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n'a pas date certaine n'a aucun droit contre l'acquéreur; d'après la rigueur de la loi, il peut même être expulsé sans congé. C'est en ce sens que l'article 1750 dit que l'acquéreur n'est pas tenu de l'indemnité à l'égard du preneur qui n'a pas de bail avec date certaine.

ARTICLE 6. De la perte de la chose louée.

§ Ier. Principe.

401. L'article 1741 porte que le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée. Faut-il distinguer si la chose périt par cas fortuit ou par la faute du preneur? Non; alors même que la chose louée périt par la faute du preneur, le bail cesse, parce qu'il n'y a pas de contrat de louage sans que le preneur ait la jouissance de la chose. Il est de l'essence du contrat que le bailleur s'oblige à faire jouir le preneur; celui-ci paye le loyer ou le fermage comme prix de cette jouissance; il ne peut donc être tenu de payer le prix d'une jouissance qu'il ne peut plus avoir, la chose louée n'existant plus.

Tels sont les principes. On a prétendu que l'article 1722, combiné avec l'article 1741, y déroge. C'est une mauvaise interprétation que la jurisprudence a repoussée. Le siége de la matière est dans l'article 1741. Or, cette disposition est conçue en termes absolus qui n'admettent aucune distinction: la perte de la chose louée résout le contrat. C'est l'application du principe élémentaire que nous venons de rappeler. Quant à l'article 1722, il est ainsi conçu : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement. » On a dit que l'article 1722 expliquait l'article 1741; que, par suite, il fallait distinguer si la chose louée périt par cas fortuit ou par la faute du preneur. Dans le premier cas, le contrat est résolu de plein droit; dans le second cas, le bail

n'est pas résolu de plein droit, le preneur reste tenu de ses engagements; il doit donc continuer à payer le prix de la jouissance, quoiqu'il ne jouisse plus; mais s'il ne jouit plus, c'est par sa faute, il doit en supporter les conséquences. C'est très-mal raisonner. L'objet de l'article 1722 n'est pas de décider quand le bail finit par la perte de la chose louée; il prévoit le cas de la perte fortuite et détermine quels sont, dans cette hypothèse, les droits et les obligations des parties contractantes. La difficulté que la loi a en vue est celle-ci. La chose louée périt par cas fortuit, en tout ou en partie; le preneur ne jouit plus peut-il demander que le bailleur reconstruise ce qui a été détruit? a-t-il droit à des dommages-intérêts contre le bailleur si celui-ci ne reconstruit pas? A ces questions la loi répond négativement. La chose est détruite, la perte est pour le bailleur, que l'on suppose être propriétaire, il ne peut plus réclamer le prix d'une jouissance qu'il est dans l'impossibilité de procurer au preneur; mais celui-ci, de son côté, ne peut pas exiger que le bailleur reconstruise, il ne peut pas demander des dommagesintérêts, parce que le bailleur n'est pas tenu à des dommages-intérêts alors qu'il n'est pas en faute. Quand la chose louée vient à périr par la faute du preneur, on n'est plus dans le cas prévu par l'article 1722. Deux questions se présentent alors, décidées l'une et l'autre par des textes formels. La perte de la chose arrivée par la faute du preneur résout-elle le bail? Oui, dit l'article 1741, parce qu'il ne peut plus y avoir de bail quand il n'y a plus de chose dont le preneur a la jouissance. La faute du preneur le soumet-elle à des dommages-intérêts envers le bailleur? Oui, dit l'article 1732, qui n'est que l'application des principes généraux sur les obligations, et l'article 1722 consacre implicitement la même décision; dire qu'il n'y a lieu à aucun dédommagement quand la perte est fortuite, c'est dire qu'il y a lieu à dommages-intérêts, d'après le droit commun, quand la perte est imputable à la faute de l'une des parties (1).

(1) Duvergier, t. I, p. 523, no 521. Rouen, 16 janvier 1845 (Dalloz, 1845,

402. L'article 1741 suppose que la perte est totale, puisqu'il parle de la perte de la chose louée. Que faut-il décider si la perte est partielle? L'article 1741 ne prévoit pas la difficulté. L'article 1722 règle le cas où la chose louée est détruite en partie par un cas fortuit; il décide que le preneur peut, suivant les circonstances, demander une diminution du prix ou la résiliation méme du bail. Quelles sont ces circonstances? et qui en est juge? La loi ne donne pas au preneur l'option entre la résiliation du bail et la diminution du prix; la résiliation d'un contrat synallagmatique ne dépend jamais de la seule volonté de l'une des parties. C'est une question de circonstances, dit la loi, par conséquent le juge les appréciera et decidera. On doit appliquer au bail, par analogie, ce que l'article 1636 dit de l'éviction partielle : il faut voir si la partie de la chose qui est détruite est de telle conséquence, relativement au tout, que le preneur n'eût point loué sans la partie dont il perd la jouissance; dans ce cas le juge prononcera la résiliation du bail; si, au contraire, il est constant que le preneur aurait loué quand même la partie détruite n'aurait pas été comprise dans le bail, le juge maintiendra le contrat. C'est une question de fait.

Le preneur peut-il aussi demander, selon les circonstances, la résiliation du bail ou une diminution du prix, lorsque la perte partielle a eu lieu par sa faute? L'affirmative résulte des principes que nous venons d'exposer. Dès que le preneur n'a pas la jouissance qui fait l'objet du contrat, il ne peut pas être tenu de payer cette jouissance. Ce serait une obligation sans cause, or, sans cause il n'y a pas d'obligation (art. 1131). Donc la perte partielle, fût-elle arrivée par la faute du preneur, doit avoir pour conséquence une diminution proportionnelle des loyers ou fermages. Et si la partie détruite est de telle importance, que le contrat ne puisse plus remplir l'objet pour lequel il a été formé, le preneur, quoiqu'il soit en faute, doit avoir le droit d'en demander la résiliation; en effet,

2, 172). Metz, 25 juillet 1855 (Dalloz, 1856, 2, 212). Paris, 1er avril 1868 (Dalloz, 1868, 2, 85).

dans ce cas, la perte partielle équivaut à une perte totale; or, la perte totale, quoique arrivée par la faute du preneur, résout le contrat.

Bien que la perte partielle, arrivée par la faute du preneur, soit assimilée à la perte arrivée par cas fortuit, il y a une grande différence entre les deux hypothèses en ce qui concerne les dommages-intérêts. En cas de perte fortuite, il n'y a pas lieu à dédommagement, dit l'article 1722, tandis que l'article 1732 décide que le preneur répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, quand elles ont eu lieu par sa faute; ce qui comprend la perte partielle aussi bien que la perte totale.

403. La jurisprudence a consacré ces principes par de nombreuses décisions. Il suffira de rapporter un exemple: la question, d'ordinaire, est de pur fait. La Compagnie générale des voitures loue un local composé d'écuries et remises, et destiné à contenir 250 chevaux et 200 voitures. Un incendie, dont la cause resta inconnue, détruisit une grande partie du bâtiment; le bailleur demanda que la Compagnie fût condamnée à reconstruire les bâtiments incendiés et à les rétablir dans leur état primitif. De son côté, la Compagnie conclut à la résiliation du bail. C'est sur ce dernier point que portait la seule difficulté de la cause. On invoquait contre la Compagnie la disposition absolue de l'article 1741, qui ne déclare le contrat de louage résolu que par la perte de la chose, d'où l'on concluait que la destruction devait être complète et absolue. Nous reviendrons sur ce côté de la question. On invoquait encore contre les preneurs la présomption de faute établie par l'article 1733 à charge du locataire, en cas d'incendie. La cour répond que l'article 1741 ne distingue pas entre le cas où le preneur est responsable de la perte de la chose et le cas où il ne le serait pas; la résolution du contrat de louage, dit trèsbien l'arrêt, est inhérente à la nature même du contrat, qui ne comporte pas l'obligation de payer un loyer pour une chose qui n'existerait plus. Autre est la question de savoir si, le bail étant résolu, le preneur est tenu des

dommages-intérêts; il est certain que, dans le cas d'incendie, le bailleur a une action contre le locataire, mais cela n'empêche pas la résiliation du bail (1).

404. Dans cette espèce, il a été jugé implicitement que le preneur peut, en cas de perte partielle, demander la résolution du bail. Si le preneur veut maintenir le bail avec une diminution du prix, le bailleur n'a pas le droit de s'y opposer, et le juge ne pourrait pas rejeter la demande. Nous avons reconnu au juge un pouvoir d'appréciation quand le locataire conclut à la résiliation du bail, parce que la question de savoir si le bail doit être résilié dépend des circonstances de la cause; mais si le preneur veut maintenir le bail, il ne dépend pas du juge de le déclarer résilié malgré lui. Si le preneur veut se contenter de la jouissance mutilée qui lui reste, le juge doit maintenir le bail, en réduisant le prix (2).

fût

Le bailleur ne pourrait donc pas demander que le bail rompu; ce n'est pas en sa faveur que la loi établit l'alternative entre la résiliation du bail et une diminution du prix. De son côté, le preneur ne peut pas exiger que le bailleur reconstruise la partie détruite. L'article 1722 précise quel est son droit. Lorsque la perte est arrivée par cas fortuit, la solution n'est pas douteuse : le preneur ne peut pas obliger le bailleur à reconstruire ce qu'un cas fortuit a détruit. Nous avons dit plus haut (n° 111) qu'il ne faut pas confondre le cas de destruction partielle prévu par l'article 1722 avec le cas prévu par l'article 1720, qui suppose qu'il y a de simples réparations à faire pendant la durée du bail; le bailleur doit faire les réparations nécessaires, et le preneur peut l'y contraindre par autorité de justice; il ne peut pas l'obliger à faire des reconstructions en cas de perte partielle. Si la perte partielle était arrivée par la faute du bailleur, le preneur pourrait-il l'obliger à reconstruire? A notre avis, non. Cela n'est guère douteux quand la perte est totale; dans ce cas, le bail est résolu si le preneur est en faute (no 401);

(1) Paris, 1er avril 1868 (Dalloz, 1868, 2, 85).

(2) Duvergier, t. I, p. 533, no 522.

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