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louée vient à périr, mais il faut entendre cette expression suivant la nature du contrat de louage. Le louage a pour objet, non la chose, mais la jouissance de la chose; c'est cette jouissance que le bailleur promet au preneur; dės que celui-ci n'a pas la jouissance, parce qu'elle est devenue impossible, le bail est sans objet, partant sans cause; c'est dire qu'il n'y a plus de bail. Le bon sens suffit pour le décider ainsi qu'importe au preneur que la chose louée existe, si la force majeure en empêche la jouissance (1)? ·

410. Il se peut que la chose louée subsiste et qu'il soit possible d'en jouir, mais la destination est devenue impossible, c'est-à-dire que la chose ne peut plus être employée à l'usage pour lequel elle a été louée. Le bail serat-il résolu? La question est identique avec celle que nous venons de décider (n° 409), car la destination se confond avec la jouissance. Ce n'est pas une jouissance abstraite que le preneur stipule; les parties ont en vue un usage déterminé, ce qu'on appelle la destination de la chose; si cette destination devient impossible, la jouissance l'est aussi et, par suite, il faut dire que, dans le sens de l'article 1741, la chose louée a péri. Donc le bail est résolu. Reste à voir si le preneur a droit à des dommages-intérêts. Oui, si le bailleur est en faute; non, si la perte arrive par cas fortuit (art. 1722).

La cour de cassation l'a jugé ainsi dans l'espèce suivante. Un navire est affrété pour transporter des marchandises d'un port à un autre. Il se trouve que, par suite du blocus du port où les marchandises doivent être chargées. l'exportation des marchandises est défendue. Il a été jugé que le bail était résolu, bien que le navire n'eût point péri et que la jouissance en fût possible, mais la destination était impossible à raison du blocus, car la destination du navire était toute spéciale et déterminée pour les marchandises qui devaient être transportées d'un port à l'autre. Dès lors le contrat ne pouvait recevoir d'exécution, la jouissance que le bailleur avait promise au pre

(1) Duvergier, t. I, p. 535, no 524: Dijon, 30 janvier 1867 (Dalloz, 1867, 2, 68).

neur devenant impossible. Dans l'espèce, le bail était ré silié par un événement de force majeure; ce qui rendait l'article 1722 applicable (1).

411. Le trouble qui empêche le preneur de jouir doitil être assimilé à la perte de la chose, lorsque le trouble est permanent? Nous supposons qu'il s'agit d'un trouble de droit. Dans ce cas, il n'y a aucun doute, puisque l'article 1726 est applicable. Quand même il s'agirait d'un trouble de fait, s'il rend la jouissance de la chose impossible et si le preneur ne peut pas le faire cesser par une action judiciaire, le bail viendrait encore à cesser. Ce n'est pas le cas prévu par l'article 1725; il n'est pas question d'un simple trouble de fait que le preneur peut réprimer en agissant contre les auteurs du trouble; il y a une impossibilité de jouir qui rend le bail sans objet c'est une perte de la chose, dans le sens de l'article 1741, c'est donc cet article qui doit recevoir son application, et non l'article 1725.

par

Une maison est louée pour y exercer la profession de marchand de vin traiteur. Par suite de travaux exécutés l'administration aux abords de la maison pour la construction d'un pont, l'accès des lieux se trouva à peu près supprimé. Le preneur demanda une diminution de loyer; cette demande fut rejetée par le tribunal de la Seine, par le motif que l'exécution de travaux publics était un trouble de fait dont le bailleur ne pouvait être responsable. C'était une double erreur. D'abord le trouble n'était pas une voie de fait, parce que l'administration, en ordonnant les travaux, usait de son droit; et comme elle ne touchait pas à la chose louée, sur laquelle elle ne prétendait aucun droit, il n'y avait pas non plus trouble de droit. Il s'agissait d'un cas de force majeure, qui met fin au bail quand l'impossibilité de jouir est permanente; donc l'article 1722 devait recevoir son application. La cour de Paris ajoute que si le dommage était passager et réparable, le bailleur serait obligé de remettre les lieux en état et de faire jouir

(1) Rejet, 1er mai 1848 (Dalloz, 1848, 1, 86). Dans le même sens, Paris, 1er avril 1868 (Dalloz, 1868, 2, 85).

son locataire, sauf à réclamer une indemnité contre l'administration; mais le dommage, dans l'espèce, étant permanent et irréparable, et ce dommage étant causé par le fait de l'autorité, qui est le fait du prince, il en résultait que la jouissance devenait impossible par force majeure, et, par suite, il y avait lieu d'appliquer l'article 1722 (1). La décision est juste, mais les motifs nous paraissent erronés. S'il y a fait du prince ou force majeure quand le trouble est permanent, il doit en être de même quand le trouble est passager, car la durée du trouble n'en saurait changer la nature. Dans l'un et l'autre cas, il faut appliquer l'article 1722: le preneur n'a droit qu'à une diminution du prix ou à la résiliation, il n'a pas d'action contre le propriétaire pour le contraindre à remettre les lieux en état. L'erreur vient de ce que les tribunaux confondent le cas de perte prévu par l'article 1741 avec le cas où le bailleur manque à son obligation de faire jouir le preneur. La perte, quelle qu'en soit la cause, met fin au bail. Or, l'impossibilité de jouir ou le trouble permanent équivalent à la perte.

Dans une autre espèce, la cour a reíusé toute action au preneur contre le propriétaire, quoique le trouble provint aussi du fait de l'administration. Une maison est démolie pour cause d'utilité publique; il en résulte pour le locataire de la maison voisine un trouble dans sa jouissance; la cour qualifie ainsi la diminution de jouissance occasionnée par les travaux de l'administration, et elle décide que l'article 1722 est inapplicable, puisque la chose louée n'était détruite ni en totalité ni en partie. Cela n'est pas exact, puisque la privation ou diminution de la jouissance équivaut à une perte totale ou partielle (n° 409). La cour ajoute que le trouble et la gêne dont se plaignait le locataire était le fait, non des propriétaires, mais de la ville de Paris, qui doit être considérée comme un tiers. Nous avons répondu d'avance à cette mauvaise raison, et la cour de Paris a elle-même jugé le contraire; il ne s'agit pas du trouble de droit ou de fait prévu par les articles 1725

(1) Paris, 18 août 1870 (Dalloz, 1870, 2, 231).

et 1726, il s'agit de la perte de la chose, ou, ce qui revient au même, de l'impossibilité de jouir.

412. Si la diminution de jouissance provient d'une voie de fait, le preneur pourra-t-il se prévaloir de l'article 1722 combiné avec l'article 1741? D'après l'article 1725, la voie de fait ne donne lieu à aucune action contre le propriétaire; le preneur doit agir contre l'auteur du trouble. D'après l'article 1722, la perte partielle donne droit à une diminution du prix, ce qui suppose un trouble permanent. Les deux hypothèses diffèrent quant aux effets et quant au caractère du trouble. La voie de fait n'entraîne aucune diminution de jouissance, puisque le preneur reçoit une indemnité en agissant contre les auteurs du trouble. Quand il y a une privation de jouissance permanente équivalant à une perte partielle, il y a plus qu'un trouble de fait, c'est une perte totale ou partielle, que l'action judiciaire ne peut pas réparer; le bail est résolu en tout ou en partie, puisque la jouissance est devenue impossible.

La jurisprudence est en ce sens, bien que les motifs des arrêts n'aient pas toujours la précision nécessaire. Un locataire est troublé dans sa jouissance par la démolition d'un mur mitoyen que l'entrepreneur de travaux publics ordonna, sans droit, paraît-il. C'était donc une simple voie de fait qui donnait ouverture à une action judiciaire contre l'auteur du trouble. L'administration n'était pas en cause; il n'y avait donc pas force majeure ou fait du prince, comme on dit (1).

La cour de cassation l'a jugé ainsi en insistant sur le caractère illégal du fait. Cependant, dans une autre espèce, elle a maintenu un arrêt qui avait prononcé la résiliation du bail à raison d'un trouble qui était réellement un trouble de fait. Un pont à péage est donné à ferme; des travaux exécutés sur la rivière par les habitants de la commune eurent pour résultat de rendre inutile le pont et, par suite, la jouissance de la chose louée cessa de fait. Y avait-il voie de fait dans le sens de l'article 1726, ou perte

(1) Rejet, 16 mai 1866 (Dalloz, 1866, 1, 376).

de jouissance dans le sens de l'article 1741? Ce qui caractérise la voie de fait, c'est que le preneur troublé peut faire cesser le trouble par une action judiciaire. Or, dans l'espèce, il ne dépendait pas du fermier de faire cesser la voie de fait commise sur un cours d'eau du domaine public; c'était à l'autorité administrative de prendre les mesures nécessaires, s'il y avait lieu. La cour de cassation en conclut que la voie de fait constituait, dans l'espèce, une force majeure qui, en changeant ou en contrariant la destination du pont, consommait la perte totale ou partielle de la chose louée et entraînait, en conséquence, la résiliation du bail (1). Cet arrêt confirme notre doctrine, en consacrant la distinction entre le cas où le bail est résolu par la perte totale ou partielle de la chose, et le cas où il y a un simple trouble et où il s'agit de savoir si le bailleur a ou non rempli ses obligations.

413. L'article 1722 est-il applicable lorsque la chose louée éprouve une diminution dans ses produits? Nous dirons plus loin que l'article 1769 donne au fermier le droit de réclamer une remise du prix lorsque la totalité ou la moitié au moins d'une récolte est enlevée par un cas fortuit. Cette disposition est exceptionnelle. En principe, le bailleur garantit au preneur la jouissance de la chose louée, il ne lui garantit pas un bénéfice déterminé. Lors donc que le cas fortuit n'a pas empêché le preneur de jouir, il ne peut pas invoquer l'article 1722, la chose n'est pas détruite dans le sens de l'article 1741, puisque la jouissance subsiste. La cour de cassation l'a jugé ainsi, mais sa décision est motivée en termes trop absolus. Elle dit qu'il n'y a lieu à l'application de l'article 1722 que dans

le cas où la chose louée a été anéantie ou altérée dans sa substance (2). Cela n'est pas exact, car il en résulterait que le preneur n'aurait pas d'action lorsqu'un cas fortuit rend la jouissance impossible. Or, c'est la jouissance qui fait l'objet du contrat, ce n'est pas la chose même. Il suffit donc que la jouissance soit anéantie ou altérée, comme

(1) Rejet, 16 novembre 1871 (Dalloz, 1872, 1, 175). (2) Rejet. 5 mars 1850 (Dalloz, 1850, 1, 168).

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