'article 819 donne au propriétaire le droit de faire saisir-gager, pour loyers et fermages échus, les effets et fruits étant dans les maisons ou bâtiments ruraux; il donne le même droit aux principaux locataires, c'est-àdire à ceux qui louent pour sous-louer. Pas un mot des cédants. Celui qui cède son bail a-t-il aussi le droit de saisir-gager les effets qui se trouvent dans la maison ou

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