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vent nécessairement son intention de renoncer. En prin cipe, cela ne fait aucun doute, mais l'application soulève toujours des difficultés quand il s'agit d'une renonciation tacite. C'est au juge d'apprécier les faits d'où l'on prétend induire le consentement du propriétaire; il faut le consentement du créancier, car il n'y a pas de renonciation sans

consentement.

La jurisprudence confond parfois la renonciation tacite avec la renonciation présumée. Il est dit dans un bail que le preneur payera la prime d'assurance. Cette clause implique-t-elle renonciation du propriétaire à l'action en responsabilité de l'article 1733? En principe, non, puisque l'action contre la compagnie d'assurances et l'action contre le locataire sont deux droits différents, ayant une cause différente et produisant des effets différents (n°286). La cour de Bordeaux l'a jugé ainsi dans une espèce où il n'y avait aucun doute et qui montre que le payement de la prime n'a, en lui-même, rien de commun avec le droit du propriétaire contre le locataire. Le bail mettait aussi les impôts de toute nature à charge du preneur; ce qui prouve, dit la cour, que le bailleur voulait uniquement se décharger du payement de la prime et des contributions; c'était une augmentation de loyer, ce qui n'implique aucune intention de renoncer à un droit aussi considérable que celui de l'article 1733. Ce motif suffisait pour décider la question en faveur du propriétaire. La cour ajoute que les renonciations doivent être expresses et qu'on ne peut pas présumer celle du bailleur (1). Voilà la confusion que nous venons de signaler. La cour semble croire que toute renonciation qui n'est pas expresse est présumée, ce qui est une erreur; la renonciation ne doit pas être expresse, elle peut être tacite, mais jamais on ne la présume.

291. Nous ne disons pas que la renonciation du bailleur ne peut jamais résulter de la clause qui met à la charge du preneur le payement de la prime d'assurance; tout dépend de l'intention des parties contractantes et,

(1) Bordeaux, 28 novembre 1854 (Dalloz, 1855, 2, 189). Comparez Metz, décembre 1854 (Dalloz, 1855, 2, 197).

par conséquent, des circonstances du fait. La cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre un arrêt qui avait admis la renonciation tacite du propriétaire dans une espèce où le locataire s'était obligé de supporter une portion de la prime d'assurance; il y avait d'autres faits qui, par leur ensemble, prouvaient que le bailleur s'était contenté de son action contre la compagnie, en renonçant à tout recours contre les locataires (1). Nous croyons inutile de reproduire les faits, parce qu'ils varient nécessairement d'une cause à l'autre; le principe suffit, c'est au juge d'en faire l'application avec intelligence.

Dans cette même affaire, il se présentait une autre difficulté Qui peut renoncer? Il n'y a que le propriétaire, capable de disposer de ses biens, qui ait le droit de renoncer. C'est une règle générale qu'il faut appliquer à la renonciation du bailleur. Dans l'espèce, c'était un mandataire du propriétaire qui avait renoncé. Il est certain que le mandat de louer ne donne pas le droit de renoncer à l'action du bailleur contre le locataire; mais le mandataire avait une procuration générale, contenant même le pouvoir de vendre l'immeuble loué; il en pouvait donc disposer à titre onéreux; or, la renonciation n'avait pas été consentie à titre gratuit, elle formait une des conditions du bail. Dans ces circonstances, le mandataire avait qualité de consentir la renonciation.

V. De la responsabilité des colocataires.

292. S'il y a plusieurs locataires, tous sont solidairement responsables de l'incendie » (art. 1784). Cette responsabilité donne licu à bien des objections. On suppose qu'il est tout à fait incertain par la faute duquel des locataires le feu a pris; Pothier en concluait qu'il n'y avait contre aucun une présomption de faute pouvant servir de fondement à la demande du propriétaire. Cette opinion n'a pas été admise: un arrét du parlement do Paris décide que dans l'incertitude où l'on est sur le point

(1) Rejet, 28 janvier 1868 (Dalloz, 1868, 1, 483).

de savoir chez qui l'incendie a commencé, tous les loca taires devaient être tenus des dommages-intérêts. Cette responsabilité, qui pèse nécessairement sur des locataires qui ne sont pas en faute, est déjà bien rigoureuse, et nous comprenons que Pothier ait reculé devant une pareille iniquité. Le code civil renchérit encore sur la rigueur de l'ancienne jurisprudence: non-seulement les locataires sont tous responsables, mais ils répondent solidairement des dommages-intérêts. Cette innovation a été l'objet de vives critiques, lors de la communication du projet de code civil aux cours d'appel. Nul ne peut être obligé sans son consentement, disait la cour de Colmar, et la loi ne peut jamais obliger personne à courir des risques qu'on ne peut éviter, à moins qu'on ne s'y oblige volontairement. Il n'est pas possible, disait la cour de Lyon, d'établir la solidarité entre des locataires choisis, sans la participation et souvent contre le gré les uns des autres, par un propriétaire qui a pu leur permettre des professions dangereuses. Au conseil d'Etat, on reproduisit ces objections; l'intérêt des propriétaires l'emporta.

On comprend la responsabilité divisée des locataires. Chacun doit restituer au propriétaire les lieux qu'il a loués et prouver, par conséquent, le cas fortuit qui le libère c'est le droit commun pour tout débiteur d'un corps certain et déterminé. Mais la solidarité ne se conçoit pas, car le locataire tenu pour le tout répond pour ses colocataires, ce qui est contraire à tout principe. Vainement le rapporteur du Tribunat dit-il que c'est aux locataires à se surveiller mutuellement. Les locataires ne peuvent pas être obligés à une surveillance qu'ils n'ont pas le droit ni le moyen d'exercer (1).

293. La solidarité prononcée par l'article 1734 estelle une vraie obligation solidaire? On a soutenu que ce n'est qu'une responsabilité solidaire, laquelle ne produit pas tous les effets de la solidarité (2). Nous renvoyons à ce qui a été dit, au titre des Obligations, sur cette difficile

(1) Troplong, nos 374-377. Duvergier, t. I, p. 427, no 422. (2) Aubry et Rau, t. IV, p. 485 et note 24, § 367.

question. A notre avis, il s'agit d'une véritable solidarité. Il faut notamment appliquer aux colocataires ce que l'article 1214 dit des codébiteurs solidaires : le colocataire qui a payé les dommages-intérêts pour le tout ne peut répéter contre les autres que les part et portion de chacun d'eux. On prétend que les tribunaux pourraient répartir la dette entre les locataires dans une autre proportion, fondée sur la probabilité de faute, et on cite, comme des circonstances qui aggravent la responsabilité des loca taires, l'étendue des lieux loués, les dangers plus grands de feu auxquels une partie de la maison est exposée, la profession et les habitudes de ceux qui occupent les divers appartements. Nous rejetons cette exception que quelques auteurs apportent à la règle consacrée par l'article 1214: il n'appartient pas aux interprètes de déroger à la loi, car ce serait faire la loi, et, dans l'espèce, on la fait évidemment et on la fait mal; en effet, on établit des présomptions arbitraires; celui qui occupe un grand appartement n'est pas tenu à plus de soins que celui qui n'occupe qu'une chambre,, s'il n'y a de feu que dans une place. D'ailleurs la solidarité est fondée sur une obligation réciproque de surveillance, et celle-là n'a certes rien de commun avec les présomptions arbitraires que l'on établit contre tel ou tel locataire. C'est en définitive une exception à une disposition exceptionnelle, cela suffit pour la rejeter. Telle est aussi l'opinion commune (1). Elle est consacrée par un arrêt bien motivé de la cour de Colmar : - Une telle appréciation, dit-elle, essentiellement hypothétique et conjecturale, aurait pour résultat de créer des distinctions purement arbitraires dans la répartition d'une responsabilité qui, découlant pour tous les locataires d'un même principe, doit s'imposer à chacun d'eux dans la même proportion (2).

"

294. La responsabilité solidaire des locataires cesse dans deux cas. D'abord lorsqu'ils prouvent que l'incendie a commencé dans l'habitation de l'un d'eux, auquel cas

(1) Colmet de Santerre, t. VII, p. 266, nos 180 bis IV et V; Duranton, t. XVII, p. 82, no 110; Duvergier, t. I, p. 429, no 423.

(2) Colmar, 2 février 1871 (Dalloz, 1870, 2, 100).

XXV.

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celui-là seul en est tenu (art. 1734). On ne peut expliquer la responsabilité solidaire des locataires que par ce motif de fait plutôt que de droit, qu'il est impossible de prouver quel est celui chez lequel l'incendie a commencé, et qui, par suite, est présumé n'avoir pas conservé la chose avec les soins d'un bon père de famille. Si l'on prouve que le feu a pris dans l'habitation de l'un d'eux, il est prouvé par cela même que c'est ce dernier locataire qui a failli à l'obligation de conserver la chose, lui seul doit donc être responsable. Ainsi, dans cette hypothèse, la responsabilité des autres locataires cesse entièrement.

La responsabilité cesse encore partiellement au profit de ceux des locataires qui prouvent que l'incendie n'a pu commencer chez eux; ils ne sont pas tenus, dit l'article 1734; tous les autres restent tenus. Par exemple, le feu a pris dans l'aile droite du bâtiment, ceux qui habitent l'aile gauche seront déchargés de la responsabilité. La loi ne déterminant pas le genre de preuves que les locataires doivent ou peuvent fournir, il faut en conclure que les juges apprécieront (1).

VI. Propriétaire et locataires.

295. Le propriétaire habite une partie de la maison; cette circonstance fait-elle cesser la responsabilité du locataire, ou le propriétaire conserve-t-il l'action que l'article 1733 lui donne contre le preneur? et s'il y a plusieurs locataires, le bailleur peut-il les poursuivre solidairement? La question est controversée et les doutes ne manquent point.

Il faut d'abord préciser la difficulté. Pour qu'elle se présente, on doit supposer que l'on ignore ou qu'on ne peut pas prouver chez qui l'incendie a commencé. Si les locataires prouvent que l'incendie a commencé chez le propriétaire, dans les lieux qu'il habite, ils cessent d'étre responsables; en effet, ils peuvent invoquer l'article 1734

(1) Comparez Colmet de Santerre, t. VII, p. 265, no 180 bis II.

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