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Cela n'est pas douteux. Le bailleur s'oblige à faire jouir le preneur; or, en vendant la chose louée, sans imposer à l'acquéreur l'obligation de respecter le bail, il expose le preneur à être expulsé; et si l'acquéreur use de son pouvoir d'expulsion, le preneur se trouvera privé de la jouissance par le fait du bailleur; celui-ci est garant de cette éviction, puisqu'elle procède de son fait. Vainement dirait-il qu'il use de son droit en aliénant sa chose et que ce n'est pas lui qui expulse, que c'est l'acquéreur, lequel, de son côté, use de son droit. Sans doute le bailleur conserve le droit de vendre, mais en vendant il ne se dégage point de l'obligation de faire jouir le preneur; or, il se met dans l'impossibilité de remplir cette obligation lorsqu'il vend sans imposer à l'acheteur l'obligation de maintenir le bail. Cela est décisif. Quant à la quotité des dommages-intérêts, elle est réglée d'après le droit commun (1).

392. Lorsque le bail a date certaine, l'acquéreur ne peut expulser le fermier ou le locataire. Est-ce à dire que l'acquéreur soit tenu de respecter le bail, en ce sens qu'il succède aux droits comme aux obligations du bailleur? La question est controversée. Dans l'opinion qui, se fondant sur l'article 1743, enseigne que le preneur a un droit réel, et que c'est à raison de la réalité de son droit qu'il ne peut être expulsé par l'acquéreur, il faudrait dire que celui-ci est seulement tenu de souffrir le droit réel de bail. comme il serait tenu de souffrir tout autre droit réel, mais qu'il n'est pas obligé, pas plus qu'il ne le serait en vertu d'une servitude qui grèverait le fonds. Toutefois les partisans de la réalité n'admettent pas tous cette conséquence; nous n'entrons pas dans ce débat, puisque, dans notre opinion, et c'est l'opinion presque universelle, le preneur n'a pas de droit récl; son droit est un droit de créance: que devient ce droit quand la chose louée passe dans les mains d'un acquéreur? Les partisans de la personnalité du droit de bail sont également divisés; la plupart admetque l'article 1743 est fondé sur une subrogation de

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(1) Aubry et Rau, t. IV, p. 503, note 37, § 369.

l'acquéreur au bailleur, subrogation jadis stipulée par les parties et qui maintenant existe de droit en vertu de la loi. Il est certain que c'est là la seule explication juridique que l'on puisse donner de l'article 1743; c'est celle que nous avons admise. Dans cette doctrine, l'acquéreur prend la place du bailleur, il succède à ses droits et il est tenu de ses obligations (1).

On objecte que cette interprétation est contraire à l'esprit de la loi. L'orateur du Tribunat a expliqué l'article 1743, et il ne parle pas de la subrogation de l'acquéreur au bailleur; il dit que l'innovation que les auteurs du code ont apportée à l'ancien droit est une conséquence du principe que l'on ne peut transférer à d'autres plus de droits qu'on n'en a soi-même. Cette même maxime a aussi été invoquée dans la discussion du conseil d'Etat. Si tel est le motif de l'article 1743, il en faut conclure que l'ac quéreur ne peut expulser le preneur, non parce qu'il est subrogé aux obligations du bailleur, mais parce que son auteur n'avait pas le pouvoir d'expulsion, et que partant il n'a pas pu le transmettre à son ayant cause (2). Nous répondons que les opinions émises par les orateurs chargés d'exposer les motifs du projet de code civil ne doivent être acceptées que lorsqu'elles sont conformes aux principes; si ce qu'ils disent est faux, est-ce que l'erreur va devenir une vérité, parce qu'elle se trouve dans un discours officiel? Les erreurs ne manquent point dans les travaux dits préparatoires; s'il fallait les admettre, l'interprétation du code deviendrait une œuvre incohérente et contradictoire. Et on aboutirait à un vrai chaos si l'on acceptait comme explication de la loi tout ce qui a été dit au conseil d'Etat. Quand il est certain que les orateurs ou les conseillers se sont trompés, il faut laisser là leurs erreurs et donner à la loi une signification juridique. Or, tout le monde convient que l'interprétation que nous combattons est fausse. Celle que nous adoptons est, au contraire, en harmonie avec la tradition.

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2) Douail's haut (no 21). Comparez Rouen, 15 mars 1869 (Dalloz, (3) Aubry et Rai, t. IV. p. 501, notes 32 et 33, § 369.

Dans l'ancien droit, l'acquéreur pouvait expulser le preneur, à moins qu'il ne se fût engagé à entretenir le bail; dans ce cas, il était subrogé aux droits et aux obligations du bailleur. Qu'a fait le code? Il sous-entend la clause que l'acquéreur est tenu de respecter le bail. On doit donc admettre que la loi y attache la même signification que celle qu'on lui donnait dans l'ancienne jurisprudence, c'est-à-dire que l'acquéreur succède au bailleur; c'est parce qu'il lui succède, qu'il doit respecter le bail. N'est-il pas naturel d'en induire qu'il doit entretenir le bail, comme le disait Pothier (1)? Et n'est-ce pas là ce que le rapporteur du Tribunat voulait dire quand il alléguait contre l'acquéreur la maxime qu'il ne pouvait avoir plus de droits que son vendeur? Cela implique qu'il avait les droits de son vendeur, mais que ses droits n'étaient pas plus étendus que les siens; ce qui signifie, en d'autres termes, qu'il est aussi tenu de ses obligations. Cette théorie concilie les intérêts de toutes les parties, et elle simplifie leurs rapports. Le preneur continue sa jouissance, il devient débiteur et créancier de l'acquéreur; celui-ci, de son côté, profite du bail et a une action directe contre le preneur qui occupe sa chose, en même temps qu'il est lié à son égard; tandis que le vendeur, devenu étranger à la chose, devient naturellement étranger à celui qui l'occupe.

393. L'acquéreur doit-il respecter le bail lorsque le preneur n'est pas encore en possession de la chose louée? La question est controversée. Il nous semble que l'article 1743 est applicable. En quoi consiste l'innovation qu'il a apportée à l'ancien droit? Il subroge l'acheteur au vendeur dans le cas où le preneur a un bail avec date certaine. L'acquéreur est donc lié par un consentement tacite résultant de la loi, comme il l'était dans l'ancienne jurisprudence par une clause de subrogation; or, dès qu'il est lié, il doit exécuter le bail. Dans l'opinion que nous venons d'enseigner (no 392), cela n'est pas douteux, puisque l'acquéreur devient bailleur; la circonstance que le

(1) Colmet de Santerre, t. VII, p. 278, no 189 bis II. Pothier, Du lounge, n° 299.

preneur est ou non en possession est donc tout à fait indifférente. Cela nous paraît décisif. On objecte les termes de l'article 1743; la loi dit que l'acquéreur ne peut pas expulser le locataire ou le fermier: cela suppose, dit-on, que le preneur est en possession. Il y a plus d'une réponse à faire à l'objection. Le législateur statue toujours sur les cas ordinaires; or, l'hypothèse où le preneur n'est pas en possession est un cas assez rare; voilà pourquoi les auteurs du code ne l'ont pas prévue formellement. On peut dire qu'ils l'ont décidée implicitement; le mot expulser a un sens légal, il se dit d'un acte par lequel le bailleur dé clare sa volonté de mettre fin au bail; en ce sens, le pre neur est expulsé, quand même il ne serait pas en jouis sance. Dira-t-on que la loi a voulu favoriser l'agriculture, ce qui suppose un bail commencé? La réponse se trouve dans le texte de l'article 1743; il sauvegarde les droits du locataire aussi bien que ceux du fermier; l'esprit de la loi est de maintenir les conventions; donc le preneur doit profiter du bénéfice de l'innovation dès que son droit est acquis. C'est l'opinion assez généralement suivie (1).

No 2. DE L'EXPULSION EN VERTU D'UNE CLAUSE DU BAIL.

394. L'acquéreur ne peut pas expulserle preneur dont le bail a date certaine, à moins qu'il ne se soit réservé ce droit par le contrat (art. 1743). Cette réserve est stipulée dans l'intérêt du propriétaire, qui trouvera plus facilement à vendre la chose louée si l'acquéreur n'est pas lié par le bail. C'est donc indirectement au profit du futur acquéreur que le bailleur se réserve ce droit, et c'est aussi, en général, l'acquéreur qui exerce le droit d'expulsion sille Isent même que la clause est conçue en ce sens, c'est-àjuge convenable. Les articles 1744, 1748 et 1751 suppo dire qu'il a été convenu, lors du bail, qu'en cas de vent l'acquéreur pourrait expulser le locataire ou le fermier qui

tées par Aubry et Rau, t. IV. p. 501, no 33. § 369. Il faut ajouter Mourlon, (1) Colmet de Santerre, t. VII, p. 279. no 185 bis V, et les autorités ci

1. III. p. 304 et note. En sens contraire, Duranton, t. XVII, p.

Duvergier, t. I, p. 261, no 281.

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a un bail authentique ou dont la date est certaine. Ainsi la clause n'a pas pour effet de mettre fin au bail de plein droit; c'est à l'acquéreur de voir s'il a intérêt à le faire cesser; il peut le maintenir, et il le maintiendra si le bail est fait à des conditions favorables. Quant au preneur, il ne peut pas invoquer la clause, à moins qu'elle ne porte que le bail est résolu de plein droit par la vente; il est lié par son contrat, et c'est contre lui et non en sa faveur que la clause est écrite dans l'acte (1).

395. Faut-il, pour que l'acquéreur puisse expulser le preneur, que le droit stipulé par la clause du bail lui ait été transféré expressément par l'acte de vente? La question est controversée. Il nous semble que le bénéfice de la clause d'expulsion passe de plein droit à l'acquéreur. C'est dans son intérêt qu'elle a été stipulée par le contrat de bail; or, il est de principe que le vendeur transmet à l'acheteur tous les droits qu'il a relativement à la chose vendue, donc aussi le droit d'expulser le preneur. Peu importe que l'acquéreur n'ait pas été partie au contrat de bail; on peut céder des droits naissant d'un contrat, et la vente de la chose comprend naturellement tous les droits accessoires. Cela résulte encore de la théorie sur laquelle est fondée la disposition principale de l'article 1743 : l'acheteur est subrogé aux droits et aux obligations du bailleur; donc, si le bailleur a stipulé la faculté d'expulsion, l'acheteur est aussi subrogé à ce droit. C'est sans doute pour ce motif que la loi n'exige pas que le contrat de vente investisse l'acheteur d'une faculté dont il jouit de plein droit en vertu de la subrogation; il devient bailleur, et il a tous les droits qui appartenaient au bailleur en vertu de son contrat. Enfin, on peut encore invoquer, à l'appui de l'opinion générale, le principe de l'article 1121: le bailleur qui stipule le droit d'expulsion fait une stipulation au profit d'un tiers, ce que la loi permet quand telle est la condition d'une stipulation que l'on fait pour soimême; or, dans l'espèce, la faculté d'expulser, réservée par le bailleur dans l'intérêt de l'acquéreur, est la condi

(1) Colmet de Santerre, t. VII, p. 282, no 196 bis I.

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