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corps certains et déterminés. En ce sens, on peut dire que l'article 1733 est applicable à notre espèce, mais avec une modification qui résulte de la nature des choses; l'article 1733 suppose un seul locataire occupant toute la maison, et par suite il décide, en termes absolus, que le preneur répond de l'incendie; tandis que nous supposons qu'une partie de la maison est habitée par le propriétaire ; donc le locataire, en supposant qu'il n'y en ait qu'un, ne répond de l'incendie que pour la partie de la chose qu'il doit conserver et rendre; et s'il y a plusieurs locataires, chacun d'eux répond de la partie qu'il a louée et qu'il doit

restituer.

299. L'opinion que nous venons d'énoncer est isolée; la plupart des auteurs enseignent que le bailleur n'a aucune action contre les locataires, lorsqu'on est dans une incertitude complète sur l'endroit où le feu a commencé. Mais, d'accord sur la décision, ils sont loin de s'accorder sur les motifs de décider; c'est cependant là le point essentiel. Duvergier dit que l'article 1733 ne peut pas être appliqué, parce que c'est une disposition exceptionnelle, même en ce qui concerne le principe de responsabilité (n° 277). Cette opinion est rejetée par tous les auteurs; Aubry et Rau ont donc tort de s'en prévaloir à l'appui de leur doctrine, car ils partent d'un autre principe; aussi leur raison de décider diffère-t-elle entièrement de celle de Duvergier. Ils admettent que les locataires restent soumis à la présomption de faute établie par les articles 1733 et 1734. Mais, d'après eux, cette même présomption milite contre le bailleur comme habitant la maison; et les effets de cette double présomption se neutralisent (1). Ces motifs suffisent, à notre avis, pour faire rejeter l'opinion qui s'y appuie. D'abord, il n'est pas exact de dire que les locataires restent sous le coup de la présomption absolue des articles 1733 et 1734, lorsqu'une partie de la maison est habitée par le propriétaire; nous croyons avoir démontré le contraire (nos 296 et 297). Ce qui n'est pas dou

1) Duvergier, t. I, p. 429, no 425. Aubry et Rau, t. IV, p. 486, note 27, $ 367.

teux, c'est qu'il n'y a aucune présomption à charge du propriétaire. Comment y aurait-il une présomption légale contre lui, alors que la loi ne prévoit même pas le cas où le propriétaire habite la maison avec ses locataires? Il y aurait donc une présomption sans loi! Les articles 1732, 1733 et 1734 ne parlent que des locataires, et quand on essaye de les appliquer au propriétaire, on aboutit à une absurdité: c'est qu'un propriétaire, qui n'est tenu ni à conserver ni à restituer la chose qu'il occupe en vertu de son droit de propriété, réponde néanmoins de l'incendie de cette chose à l'égard des locataires, envers lesquels il n'a d'autre obligation que celle de les faire jouir. S'il n'y a pas de présomption contre le propriétaire, et si les présomptions des articles 1733 et 1734 ne s'appliquent qu'au cas où le propriétaire n'habite pas la maison louée, qu'en faut-il conclure, sinon que la question doit être décidée d'après les principes généraux?

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300. Nous ne poursuivons pas cette discussion; si nos principes sont exacts, ils suffisent pour répondre à ce que disent Troplong et Marcadé. La cour de cassation s'est prononcée pour l'opinion de ces auteurs; c'est un préjugé considérable contre notre doctrine; l'arrêt a été rendu par la chambre civile, après délibéré en la chambre du conseil, au rapport de Pascalis et sur les conclusions conformes de l'avocat général; il importe de s'y arrêter. La cour commence par poser en principe que les articles 1733 et 1734 supposent, tant par leur esprit que par leur texte, que le bâtiment dans lequel l'incendie a eu lieu est occupé par un ou plusieurs locataires; c'est pour ce cas seulement que ces articles ont établi une présomption de faute, en vertu de laquelle la responsabilité de l'incendie pèse de droit sur les locataires, au profit du propriétaire ». Nous arrêtons la cour à son point de départ; elle formule le principe en termes trop restrictifs, ce qui fait croire qu'il s'agit d'une exception au droit commun; cela est vrai de l'article 1734, cela n'est pas vrai de l'article 1733, lequel ne fait qu'appliquer au bail la règle de l'article 1302. « Une telle présomption, continue la cour, est donc modifiée lorsque le propriétaire occupe

lui-même une partie de la maison; il est alors membre d'une communauté dans laquelle sa propre responsabilité le prive du bénéfice exceptionnel résultant du principe écrit dans les articles 1733 et 1734, quand il ne prouve point que l'incendie n'a pu commencer dans les lieux habités par lui (1). » Ce considérant est en opposition avec les principes les plus incontestables. Dire que le propriétaire entre dans une communauté lorsqu'il occupe une partie de sa maison, dont l'autre est habitée par des locataires, c'est dire qu'il a les mêmes droits et les mêmes obligations que ces locataires, du moins en ce qui concerne la responsabilité de l'incendie. Or, cela est certainement inexact. Les locataires sont obligés de conserver la chose d'autrui dont ils jouissent, tandis que le propriétaire n'a aucune obligation quant à la conservation de la chose qui lui appartient. Les locataires sont tenus de restituer la chose, et c'est parce qu'ils ne la restituent pas qu'ils sont responsables de la perte; le propriétaire, au contraire, ne devant rien restituer, ne saurait être responsable de la perte de la chose. Il n'y a donc pas de lien commun entre le propriétaire et les locataires; la loi établit une certaine communauté entre les locataires, puisqu'elle les déclare solidairement responsables; mais elle n'établit certes pas une communauté entre le propriétaire et les locataires, puisqu'elle ne parle pas du propriétaire; et peut-on songer à étendre une communauté telle que celle de l'article 1734, alors que, de l'aveu de tous, la solidarité qui en résulte est une anomalie injuste et inexplicable? La cour part donc d'un faux principe en disant que le propriétaire est responsable; il ne peut pas être responsable comme débiteur conventionnel, car il n'est pas débiteur de la chose; s'il encourt une responsabilité, c'est quand, par son fait et sa faute, il cause un dommage aux locataires; c'est la responsabilité de l'article 1382, qui n'a rien de commun avec la responsabilité de l'incendie dont traitent les articles 1733 et 1734. La cour de cassation

(1) Rejet, 20 novembre 1855 (Dalloz, 1855, 1, 457). Comparez Grenoble. 20 avril 1866 (Dalloz, 1866, 5, 287); Chambéry, 13 avril 1866 Dalloz, 1866.* 5.288).

qualifie cette responsabilité des locataires de bénéfice exceptionnel; voilà la fausse conséquence à laquelle abontit le faux principe qui sert de point de départ à toute cette argumentation. La cour confond: la solidarité de l'article 1734 est une exception, mais la responsabilité de l'article 1733, loin d'être exceptionnelle, ne fait qu'appli quer au preneur la responsabilité qui pèse sur tout débiteur d'un corps certain. La cour de cassation elle-même l'a jugé ainsi (no 278), et cela ne fait aucun doute. Puisque le preneur répond de l'incendie, en vertu du droit commun, il reste à voir s'il est déchargé de sa responsabilité par le fait que le propriétaire habite la maison. Les raisons que la cour donne pour enlever au propriétaire l'action qu'il a en vertu du droit commun sont mauvaises. Celle que les éditeurs de Zachariæ ajoutent (n° 299) n'est guère meilleure; nous en cherchons vainement une qui dispense le locataire de veiller sur la chose quand le propriétaire occupe une partie de la maison est-ce que par hasard le locataire n'est pas tenu de restituer la chose louée au propriétaire? et sa responsabilité n'est-elle pas une conséquence directe de cette obligation de restitution (1)?

301. Il s'est présenté un cas dans lequel la communauté dont parle la cour de cassation semblait être une réalité. L'incendie commença dans une partie de la maison dont la jouissance était commune entre le proprié taire et le locataire. Il a été jugé que, dans ce cas, la présomption de faute établie par l'article 1733 contre le preneur cesse d'être applicable. Cette présomption suppose, dit la cour de Lyon, que le locataire a la jouissance exclusive des lieux où le feu a pris ; si le feu prend dans une partie de la maison dont le propriétaire et le locataire jouissent en commun, on peut appliquer la présomption de faute à l'un et à l'autre; c'est dire que la présomption à charge du locataire est neutralisée par

la

(1) Un arrêt récent de la chambre civile décide que le propriétaire qui habite la maison peut invoquer les articles 1733 et 1734, done même s responsabilité solidaire des locataires, lorsqu'il prouve que l'incendie n's pas commencé dans les lieux qu'il occupait (cassation, 15 mars 1876. Dalfoz, 1876, 1, 153).

présomption qui est à charge du propriétaire (1). A notre avis, la décision repose sur une supposition erronée. Il n'est pas exact de dire que le propriétaire est présumé en faute lorsque l'incendie éclate dans des lieux dont il s'est réservé la jouissance, car il en jouit, non comme locataire, mais comme propriétaire; or, il n'y a pas de loi qui établisse une présomption de faute contre le propriétaire qui jouit d'une chose dont il a la propriété. A vrai dire, il n'y a pas même communauté de jouissance, car les deux communistes jouissent à des titres essentiellement différents, l'un, comme locataire, tenu de conserver et de restituer, l'autre, comme maître, qui, à ce titre, n'est tenu ni de conserver ni de restituer. Cela est décisif. Le locataire reste sous le coup de la présomption que l'article 1733 établit contre lui, en ce sens qu'il est tenu de conserver et de restituer les lieux où l'incendie a éclaté; il ne peut s'affranchir de cette responsabilité qu'en prouvant que l'incendie ne lui est pas imputable; et il ne peut avoir de recours contre le propriétaire qu'en prouvant que celui-ci est en faute, car il n'a d'action contre lui qu'en vertu de l'article 1382, c'est-à-dire en vertu d'un quasidélit; ce qui implique une faute de l'auteur du fait dommageable, et c'est naturellement au demandeur de prouver la faute qui est le fondement de sa demande. Telle est la rigueur du droit, il faudrait une loi pour la modifier; mais, dans le silence de la loi, les parties y peuvent dé

roger.

301 bis. La jurisprudence n'est pas unanime sur la question décidée par la cour de cassation contre le propriétaire. Il y a un arrêt de la cour de Lyon qui maintient la disposition exceptionnelle de l'article 1734 contre le locataire, en ajoutant une restriction à la loi. Lorsque, dit la cour, il est impossible de savoir où l'incendie a pris naissance, la responsabilité s'étend sur le propriétaire qui habite une partie de la maison, et qui est considéré alors comme locataire; la cour en conclut que le propriétaire supporte sa part des dommages et qu'il ne peut de

(1) Lyon, 18 janvier 1861 (Dalloz, 1861, 2, 182).

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