Page images
PDF
EPUB

D'ordinaire les actes stipulent qu'une simple sommation ou un commandement suffiront (1). Il y a quelque doute sur le sens de la clause: faut-il que l'exploit déclare l'intention du bailleur de mettre fin au bail? La cour de Liége a interprété la clause en ce sens (2). Il nous semble que cela est contraire à l'essence de la condition résolutoire expresse. En effet, les parties déclarent par le contrat que leur volonté est de faire cesser le bail, par cela seul que le preneur ne satisfait pas à ses engagements; bien entendu si le bailleur veut profiter de la clause. Il suffit donc que le bailleur manifeste cette intention; or, l'acte indique dans quelle forme il doit exprimer son intention, c'est une sommation ou un commandement. Donc l'exploit doit suffire. Il n'y a qu'un point qui reste douteux le preneur aura-t-il encore le droit de payer après la signification de l'exploit? En général, non; puisque le seul objet de la sommation ou du commandement est de manifester l'intention du bailleur, sauf volonté contraire exprimée par les parties.

369. La condition résolutoire expresse permet-elle au juge de maintenir le bail si le preneur satisfait à ses engagements après que le bailleur a déclaré vouloir rompre le contrat? Cette question a été débattue devant la cour de cassation dans une cause très-favorable au preneur. Bail de douze années d'une boutique moyennant un lover de 6,500 francs, avec la clause suivante : « A défaut de payement d'un seul terme de loyer, à son échéance, le bail sera et demeurera résilié de plein droit, si bon semble à la bailleresse, après un simple et unique commandement exprimant sa volonté de résilier, et non suivi de payement dans le mois de sa date, sans qu'il soit nécessaire d'aucune autre poursuite et formalité que ledit commandement. » Le terme d'octobre 1858 n'ayant pas été payé, la bailleresse fit à la locataire le commandement prévu par le contrat, puis elle poursuivit la résiliation du bail. Le 5 janvier 1859, la locataire signifia au propriétaire des offres

(1) Liége. 20 juillet 1864, et 9 février 1871 (Pasicrisie, 1865, 2, 42; 1871, 2, 210). Bruxelles, 19 mai 1873 (Pasicrisie, 1874, 2, 84).

(2) Liége, 24 janvier 1850 (Pasicrisie, 1850.,142).

qui furent refusées; par suite, le premier juge déclara le bail résilié. En appel, le jugement a été réformé. La cour de Paris se fonde sur l'article 1244. La question était donc de savoir si l'article 1244 était applicable à l'espèce ; l'arrêt dit que le droit donné au juge d'accorder un terme de grâce pour le payement entraîne, par une conséquence forcée, celle d'ajourner l'exécution de la clause pénale. Il est vrai que le juge doit user avec une extrême modération de la faculté d'accorder un délai au débiteur; mais, dans l'espèce, dit la cour, le délai ne peut porter aucun préjudice au créancier, tandis que le refus causerait nécessairement la ruine du débiteur. Restait à savoir si la cour d'appel pouvait accorder un délai; l'affirmative, en supposant l'article 1244 applicable, n'était pas douteuse. Les juges, dit l'arrêt, doivent prendre en considération la position des parties au jour où la contestation est portée devant eux; or, aujourd'hui, ajoute la cour, il est constant que l'intimée est intégralement désintéressée de tous les termes de son bail par elle consenti, et qu'elle a entre ses mains deux termes payés à l'avance. En conséquence, la cour décide que la locataire est relevée du retard de payement par elle encouru et la renvoie de toutes les demandes.

C'était évidemment un arrêt d'équité. Il y avait en jeu des passions et des haines de femme : la bailleresse, une grande dame, voulait ruiner la pauvre boutiquière; nous comprenons que, dans ces circonstances, la conscience du juge se soulève et qu'il cherche des raisons de droit telles quelles pour colorer une décision que l'équité lui arrache. La cour de cassation ne peut écouter que la voix du droit; après un délibéré en chambre du conseil et sur les conclusions contraires de l'avocat général, elle cassa l'arrêt attaqué. Il était facile de répondre aux mauvais arguments de la cour de Paris; elle invoquait l'article 1244, or cette disposition était étrangère à la cause. L'article 1244 suppose un contrat dont le créancier poursuit l'exécution. Dans l'espèce, il n'y avait plus de contrat, il était résilié de plein droit en vertu de la volonté des parties; il ne restait au juge qu'à déclarer que la résiliation

s'était opérée conformément au contrat. La cour de cassation ne relève pas même tout ce qu'il y a d'illogique dans l'arrêt attaqué. Il se fondait sur l'article 1244; or, cet article suppose que le débiteur demande un délai, en ce sens que le payement soit divisé par termes; tandis que, dans l'espèce, le débiteur avait payé, et même plus qu'il ne devait. Il s'agissait, non d'un payement ni d'une clause pénale, il s'agissait d'une condition résolutoire expresse, qui opère ses effets de plein droit. Cela exclut toute intervention du juge en vertu de la loi du contrat; la cour de Paris violait donc l'article 1134 en refusant d'exécuter une convention qui faisait la loi des parties; elle violait l'article 1183, qui permet de stipuler une condition résolutoire expresse, et elle appliquait faussement l'article 1244, ainsi que l'article 1184, qui l'un et l'autre supposent que le contrat existe encore au moment où le juge est appelé à décider si le contrat doit être résolu. En définitive, la cour confondait la condition résolutoire expresse avec la condition résolutoire tacite (1).

370. Les principes consacrés par la cour de cassation sont élémentaires; cependant elle-même les a méconnus. Il était stipulé dans un contrat qu'aucun établissement public ne serait créé au second étage de la maison louée, et une clause portait qu'en cas d'inexécution, le bail serait résolu de plein droit. Le locataire viola la prohibition en introduisant au second étage une femme appelée la Vénus hottentote, qu'il faisait voir moyennant une rétribution. De là une demande en résolution; le premier juge la prononça; en appel, la décision fut réformée, par le motif qu'à la première réquisition du propriétaire, l'occupation des lieux loués par la Vénus hottentote avait cessé. Pourvoi en cassation. La cour décida qu'en jugeant, d'après les faits et les circonstances, qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résolution, la cour n'avait pas faussement appliqué l'article 1184 (2). C'est confondre la condition résolutoire expresse et la condition résolutoire ta

(1) Cassation, 2 juillet 1860 (Dalloz, 1860, 1, 284).
(2) Rejet, 20 mai 1817 (Dalloz, au mot Louage, no 540).

cite, comme la cour de Paris l'avait fait dans l'arrêt que la cour suprême a cassé. Lorsque les parties conviennent que le bail sera résolu de plein droit, la resolution s'opère en vertu de leur volonté; le tribunal ne la prononce pas, il se borne à déclarer que la résolution existe. N'ayant pas à prononcer la résiliation du bail, comment pourrait-il la refuser d'après les faits et circonstances?

La cour de cassation et la cour de Paris revenaient, de fait, bien que sans le dire, à l'ancienne jurisprudence des parlements, qui ne tenait aucun compte de la volonté la plus formelle des parties, et, au lieu de donner force à leurs conventions, les violait. C'est ce que d'autres cours ont dit en termes exprès : « Attendu que, dans la jurisprudence, la clause de déchéance, telle qu'elle a été stipulée dans l'espèce, n'est considérée que comme comminatoire, et que l'application de cette peine dépend des circonstances et de l'arbitrage du juge. » Dans l'espèce, on pouvait soutenir qu'il n'y avait pas condition résolutoire expresse; mais une autre cour va plus loin, et dit que les clauses résolutoires dans les baux à ferme ne sont jamais que comminatoires, quelque latitude qu'on leur donne dans la stipulation qu'on en fait (1). C'est violer ouvertement la loi que les parties se sont faite. Après tout ce que nous avons dit, aux titres des Obligations, de la Vente et du Louage, de la condition résolutoire, il est inutile de discuter ces arrêts; il fallait néanmoins signaler les erreurs de la jurisprudence; c'est parce que la jurisprudence méconnaît souvent les principes les plus certains, que nous sommes obligé de rétablir les principes, sans lesquels il n'y a pas de science.

371. Nous ajouterons une restriction que nous avons déjà faite pour la condition résolutoire tacite, c'est qu'en général les loyers et fermages sont quérables; il faut donc que le bailleur se présente chez le preneur pour recevoir le prix; c'est une condition de fait qui doit être constatée pour qu'il y ait résolution de plein droit, car la résolution

(1) Bruxelles, 7 août 1811, et Colmar, 5 juillet 1817 (Dalloz, au mot Louage, no 337, 1o et 2o).

est attachée à l'inexécution des engagements du preneur, et il n'y a d'inexécution que s'il ne paye pas lorsque le bailleur se présente. La cour de Bruxelles l'a jugé ainsi, et cela ne fait aucun doute (1).

§ II. De la renonciation aux effets de la condition résolutoire.

372. Le bailleur peut renoncer aux effets de la condition résolutoire, puisque la clause n'est stipulée qu'en sa faveur. Ces renonciations sont assez fréquentes, et de là sans doute la jurisprudence des parlements qui considérait les conditions de résiliation comme simplement comminatoires. Il est de principe, au contraire, que les renonciations sont de stricte interprétation, puisque personne n'est censé renoncer à un droit. La jurisprudence moderne est hésitante en cette matière. Tantôt les tribunaux admettent la renonciation avec une facilité trop grande, tantôt ils la rejettent. C'est, il est vrai, une question d'intention qui est abandonnée à l'appréciation souveraine des juges du fait; toujours est-il que l'on conçoit difficilement qu'un seul et même fait emporte et n'emporte pas renonciation. Il est rare que la renonciation soit expresse; nous n'en avons pas trouvé d'exemple dans la jurisprudence belge, très-riche en cette matière. La renonciation peut être tacite, mais c'est surtout le consentement tacite qui doit être difficilement admis. Il ne faut pas perdre de vue le principe qui régit la renonciation tacite, c'est que les faits d'où on l'induit doivent clairement manifester l'intention de renoncer, de manière qu'on ne puisse pas leur donner une autre interprétation.

Le bail contient la clause suivante : « A défaut de payement d'un seul terme du prix de fermage, ou de l'accomplissement de l'une ou l'autre des conditions, le bail sera résilié de plein droit, si bon semble au bailleur, qui pourra disposer desdits bâtiments, terres et prairies, comme

(1) Bruxelles, 5 août 1863 (Pasicrisie, 1864, 2, 234).

« PreviousContinue »