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c'est-à-dire sans durée fixée par le contrat. Cela est trèscontestable. Sur quoi est fondée la réconduction tacite? Sur la volonté des parties contractantes; en renouvelant le bail, elles manifestent l'intention tacite de le renouveler aux mêmes conditions. Entendent-elles faire une différence entre ces conditions, maintenir les unes et ne pas maintenir les autres? Cela n'est pas probable. C'est l'ancien bail tout entier qu'elles entendent renouveler, done quant à sa durée aussi bien que quant aux autres conditions. Il suit de là que la réconduction tacite implique une convention sur la durée du bail, c'est donc un bail fait pour un terme fixé par les parties; dès lors, il n'y avait pas lieu d'appliquer les dispositions relatives aux baux sans écrit, c'est-à-dire sans durée fixe.

347. Que faut-il dire des garanties stipulées dans le premier bail? Passent-elles à la réconduction tacite? Si l'on ne tenait compte que de l'intention des parties, l'affirmative serait évidente; le bailleur entend certes jouir des mêmes garanties dont il jouissait en vertu du bail originaire. Mais ici l'intention des parties ne suffit point; les principes de droit s'opposent à ce que les garanties passent d'un bail à l'autre. L'article 1740 le dit du cautionnement: << La caution donnée pour le bail ne s'étend pas aux obligations résultant de la prolongation. »Vainement le bailleur dirait-il qu'il n'a pas entendu renoncer aux sûretés du premier bail; la caution ne s'est obligée que pour un bail d'une durée fixée par le contrat; ce contrat cesse de plein droit à l'expiration du terme et, avec l'obligation principale, l'obligation accessoire cesse également. S'il se forme un nouveau bail, c'est par le consentement tacite des parties contractantes; ce consentement suffit pour les obliger, il ne suffit pas pour obliger la caution, celle-ci est étrangère au fait d'où résulte le consentement tacite du bailleur et du preneur; pour qu'elle accédât au nouveau bail, il faudrait un nouveau consentement de sa part.

Le code ne dit rien de l'hypothèque. En droit romain, l'hypothèque était maintenue; ce qui était très-logique, puisque le consentement des parties suffisait pour constitue l'hypothèque. Il n'en est plus de même en droit mo

derne; l'hypothèque est un acte solennel, et elle n'existe à l'égard des tiers que par la publicité. Dans ce système, il ne peut plus être question d'une hypothèque tacite. Il faudrait une nouvelle convention, une nouvelle inscription, et l'hypothèque n'aurait rang à l'égard des tiers que du jour où elle serait inscrite (1).

La cour de Caen a appliqué le même principe à la solidarité. Un bail est consenti à deux époux, avec stipulation que les preneurs seront tenus solidairement envers le bailleur. A l'expiration du bail, les époux restent en possession, il s'opère une réconduction tacite; question de savoir si la femme, mariée sous le régime dotal et qui avait fait prononcer la séparation de biens depuis l'expiration du premier bail, était tenue solidairement des obligations résultant du nouveau bail. La cour a jugé que la femme ayant cessé d'être débitrice solidaire à l'expiration du premier bail, il aurait fallu une nouvelle convention pour qu'elle fût tenue solidairement du bail nouveau. On invoquait contre elle le fait de sa possession. La cour répond que, sous le régime dotal, la femme est dans une complète dépendance de l'autorité maritale; que le mari seul administre et gère ses intérêts et ceux de la femme; ce qui exclut tout concours de consentement à ce que fait le mari. Il y a une réponse plus péremptoire à faire, c'est que la solidarité ne peut pas être tacite; aux termes de l'article 1201, elle doit être expressément stipulée; donc, quand même la femme aurait tacitement consenti au bail, elle n'aurait pas été tenue solidairement.

348. L'article 1738 renvoie à l'article 1736 pour ce qui concerne l'effet de la réconduction tacite; cela veut dire la durée, puisque l'article 1736 ne parle que de la durée des baux faits sans écrit; pour mieux dire, il règle seulement le congé, et le délai dans lequel il doit être donné. Les baux faits sans écrit ne finissent que par un congé; voilà tout ce que dit l'article 1736. Ainsi le renvoi à cet article ne fait pas connaître la durée de la réconduction tacite. Le code s'occupe de ce point dans les sections qui

(1) Duvergier, Du louage, t. I, p. 525, no 508.

XXV.

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traitent des règles particulières aux baux à loyer et aux

baux à ferme.

Nous avons dejà expliqué l'article 1759 relatif à la réconduction tacite du bail à loyer (n° 320 et 321). Cet article contient deux dispositions très-distinctes concernant la durée du bail tacite et la manière dont il prend fin. La loi dit d'abord que le locataire sera censé occuper la maison pour le terme fixé par l'usage des lieux. Il suit de là que la réconduction tacite a un terme ou, du moins, qu'elle peut en avoir un; cela dépend des usages locaux. Mais, alors même que le bail tacite aurait un terme fixé par l'usage des lieux, il ne cesse pas de plein droit, comme le bail qui a un terme conventionnel. L'article 1759 ajoute que le locataire ne pourra plus sortir de la maison ni en être expulsé qu'après un congé donné suivant l'usage des lieux. Ainsi, quant au congé, la réconduction tacite est régie par le principe de l'article 1736; quant à la durée du bail, elle dépend des usages locaux.

C'est ainsi que Pothier explique la durée de la réconduction tacite. Elle a lieu, dit-il, pour une année entière dans les lieux où les maisons n'ont coutume de se louer que pour une ou plusieurs années. En conséquence de ce principe, le locataire qui a fait une réconduction tacite en continuant de jouir de la maison huit jours après la Saint-Jean, peut être contraint de tenir ce bail jusqu'à la Saint-Jean de l'année prochaine, et le bailleur ne peut l'en faire sortir plus tôt. La raison est, ajoute Pothier, que l'usage étant de faire les baux des maisons pour une ou plusieurs années, les parties sont censées avoir fait, suivant cet usage, une réconduction pour une année; cela est dans l'intérêt des deux parties, puisque les entrées et les sorties se font à la Saint-Jean; si la réconduction cessait plus tôt, le bailleur trouverait difficilement un locataire et le preneur aurait la même difficulté pour trouver une maison.

Pothier ajoute Dans les lieux où l'usage est de faire les baux à loyer pour six mois ou pour trois mois, comme à Paris, le temps de la tacite réconduction est de six mois seulement ou de trois mois, suivant les différents usages

des lieux (1). Pothier ne dit rien du congé. Il paraît donc considérer la tacite réconduction comme faite pour un terme fixe d'un an, six mois ou trois mois; ce qui rendait le congé inutile; le bail cessait de plein droit à la fin de ces périodes, et se renouvelait pour le même terme si le preneur restait en jouissance.

Les usages de Belgique ne sont pas conformes à ceux sur lesquels Pothier s'appuie. Il a été jugé qu'à Bruxelles la réconduction d'une maison s'opère pour un an, mais le propriétaire peut reprendre les lieux loués à chaque terme de payement trimestriel, en prévenant trois mois d'avance (2).

D'après la coutume d'Anvers, le bail n'a pas de durée fixe en cas de réconduction tacite; le preneur est censé avoir reloué la maison au prix et aux conditions de l'ancien bail pour le temps qu'il y a demeuré depuis l'expiration de l'ancien bail, mais il est obligé de vider la maison endéans tel temps raisonnable qui lui est nécessaire pour se pourvoir convenablement d'une autre habitation. Si le locataire veut quitter la maison sans en être requis par le bailleur, il est tenu de donner congé à celui-ci en temps utile, afin que le bailleur ait aussi un temps raisonnable pour relouer sa maison; le tout à la discrétion du juge (3) Telles étaient aussi les coutumes de Gand et de Courtrai. La plupart des coutumes flamandes fixaient la durée de la réconduction tacite à un an et six mois (4).

Les usages de Paris sont conformes à ceux de Gand et d'Anvers. La réconduction tacite est faite pour une durée indéterminée; les deux parties peuvent toujours mettre fin au bail en donnant congé dans le délai fixé par l'usage des lieux, délai qui varie selon qu'il s'agit d'une maison, d'une boutique ou d'un appartement (5). Là où de pareils usages existent, le texte de l'article 1759 ne peut pas recevoir son application littérale; il suppose que les usages

(1) Pothier, Du louage, no 359.

(2) Bruxelles, 29 mai 1872 (Pasicrisie, 1872, 2, 249).

(3) Bruxelles, 8 aout 1873 (Pasicrisie, 1874, 2, 409).

(4) Voyez une note de la Pasicrisie, 1852, 2, p. 80, qui cite les artic es des diverses coutumes.

(5) Duranton, t. XVII, p. 146, no 1.

des lieux fixent un terme pour la réconduction tacite; or. à Paris, à Gand et à Anvers, il n'y a pas de terme fixe; d'après la coutume d'Anvers, il n'y en avait pas même pour le congé. La réconduction tacite a donc une durée illimitée, en ce sens que les parties peuvent toujours y mettre fin, sauf à observer les usages locaux en ce qui concerne le délai dans lequel le congé doit être donné (1).

349. Ces difficultés ne se présentent pas pour le bail à ferme. Quand le contrat détermine la durée du bail, on applique l'article 1776, qui porte : « Si, à l'expiration des baux ruraux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail, dont l'effet est réglé par l'article 1774. » Et, d'après l'aticle 1774, le bail, sans écrit, d'un fonds rural est censé fait pour le temps qui est nécessaire afin que le preneur recueille tous les fruits de l'héritage affermé. » La réconduction tacite a donc une durée fixe, aussi bien que le bail fait par écrit, c'est-à-dire avec un terme conventionnel; mais le terme peut différer, et il diffère d'ordinaire. Le bail primitif, fait par écrit, stipule une durée de neuf ans. A son expiration, il se forme un bail d'un, deux ou trois ans, suivant que les fruits se recueillent en entier, en un an, en deux ou en trois ans. Dans tous les cas, la réconduction tacite a une durée fixe, en ce sens qu'elle finit de plein droit; l'article 1775 le dit de tout bail rural sans écrit; et l'article1776, en renvoyant à l'article 1774, renvoie implicitement à l'article 1775, qui en est une suite. Il résulte de là que, dans le cas de réconduction tacite prévu par l'article 1776, il se fait chaque année un bail ayant la durée déterminée par l'article 1774; d'un an, par exemple, s'il s'agit d'un fonds dont les fruits se récoltent en une année. La doctrine et la jurisprudence sont d'accord (2).

L'article 1776 suppose un bail rural fait par écrit, c'està-dire avec un terme conventionnel. Si le premier bail a été fait sans terme fixé par les parties, il est régi, quant à sa durée, par l'article 1774; il a donc une durée légale;

(1) Gand, 26 janvier 1852 (Pasicrisie, 1852, 2, 80).

(2) Bruxelles, 25 juin 1817 (Pasicrisie, 1817, p. 436). Duvergier, t. II, p. 240, no 215.

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