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d'agréer le sous-locataire, sinon que le jugement tiendrait lieu de son consentement (1). Ne pourrait-on pas dire de la première clause ce que l'on dit de la seconde? Exiger le consentement ou l'agrément du bailleur, n'est-ce pas une seule et même chose?

219. La clause prohibitive est souvent conçue en ces termes Le preneur ne pourra sous-loper sans le consentement par écrit du bailleur. » Faut-il l'interpréter à la rigueur et décider qu'un consentement verbal, ou manifesté par des faits, serait insuffisant, alors même qu'il n'y aurait aucun doute sur la volonté du bailleur? La jurisprudence n'a pas poussé la rigueur à ce point, parce qu'une pareille interprétation serait contraire à tout principe; elle aboutirait à faire de l'acceptation du locataire un acte solennel. L'écrit, dans notre droit, sert de preuve; et quand les parties stipulent un consentement par écrit, elles entendent qu'il n'y ait aucun doute sur la réalité du consentement la question, par cela même, est abandonnée à l'appréciation du juge. Le bailleur reçoit plusieurs termes de loyers des mains du sous-locataire et lui en donne quittance sans protestation. Ce n'est pas là un consentement par écrit, c'est plutôt un consentement tacite ; cependant la cour de cassation a jugé que les quittances équivalaient à un consentement donné par écrit (2). Il a encore été jugé que le consentement verbal du bailleur à la souslocation était suffisant et que la preuve en pouvait se faire par les voies ordinaires que la loi autorise; dans l'espèce, par des présomptions appuyées sur un commencement de preuve par écrit; la cour de cassation dit que cette interprétation, fondée sur la commune intention des parties, ne saurait violer aucune loi (3).

II. La clause est de rigueur.

220. L'article 1717 porte que la clause qui interdit au preneur de sous-louer ou de céder son bail est toujours

(1) Paris, 6 août 1847 (Dalloz, 1847, 2, 174).

(2) Rejet, 28 juin 1859 (Dalloz, 1852, 1, 459).

(3) Rejet, 19 juin 1839 (Dalloz, au mot Louage, no 475, 1o).

de rigueur. C'est une dérogation à l'ancien droit. Les parlements s'étaient arrogé le pouvoir de modifier les conventions les plus explicites des parties contractantes. En conséquence, ils interprétaient la clause prohibitive de sous-louer en équité plutôt que d'après l'intention des parties. On la maintenait régulièrement dans les baux à ferme; dans les baux à loyer, on y dérogeait quand les circonstances où se trouvaient les parties lors du contrat venaient à changer; par exemple, si le locataire, obligé de quitter la ville, présentait un sous-preneur convenable. Dans ce cas, les parlements n'imposaient pas le sous-locataire au propriétaire, ils permettaient à celui-ci de résilier le bail; mais s'il voulait le maintenir, il devait consentir au sous-bail. Pothier, qui aime à décider en équité, approuve cette interprétation; il y voit une application du grand précepte de l'amour du prochain, qui est le principe fondamental du droit naturel; nous sommes obligés de consentir à toutes les choses qui, sans nous causer aucun préjudice, peuvent faire plaisir au prochain (1). C'est confondre la morale avec le droit. Les conventions forment une loi pour le juge comme pour les parties; elles doivent sans doute être interprétées dans un esprit d'équité, mais il ne faut pas que, sous prétexte d'équité, le juge rompe les conventions des parties pour leur en substituer d'autres qui lui paraissent plus équitables. A ceux qui voudraient subordonner le droit à l'équité dans la distribution de la justice, nous rappellerons ce cri de la conscience publique Dieu nous garde de l'équité des parlements! Les auteurs du code ont bien fait de maintenir la loi des conventions.

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221. De ce que la clause est de rigueur il faut se garder de conclure que les juges doivent s'en tenir à la lettre de la convention, sans pouvoir rechercher l'intention des parties contractantes. Les tribunaux ont toujours le droit et le devoir d'interpréter les conventions; le code veut même que, dans les conventions, ils recherchent quelle a

(1) Pothier, Du louage, no 283. Duvergier, t. I, p. 346, nos 362 et 363. Aubry et Rau, t. IV, p. 491, note 10, § 368, et les arrêts qu'ils citent.

été la commune intention des parties, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes (art. 1156). Qu'est-ce qui fait l'essence des contrats? C'est un concours de volontés; il faut donc voir avant tout ce que les parties ont voulu. Bail pour huit ans, avec défense de sous-louer. Dans la septième année, le locataire quitte et transporte une partie de ses meubles dans une maison qu'il avait achetée; il laisse dans les lieux loués un homme de confiance à ses gages et des meubles d'une valeur supérieure à celle des loyers à échoir. Le propriétaire demande que le locataire vienne lui-même habiter la maison et y rétablisse les meubles enlevés, sinon il conclut à la résiliation du bail. Il fonde sa prétention sur la clause du bail qui défend au preneur de sous-louer. Le premier juge accueillit cette étrange demande. En appel, il a été jugé que locataire qui cesse d'habiter personnellement la maison louée n'en est pas moins censé continuer de l'occuper luimême lorsqu'il n'y tient que des domestiques qui le représentent et dont il est responsable, sauf au propriétaire à prouver qu'il y a une sous-location déguisée (1).

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222. Mais la clause serait violée si le locataire tenait ou logeait des pensionnaires et, à plus forte raison, s'il louait des chambres garnies. Ce serait une sous-location partielle, et nous supposons que la prohibition est absoÎue; elle doit alors être appliquée dans toute sa rigueur (2).

223. L'application du principe a donné lieu à une difficulté de droit en ce qui concerne les sociétés de commerce, qui sont considérées comme des personnes civiles. Le bail consenti à une société lui interdit de sous-louer; la société se dissout et elle est remplacée par une société nouvelle, qui occupe les lieux loués. Ce qui, dans l'espèce jugée par la cour de cassation, compliquait la question, c'est que la société nouvelle était formée par plusieurs des anciens associés; de sorte que c'étaient toujours les mêmes personnes qui occupaient la maison, et elles continuaient

(1) Bordeaux, 11 janvier 1826 (Dalloz, au mot Louage, no 469. Duvergier. t. 1, p. 350, no 366, et tous les auteurs.

(2) Douai, 7 avril 1842, et Grenoble, 18 août 1807 (Dalloz, au mot Lovage, n° 278, 6o et 473.

le même commerce. En apparence, il n'y avait rien de changé; en réalité, il y avait un nouveau locataire. La cour d'Aix s'y trompa; elle décida que la clause prohibitive n'était pas violée. Sur le pourvoi, la décision fut cassée. Les deux sociétés, dit la cour de cassation, parfaitement indépendantes l'une de l'autre, ont formé deux personnes civiles entièrement distinctes, ayant des droits comme des obligations différentes. La conséquence était évidente; il en résultait que la seconde société, qui occupait les lieux loués, n'était pas celle à laquelle le bailleur avait consenti de donner sa fabrique à bail, et qu'une nouvelle personne civile avait été mise en possession des lieux et substituée au locataire primitif. Or, une telle substitution était implicitement interdite par la clause prohibitive de la faculté de sous-louer; et cette clause étant absolue et de rigueur, le bailleur pouvait, dans tous les cas, en réclamer l'exécution (1). L'espèce est remarquable: le propriétaire était sans intérêt aucun, mais il était dans son droit, et le droit est le plus grand des intérêts; les tribunaux ont pour mission de le maintenir.

224. Dans une espèce analogue, il est intervenu une décision différente, parce que les circonstances étaient différentes. Bail pour six ans d'une maison à trois négociants, avec interdiction de le céder sans l'agrément du bailleur. Pendant le cours du bail, une circulaire annonce au public que la société formée par les trois commerçants est dissoute; que l'un des associés se retire et que les deux autres forment une nouvelle société, pour la continuation du même commerce dans les mêmes locaux. Le bailleur demande la résiliation du bail. Cette demande a été rejetée par la cour de Bordeaux. Elle constate que le bail litigieux n'était pas consenti à une société; il n'y était pas même dit que les trois preneurs fussent associés. Cela était décisif: les personnes restant les mêmes, il n'y avait pas de substitution d'un nouveau locataire, comme dans l'espèce que nous venons de rapporter. Pourvoi en cassa

(1) Cassation, 2 février 1859 (Dalloz, 1859, 1, 80). Dans le même sens, Lyon, 7 avril 1859 (Dalloz, 1859, 2, 159).

tion. La chambre des requêtes l'admit, sans doute à raison de la grande analogie que présentait la décision de la cour de Bordeaux avec celle de la cour d'Aix, qui avait été cassée. La chambre civile établit la différence qui séparait les deux litiges, en rappelant les faits tels que l'arrêt attaqué les constatait; le bailleur n'avait pas entendu traiter avec une société, il avait loué à trois commerçants individuellement, sans égard aux rapports qui pouvaient exister entre eux. Dès lors peu importait que leur société fût dissoute, puisque deux des locataires continuaient à occuper les lieux loués au même titre qu'ils y étaient entrés. Il est vrai que le troisième locataire avait déclaré au propriétaire qu'il entendait résilier le bail en ce qui le concernait, en usant de la faculté de résilier que le bail stipulait en faveur des preneurs; mais cette déclaration était inopérante, elle aurait dû être faite par les trois locataires, l'un d'eux ne pouvait pas priver les autres de la jouissance du bail pendant le temps qui restait à courir, et il ne pouvait pas se dégager de ses obligations par sa seule volonté. Le bail était donc maintenu et contre le bailleur et contre celui des locataires qui voulait le résilier à son profit (1).

225. La clause prohibitive peut-elle être opposée aux créanciers du preneur qui, dans le cas prévu par l'article 2102 (loi hyp., art. 20, 1°), entendent user du droit que la loi leur accorde de relouer la maison ou la ferme? Non, puisqu'ils usent d'un droit que la loi leur donne. Nous reviendrons sur la question, au titre des Hypothèques.

III. Sanction de la clause.

226. L'article 1717 ne dit pas quelle est la sanction de la prohibition de sous-louer ou de céder le bail; cela était inutile, puisque l'article 1741 établit comme règle générale que le contrat de louage se résout par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements. Et cette disposition ne fait qu'appliquer au bail

(1) Rejet, chambre civile. 13 mars 1860 (Dalloz, 1860, 1, 113).

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