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dence, en cette matière, est peu remarquable; elle n'a pas pris l'innovation au sérieux.

24. Le droit réel est absolu de son essence, il existe à l'égard de tous; si donc le droit du preneur était réel, il pourrait l'opposer à toutes personnes, même aux tiers qui n'auraient pas traité avec le bailleur et qui ne seraient pas ses ayants cause. Troplong dit et répète que le preneur a un droit absolu; mais le seul texte qu'il puisse invoquer, l'article 1743, lui donne un démenti. L'article 1743 ne parle pas des tiers qui n'ont pas traité avec le bailleur, il ne parle que des ayants cause, et seulement de certains ayants cause, des acquéreurs; de sorte que le preneur ne peut pas faire valoir son droit ni à l'égard des tiers, qui ne sont pas des ayants cause, ni à l'égard des ayants cause qui ne sont point des acquéreurs.

L'innovation se réduit à ceci : l'acquéreur doit respecter le bail si le preneur a un acte authentique ou un acte sous seing privé, ayant date certaine. En quel sens doitil le respecter? Si l'on admet que le preneur a un droit réel, l'acquéreur doit le respecter, comme il serait tenu de respecter un droit d'usufruit qui grèverait la chose vendue; c'est-à-dire qu'il ne serait pas tenu, à l'égard du preneur, des obligations qui naissent du bail; étranger au contrat, il est tenu de souffrir, il n'est pas obligé de faire jouir le preneur. Si, au contraire, l'on admet que le droit du preneur n'est pas réel, quoiqu'il puisse l'opposer à l'acquéreur, on doit supposer que la loi subroge l'acquéreur aux obligations du bailleur; de là suit que l'acquéreur serait tenu de faire jouir le preneur, comme le vendeur y était tenu. Il y a controverse sur ces points (1) : nous y reviendrons en expliquant l'article 1743.

25. Les droits réels sont munis d'une action qui peut étre intentée contre tout tiers détenteur de la chose qui en est grevée; et celui à qui le droit réel appartient peut aussi défendre à tout procès concernant la chose. Si le droit du preneur est réel, on doit lui donner une action.

(1) Mourlon, t. III. p. 312, 1o, no 770. Colinet de Santerre, t. VII, p. 301, n° 198 bis XXXVI-XL.

dominante du législateur: « Les baux à longues années sont les plus utiles pour les progrès de l'agriculture. Ce sont ces baux qui invitent le plus les fermiers à faire à la terre des avances dont ils seront certains d'être remboursés. L'orateur du Tribunat continue à prouver combien les longues jouissances sont favorables à l'État, puis il conclut, en disant qu'il était essentiel de préférer l'intérêt de l'agriculture à toute autre considération (1). Quelles sont les autres considérations que Jaubert subordonne à l'intérêt de l'Etat? C'est le droit de propriété, que les jurisconsultes romains maintenaient contre le preneur, et que l'Assemblée constituante avait respecté, en restreignant l'exception aux baux de six ans. Le discours de Jaubert peut se résumer en cette proposition: L'Assemblée constituante avait fait exception au droit de propriété pour les baux à courts termes; l'intérêt de l'agriculture exige que l'exception soit étendue aux baux à longs termes. Voilà la réforme ce n'est certes pas une subversion.

No 3. LES CONSÉQUENCES DE L'INNOVATION.

23. L'innovation dont Troplong fait une révolution a soulevé de longues discussions sur le terrain de la doctrine; l'école s'en est émue, mais la pratique n'en a guère tenu compte; elle s'en est tenue au texte de l'article 1743, qui formule nettement l'exception. Nous y reviendrons. Pour le moment, il nous faut compléter l'exposé des principes, en déduisant les conséquences qui résultent de la personnalité du droit du preneur, conséquences que la jurisprudence a consacrées. La cour de cassation a répudié le paradoxe de la réalité, alors qu'elle était présidée par Troplong (2); la nouvelle doctrine a trouvé quelque écho dans une ou deux cours d'appel; nous discuterons ces décisions là où est le siége de la difficulté. La jurispru

(1) Jaubert, Discours, no 7 (Locré, t. VII, p. 212).

(2) Rejet, 6 mars 1861 (Dalloz, 1861, 1, 417). Cassation, 21 février 1865 (Dalloz, 1865, 1, 132).

dence, en cette matière, est peu remarquable; elle n'a pas pris l'innovation au sérieux,

24. Le droit réel est absolu de son essence, il existe à l'égard de tous; si donc le droit du preneur était réel, il pourrait l'opposer à toutes personnes, même aux tiers qui n'auraient pas traité avec le bailleur et qui ne seraient pas ses ayants cause. Troplong dit et répète que le preneur a un droit absolu; mais le seul texte qu'il puisse invoquer, l'article 1743, lui donne un démenti. L'article 1743 ne parle pas des tiers qui n'ont pas traité avec le bailleur, il ne parle que des ayants cause, et seulement de certains ayants cause, des acquéreurs; de sorte que le preneur ne peut pas faire valoir son droit ni à l'égard des tiers, qui ne sont pas des ayants cause, ni à l'égard des ayants cause qui ne sont point des acquéreurs.

L'innovation se réduit à ceci : l'acquéreur doit respecter le bail si le preneur a un acte authentique ou un acte sous seing privé, ayant date certaine. En quel sens doitil le respecter? Si l'on admet que le preneur a un droit réel, l'acquéreur doit le respecter, comme il serait tenu de respecter un droit d'usufruit qui grèverait la chose vendue; c'est-à-dire qu'il ne serait pas tenu, à l'égard du preneur, des obligations qui naissent du bail; étranger au contrat, il est tenu de souffrir, il n'est pas obligé de faire jouir le preneur. Si, au contraire, l'on admet que le droit du preneur n'est pas réel, quoiqu'il puisse l'opposer à l'acquéreur, on doit supposer que la loi subroge l'acquéreur aux obligations du bailleur; de là suit que l'acquéreur serait tenu de faire jouir le preneur, comme le vendeur y était tenu. Il y a controverse sur ces points (1): nous y reviendrons en expliquant l'article 1743.

25. Les droits réels sont munis d'une action qui peut être intentée contre tout tiers détenteur de la chose qui en est grevée; et celui à qui le droit réel appartient peut aussi défendre à tout procès concernant la chose. Si le droit du preneur est réel, on doit lui donner une action

(1) Mourlon, t. III, p. 312, 1o, no 770. Colinet de Santerre, t. VII, p. 301, n° 198 bis XXXVI-XL.

contre tout détenteur de la chose louée; et toute action concernant la propriété ou la possession de la chose doit être formée contre lui. Ces conséquences sont-elles admises par les partisans de la réalité du droit du preneur? Il y en a qu'ils ne peuvent pas admettre, parce que le texte de la loi les repousse. Nous avons déjà cité l'article 1727, qui à lui seul suffit pour ruiner la théorie de la réalité (no 13); il ne permet pas au preneur de défendre, quand l'action concerne la propriété de la chose louée, ou un démembrement de cette propriété; le bailleur seul a qualité. Preuve certaine que le preneur n'a aucun droit dans la chose; son droit est personnel; voilà pourquoi, il doit mettre le bailleur en cause; il n'a d'action que contre lui, parce que son action naît d'un contrat par lequel le bailleur s'oblige à le faire jouir.

Si le preneur ne peut pas défendre à une action réelle, comment pourrait-il intenter une action réelle contre un tiers? Soit que le tiers détienne la chose louée, soit qu'il apporte un obstacle à la paisible jouissance du preneur, celui-ci n'a toujours qu'une action personnelle contre son bailleur. L'article 1719 le dit, et aucune disposition du code n'implique que le preneur puisse agir contre des tiers étrangers à son bail. Cependant la logique des idées a conduit des cours d'appel à reconnaître au preneur le droit d'agir contre des tiers qui le troubleraient dans sa jouissance; elles ont abouti à cette conséquence étrange, que si le bailleur loue une autre partie de la maison, ou même une autre maison à un locataire qui exerce un commerce semblable à celui du premier preneur, celui-ci peut agir contre le second preneur, pour le faire expulser (1). A notre avis, tout, dans cette jurisprudence, est contraire aux principes; nous discuterons la question en traitant des obligations du bailleur.

26. Un jugement intervient avec le bailleur, sur la propriété de la chose louée, soit sur une action intentée par le bailleur, soit sur une action formée contre lui

(1) Mourlon, t. III, p. 314, 5o, no 770. Colmet de Santerre, t. VII, p. 292, n" 198 bis XVIII.

La décision peut-elle être opposée au preneur? S'il a un droit réel, son droit est indépendant de celui du bailleur, et par suite le bailleur n'a aucune qualité pour le représenter en justice; donc ce qui a été jugé avec le bailleur est chose étrangère au preneur; il pourra soutenir son droit en justice, sans qu'on puisse lui opposer l'exception de chose jugée. La conséquence est logique, mais elle témoigne contre le principe d'où elle découle, car elle est en opposition directe avec l'article 1727. C'est le bailleur seul qui a le droit de défendre aux actions qui concernent la propriété de la chose louée; partant, lui seul peut intenter ces actions. Donc ce qui a été jugé avec lui fait chose jugée à l'égard du preneur, car celui-ci n'est que l'ayant cause du bailleur, il n'a aucun droit dans la chose: quand il est jugé que le bailleur est sans droit, il est jugé par cela même que le preneur n'a aucun droit (1).

27. Le droit réel est un droit dans la chose, droit qui l'affecte, et, dans notre opinion, la démembre; il en résulte que si cette chose est démembrée postérieurement par la concession d'un autre droit réel, le premier concessionnaire peut opposer son droit au second; car le second n'a acquis son droit que sur une chose déjà grevée, démembrée. En ce sens, tout droit réel donne un droit de préférence. Il en est autrement des droits personnels; le créancier peut seulement les faire valoir contre la personne du débiteur; s'il a un gage sur ses biens, ce gage ne lui donnant aucun droit réel, ne lui donne, par conséquent, aucun droit de préférence.

Si le droit du preneur est réel, il doit jouir de ce droit de préférence dans le cas où le bailleur, après avoir loué la chose à un premier locataire ou fermier, la louerait à un second preneur. Dans le système de la réalité, ce droit de préférence est certain, pourvu que le premier bail ait date certaine, et que le preneur l'ait fait transcrire, si l'on se trouve dans un cas où la loi hypothécaire prescrit la transcription.

(1) Mourlon, t. III, p. 314, 4°. Colmet de Santerre, t. VII, p. 292, n 198 bis XVII

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