Page images
PDF
EPUB

cela seul qu'il y aurait un usage contraire? Non; s'agit-il d'un usage antérieur au code civil, il est abrogé; l'usage est-il postérieur, il n'a pas pu déroger à la loi; la seule exception est donc celle qui résulte de la convention des parties contractantes. L'exception pourrait, à la rigueur, être admise si elle résultait des faits, tels que l'exécution que les parties donnent à la convention. Dans l'espèce jugée par la cour de Bruxelles, on alléguait que le preneur avait toujours payé les loyers au domicile du propriétaire; la cour répond que le bail était trop récent pour que l'on puisse alléguer que le défendeur était dans l'usage de payer son loyer au domicile du bailleur; et que si même cet usage était établi, ce ne serait qu'un procédé qui ne pourrait détruire le droit du locataire (1). Le dernier considérant est peut-être trop absolu. Ce peut être un procédé, ce peut aussi être une convention tacite : le juge doit décider d'après les circonstances de la cause.

La question est très-importante lorsque le bail stipule que le contrat sera résolu de plein droit par le seul fait que le prix ne sera pas payé aux époques convenues. Si le loyer est portable, le bail sera résilié par cela seul que le locataire n'aura pas payé; mais si le loyer est quérable, il faut que le bailleur se présente chez le preneur pour le toucher, et c'est seulement quand il se sera présenté et que le preneur n'aura pas payé que le bail sera résolu (2). Il importe donc beaucoup de savoir s'il y a une convention qui déroge à la règle de l'article 1247. L'acte porte que le prix sera payable en mains du bailleur ou de son receveur, sans ajouter que ce sera au domicile du bailleur ou du receveur; il a été jugé que cette clause ne dérogeait pas à l'article 1247; on peut, en effet, l'interpréter en ce sens qu'elle avait pour objet d'autoriser le payement entre les mains du receveur; or, il est d'usage que les receveurs touchent le prix au domicile du locataire (3).

(1) Bruxelles, 10 février 1836 (Pasicrisie, 1836, 2, 24), sur les conclusions

de l'avocat général De Cuyper.

(2) Bruxelles, 5 août 1863 (Pasicrisie, 1864, 2, 234). (3) Liége, 3 juillet 1837 (Pasicrisie, 1837. 2. 173).

XXV.

17

238. Si l'acte stipule que le payement se fera au domicile du bailleur, et si celui-ci change de domicile pendant le cours du bail, le preneur sera-t-il obligé de payer au nouveau domicile? Nous avons examiné la question de principe, au titre des Obligations. Il a été jugé, conformément à l'opinion que nous avons admise, que le preneur n'était pas tenu de payer au domicile qu'il plairait au bailleur de prendre, parce que la condition du débiteur ne doit pas être aggravée par le fait du créancier. La convention ne pouvant plus recevoir d'exécution, les parties rentrent sous l'empire du droit commun et, par suite, le payement se fera au domicile du locataire (1). Si le bailleur veut que le payement continue à se faire au domicile qu'il avait lors du contrat, il doit élire un domicile dans la ville qu'il quitte. Il en serait de même, et par identité de raison, si le bailleur venait à mourir et que ses héritiers eussent un domicile différent de celui de leur auteur (2).

239. Comment se prouve le payement? D'après le droit commun. Dans l'ancienne jurisprudence, on admettait une présomption en vertu de laquelle les quittances de trois années consécutives établissaient une présomption du payement des années précédentes. Il est, en effet, probable que le créancier ne recevrait pas pendant trois années de suite les annuités qui lui sont dues, si les anciens arrérages n'avaient pas été payés. Le code n'ayant pas reproduit cette présomption, on ne peut plus l'admettre à titre de présomption légale, mais le juge pourrait se prévaloir de cette probabilité, comme de toute autre, dans les cas où la loi lui permet de décider d'après de simples présomptions, c'est-à-dire dans les cas où la preuve testimoniale est admise (art. 1353) (3).

La cour de cassation a appliqué ce principe dans l'espèce suivante. Un sous-locataire paye entre les mains du bailleur principal le loyer dû pour l'un des termes de l'année. Le sous-bailleur lui réclame les loyers échus antérieurement on demande si le sous-locataire pourra prou

:

(1) Gand, 28 avril 1846 (Pasicrisie, 1850, 2, 96).

(2) Bruxelles, 2 fevrier 1859 (Pasicrisie, 1859, 2, 95).

(3) Pothier, Du louage, no 179. Troplong, Du louage, no 378.

ver par simples présomptions que ces loyers sont acquittés et s'il peut, à ce titre, invoquer la probabilité résultant du payement du terme postérieur. Cette présomption avait été admise par le premier juge. L'erreur était évidente et la décision a dû être cassée; le montant de la créance litigieuse dépassait 150 francs, il n'y avait pas de commencement de preuve par écrit; donc la preuve par témoins n'était pas recevable et, par suite, le juge ne pouvait pas admettre de simples présomptions (1).

240. Aux termes de l'article 1726, le preneur a droit à une diminution proportionnée sur le prix du bail, lorsqu'il est troublé dans sa jouissance par suite d'une action concernant la propriété du fonds. Cela suppose que l'action a abouti à une éviction partielle. On demande si le seul fait du trouble autorise le preneur à suspendre le payement des loyers et fermages. L'article 1653 donne ce droit à l'acheteur; et, à raison de l'analogie qui existe entre la vente et le louage, il faut appliquer cette disposition au bail, sauf au bailleur à user, de son côté, du droit que ledit article donne au vendeur d'offrir caution (2).

241. Le preneur est tenu de payer le loyer pour toute la durée du bail, mais le loyer n'est dû qu'à raison de la jouissance; du moment que la jouissance devient impossible, le prix cesse d'être dû. Il en est ainsi lorsque la chose louée vient à périr, quand même la perte serait imputable au preneur; il devrait, dans ce cas, payer la valeur de la chose louée; mais, à partir de la perte, les loyers cesseraient de courir (3).

242. Quand le bailleur réclame le payement du prix, il arrive souvent que le preneur lui oppose des exceptions: tantôt une demande reconventionnelle, tantôt l'inexécution des obligations que le contrat impose au demandeur. Ces exceptions sont-elles recevables? Il faut distinguer. Il va sans dire que si le preneur a une créance liquide et

(1) Cassation, 18 juillet 1854 (Dalloz, 1854, 1, 311).

(2) Jugement du tribunal de Bruxelles, 13 février 1847 (Pasicrisie, 1854, 2,213).

(3) Comparez cassation, 26 nai 1868 (Dalloz, 1868, 1, 471).

exigible contre le bailleur, il peut invoquer la compensation. Mais si la créance n'est pas exigible, ou si elle n'est pas liquide, le preneur doit payer ce qu'il doit. Il est certain que la compensation ne peut pas être opposée quand la créance n'est pas exigible. Telles seraient les impenses que le preneur aurait faites sur l'immeuble; en supposant que, de ce chef, il ait droit à une indemnité, il ne peut la réclamer qu'à la fin du bail quand il s'agit de travaux d'amélioration; car le bailleur ne doit que la plus-value qui en résulte à l'époque où la chose louée lui est restituée (1). Si la dette n'est pas liquide, la compensation est également impossible; mais il y a lieu, dans ce cas, à une demande reconventionnelle; naît alors la question de savoir si cette demande peut être admise par le juge à titre de compensation facultative ou judiciaire. Nous avons examiné la question de principe, au titre des Obligations. Il a été jugé que le fermier actionné en payement du prix ne peut pas demander que le payement soit suspendu en réclamant des dommages-intérêts par voie de reconvention; dans l'espèce, il n'y avait pas de doute, car la prétention du fermier avait déjà donné lieu à des contestations, elle ne pouvait pas être jugée promptement; dès lors il devait payer, sauf à poursuivre la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour défaut de réparations (2).

243. La question est tout autre lorsque le fait de l'inexécution des engagements contractés par le bailleur est constant peut-il, dans ce cas, réclamer le payement du prix, alors qu'il ne remplit pas lui-même ses obligations envers le preneur? En principe, il faut décider que, le louage étant un contrat synallagmatique, l'une des parties ne peut pas contraindre l'autre à exécuter ses engagements quand elle-même ne satisfait pas aux obligations que le bail lui impose. C'est sur ce principe qu'est fondée la condition résolutoire tacite; or, si la partie à l'égard de laquelle le contrat n'a pas été exécuté peut en demander la

[merged small][ocr errors][merged small]

résolution, il serait contradictoire de l'obliger à l'exécuter. La cour de Bruxelles a appliqué ce principe au bail. Le preneur est tenu de payer le prix aux termes convenus; de son côté, le bailleur est obligé d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée; s'il ne fait pas les réparations nécessaires, pourrat-il néanmoins obliger le preneur à payer le prix? Celui-ci aurait le droit de demander la résolution du contrat; et s'il la demandait et que le tribunal la prononçât, il ne pourrait certes pas être question du payement des loyers. Alors même qu'il n'agit pas en résolution, il peut opposer à la demande du bailleur qu'il doit les loyers comme prix de la jouissance de la chose; or, si la chose louée n'est pas entretenue en bon état, il n'a pas la jouissance à laquelle il a droit: peut il être tenu de payer une jouissance que le bailleur s'est obligé de lui procurer, et qu'il ne lui procure point (1)?

Cette doctrine nous paraît incontestable, pourvu qu'il soit constant que le bailleur ne remplit pas ses engagements. Sa créance est certaine, et le preneur ne peut pas se dispenser de payer ce qu'il doit par la simple allégation que le bailleur a négligé de faire les réparations nécessaires. Si réellement le bailleur refuse de faire les réparations, le preneur doit constater son refus par une mise en demeure, afin de se procurer une preuve de l'inexécution des engagements du bailleur. Mais si le preneur n'a pas même réclamé l'exécution de ces obligations, et si l'inexécution est contestée, sans que le preneur précise des faits et en offre la preuve, le juge doit le condamner à payer les loyers.

La cour de Paris a fait une distinction; si le preneur continue à jouir de la plus grande partie de la chose louée, il doit payer le loyer (2). Cela nous paraît arbitraire. L'inexécution des engagements du bailleur, quand même elle ne serait que partielle, autorise le preneur à deman

(1) Bruxelles, 16 novembre 1831 (Pasicrisie. 1831, p. 293); 16 avril 1834 (Pasicrisie, 1834, 2. 90), et 27 mai 1835 (Pasicrisie, 1835. 2, 216). Rejet de la cour de cassation de Belgique, 26 juillet 1844 (Pasicrisie, 1844, 1, 222). (2) Paris, 4 juillet 1868 (Dalloz, 1868, 2, 247).

« PreviousContinue »