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compte, non des produits industriels de l'usine, mais des loyers pendant tout le temps de leur indue possession (1). Dans l'espèce, la décision pouvait être très-juste, les dommages-intérêts étant une question de fait. Mais il nous semble que la cour a eu tort de décider en droit que le preneur doit les loyers à titre de possession indue. Il n'est plus preneur, il est tenu des dommages-intérêts que l'indue jouissance cause au propriétaire, et ce dommage peut dépasser de beaucoup le montant des loyers.

342. La partie qui a donné le congé et celle qui l'a reçu peuvent renoncer à l'effet que le congé produit. Il empêche, en principe, la réconduction; mais si, malgré le congé, le preneur reste en possession et que le bailleur l'y laisse, et si cette jouissance se prolonge de manière que l'intention certaine des parties soit de faire un nouveau bail, leur volonté l'emportera sur le congé; il en résultera qu'elles renoncent aux effets du congé; cette renonciation est parfaitement valable, puisqu'il ne s'agit que de leur intérêt privé. La difficulté est de prouver qu'il y a intention tacite de renouveler le bail, malgré le congé. C'est une question de fait. La doctrine et la jurisprudence sont d'accord sur ce point (2). Dans une espèce jugée par la cour de Liége, le preneur était resté en possession pendant toute une année après le congé; et, ce qui était décisif contre le bailleur, c'est que celui-ci avait donné une suite partielle au congé; en l'exécutant pour une partie des biens loués, il manifestait la volonté de renouveler le bail pour les autres biens dont il laissait la jouissance au preneur. La renonciation était certaine, bien que le bail eût stipulé que la réconduction tacite ne pourrait avoir lieu (3).

343. La tacite réconduction peut être empêchée par une clause du bail qui la prohibe. Cette prohibition est valable, les parties étant libres de faire telles conventions que bon leur semble. Celle-ci prévient bien des contesta

(1) Rejet, chambre civile, 7 avril 1857 (Dalloz, 1857, 1, 171).

(2) Duvergier, t. I, p. 522, no 504. Aubry et Rau, t. IV, p. 499, note 22, § 369.

(3) Liége, 3 juillet 1843 (Pasicrisie, 1843, 2, 17).

tions. Si, à la fin du bail, les parties sont d'accord pour renouveler le bail, elles peuvent manifester leur volonté par écrit, comme elles l'ont fait pour le bail originaire, ce qui prévient toute difficulté. Si elles gardent le silence, il n'y aura pas, en général, de tacite réconduction. Toutefois la clause prohibitive n'empêche pas d'une manière absolue la réconduction tacite; les parties peuvent renon cer à la prohibition, comme elles peuvent renoncer aux effets du congé (no 342) (1). La prudence conseille sans doute de dresser un écrit qui constate leur volonté, mais les procès auxquels la réconduction donne lieu témoignent que très-souvent les parties dérogent, en fait, à leurs conventions écrites. De là de nouvelles difficultés.

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D'abord il est plus difficile de constater la volonté des parties intéressées; la clause prohibitive proteste d'avance contre l'effet que l'on voudrait attacher à la possession continuée du preneur; la volonté expresse, dira-t-on, l'emporte sur la volonté tacite. On répond, et cela n'est pas douteux en droit, que c'est la dernière expression de la volonté qui doit l'emporter, peu importe qu'elle soit expresse ou tacite (2). La difficulté n'est donc que de fait. Une fois qu'il est décidé qu'il y a tacite réconduction, faut appliquer les principes qui la régissent, notamment quant au prix; c'est le prix du premier bail que le preneur doit continuer à payer. Cela a été contesté. Le fermier alléguait une convention verbale, et demandait, en cas de dénégation du bailleur, que le prix fût fixé par une expertise, conformément à l'article 1716. C'était mal interpréter la loi. L'article 1716 suppose un premier bail fait sans écrit, c'est-à-dire un bail verbal dont l'exécution a commencé; la loi veut que, dans ce cas, le propriétaire en soit cru sur son serment, si mieux n'aime le locataire demander l'estimation par experts. Le cas prévu par ticle 1738 est tout autre. Il y a eu un bail, écrit ou non, peu importe, fixant le terme de la convention; à l'expiration de ce premier bail, il se forme une réconduction ta

(1) Liége, 23 juin 1848 (Pasicrisie, 1850, 2, 218). (2) Duvergier, t. I, p. 22, no 23.

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cite à quelles conditions? L'article 1759 répond: Aux conditions du bail qui vient d'expirer. Il y a donc une convention tacite quant au prix, par cela même qu'il y a une convention tacite quant au bail. Dès lors il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 1716. Sans doute il peut y avoir une nouvelle convention quant au prix, mais c'est à celui qui l'invoque à la prouver, d'après les règles du droit commun (1).

344. Peut-il y avoir d'autres actes qui empêchent la tacite réconduction? En théorie, l'affirmative n'est pas douteuse. Tout acte qui exclut l'intention de relouer à l'ancien preneur, ou de reprendre la chose à bail exclut par cela même la tacite réconduction. Le bailleur, avant l'expiration du bail, a loué la chose à un autre preneur, ou le preneur a pris à bail une autre maison pour l'époque où doit cesser son contrat. Ces faits prouvent que le bailleur et le preneur ne veulent pas faire de réconduction tacite. Il y a cependant une difficulté. On suppose que le bailleur a reloué la chose à un autre preneur. Mais l'ancien preneur ignore l'existence de ce bail; il reste en possession, et le bailleur l'y laisse pendant quelque temps: y aura-t-il réconduction tacite? A notre avis, non; en effet, la réconduction tacite est un contrat qui exige le concours des volontés du bailleur et du preneur. Dans l'espèce, le preneur consent, mais le bailleur ne consent point; donc il ne peut se former de convention. On objecte que l'article 1739 suppose que le preneur est averti par un congé de l'intention du bailleur; et on en conclut que la relocation consentie par le bailleur n'empêchera la tacite réconduction que si elle est parvenue à la connaissance du preneur (2). C'est mal interpréter l'article 1739; il n'impose pas au bailleur l'obligation de signifier un congé, c'est une simple faculté dont il peut ne pas user; on n'en peut donc pas induire que la volonté manifestée par l'une des parties de ne pas relouer doit être connue de l'autre pour empêcher la tacite réconduction; il n'y a

(1) Liége, 30 septembre 1826 (Pasicrisie, 1826, p. 248), et 5 mars 1870 (Pasicrisie, 1870. 2, 144).

(2) Colmet de Santerre, t. VII, p. 275, no 185 bis II.

pas de bail tacite dès que l'une des parties ne consent pas à le former. Pothier avoue qu'il n'y a pas de tacite réconduction, et que néanmoins le propriétaire doit laisser jouir l'ancien locataire, comme s'il y avait un bail tacite; parce qu'en ne l'avertissant pas de sortir dans la huitaine, comme le voulait la coutume d'Orléans, il l'a induit en erreur, en lui donnant lieu de croire qu'il y avait tacite réconduction et lui a fait manquer l'occasion qu'il aurait pu avoir de se pourvoir d'une autre maison (1). Cela est contradictoire; s'il n'y a pas de bail, il ne peut pas y avoir d'obligation pour le propriétaire de laisser en possession l'ancien preneur, qui a cessé d'être preneur et qui est sans droit aucun; c'est une de ces décisions fondées sur l'équité que Pothier aime et que les interprètes du code ne peuvent plus suivre, parce qu'ils sont liés par des textes.

No 2. Effet DE LA RÉCONDUCTION TACITE.

345. La réconduction tacite est un nouveau bail (article 1738). Quelles en seront les conditions? L'article 1759 répond que le locataire sera censé occuper les lieux aux mêmes conditions, sauf la durée du bail, qui est réglée par l'usage des lieux. Il est naturel que les conditions de l'ancien bail soient maintenues, quoiqu'il se forme un nouveau contrat; les parties qui consentent tacitement à faire un nouveau bail, consentent par cela même à le faire aux conditions qui régissaient l'ancien bail, car on ne peut pas faire de bail sans régler les conditions essentielles requises pour qu'il y ait bail. Il en est ainsi notamment du prix. Si l'intention des parties était de modifier le prix, elles s'en seraient expliquées; par cela seul qu'elles gardent le silence, elles maintiennent le prix stipulé par le bail qui vient d'expirer. L'article 1738 a cependant donné lieu à une légère difficulté que nous avons déjà rencontrée (no 343). Il porte que « l'effet du nouveau bail est réglé par l'article relatif aux locations faites sans écrit. On a conclu de là qu'il fallait appliquer l'arti

(1) Pothier, Du louage, no 350.

cle 1716, qui permet au preneur de demander une expertise pour déterminer le prix d'un bail verbal, c'est-à-dire d'un bail fait sans écrit, comme le dit l'article 1715, dont l'article 1716 est une suite. C'est une erreur que la cour de Caen a repoussée (1); elle provient de la mauvaise expressión dont le code se sert, au titre du Louage, pour désigner les baux qui ont ou n'ont pas de durée fixe. Un bail sans écrit signifie un bail dont la durée n'est pas déterminée par la convention des parties telle est la tacite réconduction de l'article 1738; la fin de cet article, dont on s'est prévalu pour déterminer le prix par expertise, ne concerne que la durée du nouveau bail. Quant aux articles 1715 et 1716, qui parlent aussi d'un bail écrit ou verbal, ils n'ont rien de commun avec la locution vicieuse des articles 1736 et suivants; ils ont pour objet de régler la preuve des baux qui ne sont pas constatés par écrit; il faut les écarter, ils sont étrangers à notre question; celleci est formellement tranchée par l'article 1759; les conditions de l'ancien bail sont maintenues, donc aussi celle du prix. La loi ne contient pas de disposition analogue pour les baux à ferme; mais la décision doit être la même, parce que les motifs de décider sont identiques; c'est la convention tacite des parties qui, en renouvelant le bail, le renouvellent aux mêmes conditions, puisqu'elles n'y apportent aucun changement. Elles peuvent sans doute les changer, mais c'est à celle qui prétend qu'elles ont été modifiées d'en faire la preuve d'après le droit commun.

346. Ce que nous disons du prix s'applique à toutes les conditions du bail; l'article 1759 est général et ne comporte aucune distinction; quand même les conditions dérogeraient au droit commun, les parties sont censées les maintenir, par cela seul qu'elles ne manifestent pas de volonté contraire. La loi ne fait qu'une exception, et cette exception confirme la règle : elle concerne la durée du bail; le nouveau bail n'est pas censé fait pour la durée de l'ancien bail. Comme c'est un bail fait sans écrit, la loi applique le principe qui régit les baux faits sans écrit,

(1) Caen, 23 mai 1842 (Dalloz, au mot Louage, no 584, 2o).

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