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de construire et de la connaissance que le bailleur en avait; or, ces faits sont par eux-mêmes des faits purs et simples. On objectait que c'était prouver contre et outre le contenu en l'acte, preuve que la loi ne permet pas de faire par témoins (art. 1341). L'objection n'était pas sérieuse. On ne prouvait pas contre l'acte, puisque le bail ne contenait aucune clause relative à la destination de la chose. On ne prouvait pas outre l'acte, car on ne faisait qu'interpréter l'intention des parties contractantes pour déterminer l'usage qui pouvait ou devait être fait de la chose louée (1).

NS 2. SANCTION.

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263. L'article 1729 sanctionne l'exécution des obligations que l'article 1728 impose au preneur; il est ainsi conçu Si le preneur emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail. » Cette disposition a donné lieu à des interprétations contradictoires, et chaque auteur déclare la sienne évidente; de sorte qu'il y a une erreur évidente d'un côté ou de l'autre, ce qui doit engager les interprètes à ne pas abuser du mot d'évidence. Il s'agit de savoir si l'article 1729 prévoit les deux obligations très-distinctes que l'article 1728, 1°, impose au preneur. Il doit d'abord jouir en bon père de famille; puis il est tenu d'user de la chose louée suivant sa destination. Chacune de ces obligations doit avoir sa sanction; et en quoi consiste la sanction des engagements bilatéraux? L'article 1184 le dit, c'est dans la résolution du contrat; l'article 1741 le répète et l'article 1729 applique le principe de la condition résolutoire aux obligations du preneur concernant la jouissance. La loi commence par dire que le bailleur peut faire résilier le bail si le preneur emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée : voilà la sanction de la

(1) Gand, 28 avril 1846 (Pasicrisie, 1850, 2, 96).

destination obligatoire de la chose louée. Puis elle ajoute que le bailleur peut encore demander la résiliation si le preneur emploie la chose à un usage dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur; voilà la sanction de l'obligation qui consiste à jouir en bon père de famille; la rédaction pourrait être plus claire et plus concise; toutefois le sens n'est guère douteux, nous n'osons pas dire qu'il est évident. Celui qui ne jouit pas en bon père de familie abuse, et l'abus est nécessairement un fait dommageable; de là une action en résiliation du bail fondée sur l'inexécution des engagements du preneur : quel en est le fondement? C'est le dommage causé par l'abus; s'il n'y avait pas de dommage, il n'y aurait pas d'abus, et on ne pourrait pas dire que le preneur a joui en mauvais père de famille. Il en est autrement quand le preneur emploie la chose à un autre usage que celui auquel elle a été destinée; dans ce cas, il viole la loi du contrat, et c'est à raison de cette violation que le bailleur peut agir en résolution, sans qu'il soit tenu de prouver que le changement de destination lui est préjudiciable (n°262); le bailleur ne fonde pas sa demande sur le dommage qui est résulté du changement de destination, il la fonde sur ce que le preneur a fait ce qu'il n'avait point le droit de faire (1).

Cette interprétation s'appuie sur le texte de l'article 1729; la loi emploie la disjonctive ou pour marquer qu'elle prévoit deux cas distincts. On a prétendu que le législateur s'est trompé, et qu'au lieu de la disjonctive ou, il faut mettre la conjonctive et. Cela est évident, dit Duranton; car si c'est suivant la destination de la chose que le preneur en use, il n'y a pas à examiner s'il en résulte ou non un dommage pour le bailleur, ce dommage n'est pas même supposable. Quoi! dit Marcadé, on ne peut pas supposer un usage dommageable quand le preneur emploie la chose à l'usage auquel elle a été destinée! N'estce pas un usage dommageable que celui que le preneur

(1) Aubry et Rau. t. IV, p. 482, note 8, § 367. Marcadé, t. VI. p. n° I, de l'article 1729.

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fait de la chose quand il en use en mauvais père de famille? Le fermier qui laisse envahir les terres par les mauvaises herbes, le locataire qui ne fait pas les réparations locatives, usent de la chose suivant sa destination, mais ils en usent mal; donc ils ne remplissent pas l'obligation qui leur incombe de jouir en bons pères de famille et, partant, il y a lieu à résiliation. Nous sommes étonné que Duvergier ait accepté l'interprétation de Duranton, tout en avouant qu'elle conduit à des conséquences inacceptables (1). D'abord elle change arbitrairement le texte de la loi, ce que l'interprète ne peut jamais faire, à moins qu'il ne soit prouvé que le législateur s'est trompé. Or, dans l'espèce, c'est l'interprète qui se trompe. Et l'erreur est grave, car voici à quoi elle aboutit : c'est que l'article 1729 ne prévoit qu'une hypothèse, celle d'un usage dommageable; d'où l'on devrait conclure que si le changement de destination n'est pas dommageable, il n'y a pas lieu à résolution. Ainsi la violation la plus manifeste de la loi du contrat ne permettrait pas au bailleur de demander la résolution du bail! Duvergier invoque, à l'appui de son opinion, le rapport que Mouricault a fait au Tribunat; le rapporteur se sert effectivement de la conjonctive et. Nous récusons cette autorité, les orateurs qui exposent les motifs d'un projet de loi n'ont pas le droit d'en altérer le texte; et s'ils le font, il faut dire qu'ils se trompent, en faisant dire à la loi le contraire de ce qu'elle dit; or, une erreur n'est pas une autorité.

I. Droit du bailleur en cas d'abus de jouissance.

264. Si le preneur fait de la chose un usage qui cause un préjudice au bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail (art. 1729). C'est l'application de l'article 1184 que la loi elle-même applique au bail dans l'article 1741. Le preneur qui fait de la chose un usage dommageable contrevient à l'obligation qu'il contracte de jouir en bon père de famille (art. 1728, 1°);

(1) Duranton, t. XVII. p. 74, note 2. Duvergier, t. II. p. 379, no 400.

par suite, le bailleur peut agir en résolution pour inexécution des engagements du preneur. A la rigueur, l'article 1729 était donc inutile. Pourquoi la loi prévoit-elie spécialement l'inexécution de l'un des engagements contractés par le preneur? C'est qu'elle donne, dans le cas d'abus prévu par l'article 1729, un pouvoir discrétionnaire au juge il peut résilier le bail ou ne pas le résilier, suivant les circonstances. Le juge a toujours un pouvoir d'appréciation quand la résolution du contrat est demandée pour cause d'inexécution des obligations de l'une des parties contractantes (art. 1184); mais ce pouvoir n'est pas discrétionnaire, la loi lui donne seulement le droit d'accorder un délai au débiteur; après ce délai, le juge doit prononcer la résolution du contrat si le débiteur n'exécute pas l'obligation. L'article 1729 va plus loin: le juge peut résilier le bail ou ne pas le résilier; il juge d'après les circonstances; la loi répète cette expression dans l'article 1766, où il est question de la résiliation du bail à ferme pour défaut d'exécution des engagements du bail. concernant la jouissance de la chose. Qu'est-ce que ces circonstances? Il s'agit du dommage que l'abus de jouissance cause au bailleur; or, le dommage peut être plus ou moins grave, il varie d'une espèce à l'autre; il peut aussi provenir d'une faute plus ou moins grave. De là la nécessité d'un pouvoir discrétionnaire, comme le dit trèsbien la cour de Gand: si la chose louée est d'une grande valeur, et si le dommage causé est relativement insignifiant, le juge doit rejeter la demande en résiliation; en résiliant le bail, il imposerait au preneur une peine hors de toute proportion avec la gravité de sa faute; il pourrait le ruiner, alors que l'équité n'exige que la réparation du dommage qu'il a causé au propriétaire. Dans l'espèce, le propriétaire se plaignait que le fermier avait détruit les racines principales de sept peupliers du Canada qui se trouvaient sur la limite d'une des parcelles louées; les arbres n'étaient pas morts, leur développement n'était que retardé, et ils étaient exposés à être renversés par le vent. Voilà le dommage et l'abus pour lesquels le propriétaire demandait la résiliation du bail! La cour lui alloua

250 francs de dommages-intérêts; aller plus loin, ditelle, et prononcer la résiliation du contrat, ce serait frapper le fermier d'une peine disproportionnée et, partant, injuste (1).

265. Les tribunaux doivent user du pouvoir que la loi leur donne avec prudence et en conciliant les intérêts opposés, car il n'y a que des intérêts en cause. Si l'abus de jouissance est de telle nature qu'il puisse être facilement réparé à la fin du bail, il n'y a pas lieu d'en prononcer la résiliation, puisque réellement le propriétaire ne souffre aucun préjudice, l'action qu'il a à la fin du bail suffit pour sauvegarder ses intérêts. C'est ce que la cour de Rennes a jugé dans une espèce que nous avons déjà citée. Le preneur, pour les besoins de son industrie, avait pratiqué une ouverture dans la terrasse formant le mur extérieur; il s'était permis, dit l'arrêt, de déplacer trois arbres des lieux où ils avaient été plantés par le propriétaire; il avait négligé de cultiver le jardin. La cour avoue que le locataire avait excédé les bornes de sa jouissance, mais il suffit qu'il soit reconnu qu'au moyen des réparations qu'il sera tenu de faire lors de sa sortie, le propriétaire n'éprouvera aucun dommage pour que le bail ne doive pas étre résilié (2).

Si les abus sont graves et de nature à se continuer pendant tout le cours du bail, la résiliation doit être prononcée. Une maison est louée à un ébéniste pour un prix de 2,000 francs. L'acte stipule que le preneur ne pourra faire un atelier au second étage, ni sous-louer les salons et appartements à des sociétés. Il fut constaté, pendant le cours du bail, que le locataire avait établi des ateliers dans des salons richement décorés. Cependant le premier juge refusa de prononcer la résiliation, en se fondant sur les termes de l'acte qui interdisaient seulement au preneur d'établir un atelier au second étage. L'argument était mauvais; le bail défendait aussi de louer les appartements et les salons à des sociétés, il supposait donc et il

(1) Gand, 3 février 1870 (Pasicrisie, 1870, 2, 116).

(2) Rennes. 28 janvier 1828 (Dalloz, au mot Louage, no 279). Rejet, 19 n.si 1825 (Dalloz, au mot Louage, no 300, 2o).

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