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tion du bail; il faut dire plus, elle est stipulée dans l'intérêt du bailleur autant que dans l'intérêt de l'acquéreur, car elle a pour objet de faciliter la vente de la chose louée. On a dit que c'était une question d'intention; cela est certain en théorie, puisqu'il s'agit d'une convention; mais, en fait, l'intention des parties n'est guère douteuse. Pourquoi le bailleur a-t-il stipulé le droit d'expulsion? En faveur de l'acquéreur; donc cette faculté doit passer à l'acheteur, à moins que le vendeur ne déclare que l'acquéreur n'en pourra pas user (1).

396. Tout acquéreur, même sous condition résolutoire, a, en principe, le droit d'expulsion, car tout acquéreur est subrogé aux droits du vendeur. La loi fait exception au principe pour l'acquéreur à pacte de rachat:

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il ne peut user de la faculté d'expulser le preneur jusqu'à ce que, par l'expiration du délai fixé pour le réméré, il devienne propriétaire incommutable (art. 1751) Le pacte de rachat est une condition résolutoire potestative; le vendeur qui le stipule a l'intention d'en user, il compte rentrer dans la propriété de la chose vendue; dès lors on ne peut pas dire qu'il entende transmettre à l'acheteur le droit d'expulser le preneur; son intention est, au contraire, de maintenir le bail dans le cas où il usera du droit de rachat, et il stipule ce droit pour en user. Or, la transmission de la faculté d'expulsion est fondée sur l'intention du vendeur; on ne pouvait donc pas l'admettre dans une vente faite avec pacte de rachat (2). Il suit de là que, si la vente était faite sous une condition résolutoire casuelle, l'article 1751 ne serait pas applicable.

396 bis. Le droit d'expulsion réservé par le bailleur en cas de vente est soumis à des conditions que la loi prescrit dans l'intérêt du preneur. Aux termes de l'article 1748, l'acquéreur qui veut user de la faculté réservée par le bail d'expulser le fermier ou locataire, est tenu d'avertir le locataire au temps d'avance usité dans le lieu

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pour

les

(1) Duvergier, t. I, p. 564, no 543. Aubry et Rau, t. IV, p. 502. note 34,

§ 369. En sens contraire, Delvincourt. Duranton et Troplong. (2) Comparez Duvergier, t. I, p. 573, no 552. Duranton, t. XVII, p. 127,

n° 154.

congés. Il doit aussi avertir le fermier de biens ruraux au moins un an à l'avance. » Le délai est beaucoup plus long pour les baux à ferme que pour les baux à loyer, parce que les baux à ferme sont, de leur nature, plus stables que les baux à loyer; ceux-ci sont souvent faits pour une durée indéterminée, et alors on y met fin par un congé; tandis que les baux de biens ruraux ont toujours une durée fixe. Il suit de là qu'il est plus facile de trouver une maison à louer qu'une ferme; le fermier devait donc jouir d'un délai plus long que le locataire, en cas d'expulsion. La loi ne s'explique pas sur un point qui est d'un grand intérêt pour le preneur, et surtout pour le fermier; elle ne fixe pas de délai dans lequel l'acquéreur soit tenu de faire connaître son intention de mettre fin au bail. En faut-il conclure que l'acquéreur peut toujours user de son droit d'expulsion? Nous doutons que telle soit la pensée de la loi; si elle ne dit rien du délai dans lequel l'acquéreur doit déclarer sa volonté, c'est qu'elle suppose que l'acquéreur qui veut user de la faculté d'expulser le preneur, le fera immédiatement, et que s'il ne le fait pas de suite, il sera censé opter pour le maintien du bail. En effet, le bail subsiste malgré la vente; l'acheteur a donc deux droits entre lesquels il peut opter, il peut maintenir le bail ou y mettre fin. S'il n'use pas de son droit d'expulser, le bail continue, le preneur paye son prix; l'acquéreur, en le recevant, renonce à son droit d'expulsion. Toutefois il y a un doute. Pothier dit que tout ce que l'on peut inférer du silence de l'acquéreur, c'est qu'il consent à ce que le preneur reste en possession pendant le temps que dure une tacite réconduction, mais qu'il n'y a pas nécessité d'admettre que l'acquéreur veut maintenir le bail primitif. Cette opinion nous paraît peu juridique. La tacite réconduction suppose un bail qui a cessé de plein droit et qui est renouvelé par le consentement tacite des parties contractantes. Dans notre espèce, le bail, loin de cesser, continue, puisque l'acquéreur est subrogé au vendeur; il ne peut donc être question d'une tacite réconduction. Pothier a cependant raison de dire que l'acquéreur, en exécutant le bail, consent à ce qu'il y ait un bail, mais,

comme le bail primitif subsiste, on doit en conclure que l'acquéreur consent à maintenir l'ancien bail. Si son intention est de rompre le bail, il doit le dire; s'il ne le dit pas, on doit supposer qu'il opte pour la continuation du bail, ce qui implique une renonciation au droit d'expulsion. Néanmoins nous n'entendons pas le décider ainsi d'une manière absolue; la loi ne fixe pas de délai dans lequel l'acquéreur soit tenu de faire son option, il n'y a donc pas de déchéance légale; l'acquéreur n'est déchu de son droit que s'il y renonce, et la renonciation est une question d'intention, donc de fait, que le juge décidera d'après les circonstances de la cause (1).

397. On a soutenu, devant les cours de Belgique, que l'acquéreur devait, avant d'expulser le preneur, lui signifier son titre d'acquisition. Il a été jugé, et avec raison, qu'aucune disposition de la loi ne lui impose cette obligation, et il n'appartient pas au juge de créer des conditions pour l'exercice d'un droit. Sans doute le preneur peut exiger que l'acquéreur produise le titre en vertu duquel il veut l'expulser, et, sur cette demande, l'acquéreur devra justifier de sa qualité; mais si le preneur ne dénie pas la qualité de celui qui lui donne congé, il la reconnait par cela même. Dès lors l'expulsion aura son cours (2).

398. L'article 1744 impose une seconde condition au bailleur qui use de la faculté d'expulsion ou qui permet à l'acquéreur d'en user: il est tenu d'indemniser le preneur. Pourquoi le bailleur doit-il des dommages-intérêts au locataire ou au fermier qu'il expulse? Il use, à la vérité, d'un droit que le contrat lui donne, et on pourrait dire que celui qui use d'un droit ne doit pas réparer le préjudice qu'il cause en l'exerçant. Le législateur a pensé que le droit d'expulsion étant stipulé dans l'intérêt du bailleur, il est juste qu'il dédommage le preneur (3). Est-ce à dire qu'il soit défendu aux parties de convenir que le

(1) Pothier, Du louage, no 300. Colmet de Santerre, t. VII, p. 283,

no 196 bis II.

(2) Bruxelles, 10 octobre 1818 et 23 avril 1829 (Pasicrisie, 1818, p. 183, et 1829, p. 163).

(3) Troplong, Du louage, no 512.

bailleur ne devra pas de dommages-intérêts? Non, la loi ne dit pas cela; et comme il s'agit d'un intérêt purement privé, les parties sont libres de le régler comme elles l'entendent le preneur qui renonce à des dommages-intérêts, en cas d'expulsion, aura soin de stipuler d'autres dédommagements.

399. Quelle est la quotité des dommages-intérêts que le bailleur doit payer au preneur? L'article 1744 veut que l'on exécute les stipulations des parties contractantes, ce qui va sans dire, puisque les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Si le bail ne contient aucune stipulation à cet égard, le bailleur est tenu d'indemniser le locataire ou le fermier d'après les dispositions de la loi. Le code distingue entre les baux de maisons, les baux de biens ruraux et les baux d'établissements industriels.

S'il s'agit d'une maison, appartement ou boutique, le bailleur paye, à titre de dommages et intérêts, au locataire évincé, une somme égale au prix du loyer, pendant le temps qui, suivant l'usage des lieux, est accordé entre le congé et la sortie » (art. 1745). L'indemnité sera donc, d'après nos usages, du loyer de trois ou de six mois.

S'il s'agit de biens ruraux, l'indemnité que le bailleur doit payer au fermier est du tiers du prix du bail pour tout le temps qui reste à courir (art. 1746). » L'indemnité est plus considérable pour les baux à ferme, parce que la perte est plus grande; le fermier perd le bénéfice qu'il pouvait espérer des travaux par lui faits; il est juste qu'il en soit indemnisé.

« L'indemnité se réglera par experts, s'il s'agit de manufactures, usines ou autres établissements qui exigent de grandes avances » (art. 1747). C'est le droit commun. La loi s'y réfère, parce que la fixation a priori des dommages-intérêts eût été trop arbitraire. D'après quelles bases les experts procéderont-ils? Egalement d'après le droit commun, puisque le code n'y déroge pas. Les dommages-intérêts seront donc de la perte que le preneur a faite et du gain dont il a été privé (art. 1149). Comme le preneur est expulsé en vertu de la clause d'un contrat, le débiteur est par cela même de bonne foi, car il exerce un

droit; de là suit que le bailleur ne sera tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du bail (art. 1150). Quels sont les dommages-inté rêts prévus? D'après la doctrine de Pothier, que le code a consacrée, ce sont les dommages-intérêts intrinsèques, c'est-à-dire ceux que le preneur souffre dans la chose louée. Nous renvoyons au titre des Obligations, où est le siége de la matière.

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400. Les fermiers ou les locataires ne peuvent être expulsés, qu'ils ne soient payés par le bailleur, ou, à son défaut, par le nouvel acquéreur, des dommages et intérêts ci-dessus expliqués (art. 1749). Ainsi le preneur jouit d'un droit de rétention; c'est une garantie que la loi lui accorde pour assurer le payement de l'indemnité à laquelle il a droit. Nous reviendrons, au titre des Priviléges et Hypothèques, sur le droit de rétention, qui est une espèce de privilége. Il en résulte que l'acquéreur est intéressé à payer l'indemnité, puisqu'il ne peut entrer en possession de la chose louée que lorsque le preneur l'a touchée. C'est en ce sens que l'article 1749 dit que les dommages et intérêts doivent être acquittés par le bailleur ou, à son défaut, par l'acquéreur. Celui-ci n'est pas débiteur personnel, c'est le bailleur qui est tenu de la dette; si l'acquéreur la pays, il aura un recours contre son vendeur.

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L'article 1750 ajoute : « Si le bail n'est point fait par acte authentique, ou n'a point de date certaine, l'acquéreur n'est tenu d'aucuns dommages-intérêts. Cette disposition est mal rédigée. Elle suppose que l'acquéreur est tenu de l'indemnité; les articles 1744-1746 disent, au contraire, que c'est le bailleur qui doit payer l'indemnité. Mais l'acquéreur, quoique n'étant pas débiteur, a intérêt à payer pour entrer en jouissance, parce que le preneur peut lui opposer le droit de rétention. Le preneur ne jouit pas de ce droit lorsqu'il n'a pas de bail avec date certaine; il peut, à la vérité, réclamer des dommages-intérêts contre le bailleur(n° 391), mais il ne peut pas faire valoir ce droit contre l'acquéreur en retenant la possession de l'immeuble; ce serait forcer indirectement l'acquéreur à lui faire l'avance de l'indemnité; or, le preneur dont le bail

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