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giques que la résolution anéantit le contrat comme s'il n'avait jamais existé. Chose singulière, c'est ce même article que la cour invoque pour en induire que tous les actes de pure administration sont maintenus. Elle se fonde sur ces termes : « La condition résolutoire ne suspend pas l'exécution de l'obligation. » Si cette disposition maintient les baux, elle maintient aussi les autres droits établis sur la chose; car la loi ne distingue pas, elle est absolue. Ainsi entendu, le deuxième alinéa de l'article 1183 dirait le contraire de ce que dit le premier. A vrai dire, le deuxième alinéa n'a rien de commun avec notre question, il établit seulement la différence qui existe entre la condition résolutoire et la condition suspensive. La vente faite sous condition résolutoire est une vente pure et simple; voilà tout ce que dit le deuxième alinéa de l'article 1183. Mais la résolution de la vente est conditionnelle, et quand la condition se réalise, quel en sera l'effet? Le premier alinéa le dit : les choses sont mises dans le même état que si la vente n'avait pas existé; donc tout ce qu'a fait le propriétaire sous condition résolutoire est effacé. Voilà la règle. L'article 1673 y fait exception dans le cas de pacte de rachat; mais l'exception, loin de détruire la règle, la suppose et la confirme (1). Tels sont, à notre avis, les vrais principes.

384. Dans notre opinion, il faut appliquer le même principe aux baux consentis par un adjudicataire dont les droits sont résolus par l'effet d'une revente sur folle enchère. La jurisprudence s'est prononcée pour le maintien des baux (2), alors même que le preneur seul serait de bonne foi. On dit que l'adjudicataire dépossédé a le droit et même le devoir de faire, dans l'intérêt de l'immeuble dont il a la possession, tous les actes d'administration nécessaires. Le législateur pourrait s'exprimer ainsi, mais l'interprète? En plaçant la question sur le terrain de l'intérêt, on abandonne les principes et on les livre à l'appréciation arbitraire du juge. C'est ce qui est arrivé

(1) Bruxelles, 25 février 1843 (Pasicrisie. 1845, 2, 198).

(2) Duvergier, t. I, p. 84. no 85. Aubry et Rau, t. IV, p. 498, note 14, $369. Paris, 11 mai 1839 (Dalloz, au mot Louage, no 67).

pour les baux passés par l'adjudicataire. Une cour a déclaré le bail nul comme portant atteinte à la propriété, à raison des circonstances de la cause (1). Que deviennent les principes et que devient notre science si les tribunaux peuvent tout décider d'après les circonstances de la cause?

385. Quand la chose louée est expropriée pour cause d'utilité publique, le bail consenti par le propriétaire exproprié tombe de plein droit par l'effet du jugement qui met le fonds loué à la disposition de l'Etat; mais le preneur a droit à une indemnité, qui est réglée conformément aux lois spéciales sur la matière, auxquelles nous renvoyons (2).

No 2. CONSÉQUENCES DU PRINCIPE.

386. Lorsque le bail vient à tomber en vertu d'un jugement qui anéantit les droits du bailleur, les droits et obligations des parties cessent à partir de ce jugement. Il se présente une difficulté pour la sous-location consentie par le preneur: tombe-t-elle avec le droit du sousbailleur? Dans notre opinion, l'affirmative n'est pas douteuse le preneur qui sous-loue use d'un droit que lui donne son bail, mais il ne peut transmettre au sous-locataire que les droits qu'il a lui-même; il faut donc lui appliquer la règle générale qui régit les actes consentis par le propriétaire dont le droit vient à être anéanti. Dans l'opinion qui maintient les baux consentis par un proprié taire sous condition résolutoire, on devrait admettre aussi que la sous-location subsiste, malgré la résolution des droits du sous-bailleur. Duvergier admet cette conséquence, mais son avis est isolé (3). La doctrine et la jurisprudence déclarent la sous-location résolue par la résolution du bail principal, notamment lorsque la résolution

(1) Orléans, 10 janvier 1860 (Dalloz, 1860, 5, 374).

(2) Voyez la législation française dans Aubry et Rau, t. IV, p. 495, notes 6-8, § 369. Sur le droit belgique, voyez Del Marmol, De l'expropria tion pour cause d'utilité publique, p. 240, nos 198 et 199.

(3) Duvergier, t. I, p. 555, no 539. En sens contraire, Aubry et Rau, t. IV, p. 498 et note 15, § 369, et les autorités qu'ils citent.

est prononcée pour défaut de payement des loyers et fermages. Il nous semble que la contradiction est évidente. Les auteurs et les arrêts disent que l'on ne peut transmettre à d'autres plus de droits qu'on n'en a soi-même (1). Cela est très-vrai, mais pourquoi n'applique-t-on pas le même principe à la résolution de la propriété? Conçoit-on que celui qui n'a jamais eu de droit sur une chose ait pu la donner à bail? Il transmet donc au preneur des droits qu'il n'a pas lui-même! Anomalie que le législateur seul pourrait consacrer.

387. Le propriétaire qui rentre dans son droit de propriété par l'éviction du bailleur expulse le preneur. Quels seront les droits de celui-ci, s'il a fait des travaux qui ont procuré une plus-value à l'héritage? Le preneur possède pour le bailleur; sa possession, en cas d'éviction, sera donc celle d'un possesseur de bonne ou de mauvaise foi, et, par conséquent, il faudra appliquer la distinction que fait l'article 555, si le bailleur est un tiers possesseur. Si le bailleur occupait le fonds en vertu d'un contrat qui est anéanti par une action en nullité ou en rescision, il n'est pas dans la situation prévue par l'article 555, ses droits et ses obligations seront régis par les rapports que le contrat établit entre les parties contractantes. Nous rappelons des principes que nous avons exposés et appliqués bien des fois(t. VI, nos 241 et 242). On doit en faire l'application au preneur qui n'est que l'ayant cause de son bailleur; il n'est jamais un possesseur, dans le sens de l'article 555, car il ne possède pas comme propriétaire; donc pour déterminer ses rapports avec le propriétaire, il faut voir quels sont les rapports de son bailleur avec le propriétaire qui agit contre lui.

La question s'est présentée devant la cour de Bruxelles dans l'espèce suivante. Des biens appartenant au bureau de bienfaisance de Tournai sont affermés par le possesseur, qui s'en dit propriétaire. Les hospices revendiquent les biens et expulsent le preneur. Celui-ci avait fait des

(1) Voyez les arrêts dans le Répertoire de Dalloz, nos 444 et 445, au mot Louage. Il faut ajouter Bruxelles, 11 janvier 1865 (Pasicrisie, 1866, 2, 247).

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plantations et des réparations qui, d'après son bail, devaient lui être bonifiées. Sa bonne foi était incontestable. Fallait-il le traiter comme possesseur de bonne foi en appliquant l'article 555? La cour a décidé la difficulté d'après les principes de l'équité, sans citer aucun texte de loi. Il est certain que le fermier ne pouvait pas invoquer l'article 555, parce qu'il n'est pas possesseur; ce n'est pas lui qui était évincé, c'est le bailleur, lequel était possesseur sans titre ni bonne foi. Cela déterminait la position du bureau de bienfaisance revendiquant, quant aux droits que le preneur tenait de son bail, il ne pouvait les faire valoir que contre le bailleur. Ce n'est pas ainsi que la cour procède. L'équité, dit-elle, ne permet pas que le propriétaire s'enrichisse aux dépens du preneur; il doit done l'indemniser des dépenses utiles et nécessaires qu'il était autorisé à faire en vertu de son bail; partant, il doit lui rembourser la plus-value résultant des plantations et constructions, à moins que le preneur ne préfère enlever les plantes et les matériaux, en rétablissant les lieux dans leur ancien état. De plus, la cour reconnaît au preneur le droit de rétention comme garantie naturelle de son droit à une indemnité pour les travaux par lui faits (1). Il est inutile de discuter cet arrêt, évidemment dicté par l'équité; mais nous demanderons à la cour de quel droit elle juge en équité, alors qu'elle est liée par la loi et par les principes qui en découlent?

§ II. De l'expulsion du preneur.

No 1. PRINCIPE.

388. En principe, le preneur n'a qu'un droit de créance, qu'il peut faire valoir contre le bailleur, mais qu'il ne peut pas opposer aux tiers. Lors donc que le bailleur aliene l'héritage loué, l'acquéreur a le droit d'expulser le preneur. Tel était le principe du droit romain que l'on suivait aussi dans l'ancienne jurisprudence. Loisel en avait fait

(1) Bruxelles, 7 janvier 1824 (Pasicrisie, 1824, p. 7).

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un de ses proverbes : Vendage ou achat passe louage. Nous avons dit plus haut que le code civil déroge à l'ancien droit et quelle est la portée de cette dérogation en ce qui concerne la nature du droit de bail. Pour le moment, il nous faut exposer en quoi consiste l'innovation, quels sont les droits de l'acquéreur contre le locataire ou le fermier.

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L'article 1743 est ainsi conçu : « Si le bailleur vend la chose louée, l'acquéreur ne peut expulser le fermier ou locataire qui a un bail authentique ou dont la date est certaine De là suit que l'acquéreur n'est pas toujours tenu de respecter le bail; il n'y est obligé que dans le cas où le bail a date certaine; il a date certaine quand il est reçu par acte authentique, ou quand le bail fait sous seing privé a été enregistré, ou que la date en est devenue certaine par l'une des circonstances prévues par l'article 1328, auquel nous renvoyons. Si le bail n'a pas date certaine, l'acheteur peut expulser le preneur. Quelle en est la raison? C'est l'application des principes généraux qui régissent la force probante des actes sons seing privé; par eux-mêmes ils n'ont pas de date certaine contre les tiers, alors même que l'écriture en serait reconnue ou vérifiée en justice; un bail sous seing privé n'offre donc aucune garantie quant à la date à laquelle il a été passé, ni, par conséquent, quant à sa durée; dès lors le preneur ne pent s'en prévaloir contre les tiers. Vainement dirait-il que le fait de sa possession prouve qu'il y a un bail; l'acquéreur lui répondrait que rien ne garantit que ce bail ne doit pas cesser immédiatement; c'est donc un bail qui n'a aucune valeur à son égard, il est considéré comme n'existant pas (1).

389. Faut-il conclure de là que l'acquéreur peut expulser le preneur sans l'avertir par un congé? La question est controversée, et il y a quelque doute. D'après la rigueur des principes, on doit décider, nous semble-t-il, que l'acquéreur n'est pas tenu de signifier un congé au preneur. Le congé suppose l'existence d'un contrat, auquel

(1) Colmet de Santerre, t. VII, p. 279, no 189 bis IV.

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