Page images
PDF
EPUB

ou s'il tarde à les faire, il est tenu d'indemniser le locataire du préjudice que celui-ci en éprouve. Dans l'évaluation de ces dommages-intérêts, le juge doit tenir compte des circonstances de la cause; il peut donc les modérer à raison de la situation où se trouvait le pays par suite de l'invasion; en ce sens, on peut dire, avec la cour de Bruxelles (n° 414), que le locataire doit supporter sa part des maux de la guerre. La cour de Paris a fait l'application des principes que nous venons de rappeler. Le locataire avait quitté volontairement la maison: avait-il droit à une diminution de loyer? On ne peut pas répondre d'une manière absolue, tout dépendant des faits. L'arrêt constate que les habitants qui étaient demeurés dans la commune n'avaient pas été expulsés par l'ennemi, ni exposés à des périls que l'on pût considérer comme ayant entraîné une privation de jouissance. Ce fait était décisif; le locataire qui avait quitté volontairement les lieux loués ne pouvait pas invoquer la force majeure; donc il n'avait droit, de ce chef, à aucune indemnité (1). Il en serait tout autrement si le locataire avait quitté son habitation pour échapper à un péril imminent. Telle était la situation des communes voisines de Paris; par suite du siége, elles se trouvaient entre les deux belligérants, exposées à la fois au feu de l'ennemi et à celui des défenseurs de la capitale. L'autorité même engagea les habitants à quitter leurs demeures; ils subissaient donc la force majeure, ce qui leur permettait d'invoquer l'article 1722 (2).

L'abandon des lieux loués a donné lieu à une autre difficulté. Si l'ennemi occupe la maison, la dégrade, détruit ou emporte le mobilier appartenant au propriétaire, celuici aura-t-il une action contre le locataire? On a soutenu que le locataire devait rester dans la maison afin de la sauvegarder contre l'invasion. C'est une question de fait. Il faut voir s'il y a faute ou non. Dans une espèce jugée par la cour de Paris, il a été décidé que le preneur n'était pas responsable, parce qu'il n'y avait aucune faute à lui

(1) Paris, 28 août 1873 (Dalloz, 1874, 2, 160). (2) Paris, 5 avril 1873 (Dalloz, 1874, 5, 314).

reprocher. Il avait loué une petite maison de campagne pour y passer l'été; l'acte stipulait qu'il devait remettre les clefs avant le 1er novembre; il avait été empêché de remplir cette obligation par le départ du propriétaire. Cela était décisif : sans faute, il ne saurait y avoir de responsabilité.

§ IV. Les actes de l'administration.

416. Le locataire est troublé dans sa jouissance par l'exécution de travaux publics : quelle action a-t-il contre le bailleur? Nous avons dit plus haut que les actes de l'administration ne sont pas considérés comme des voies de fait. Reste à savoir si les locataires peuvent agir en vertu de l'article 1722. Oui, en principe, s'ils sont dans l'impossibilité de jouir par suite des mouvements de terrain ou de changements de niveau qui atteignent l'édifice. Le loyer est le prix de la jouissance, donc la privation de la jouissance, selon qu'elle est partielle ou totale, entraîne ou la résiliation du bail ou une diminution du loyer. Mais le locataire n'a action que si sa jouissance est directement atteinte par les actes de l'autorité, c'est-àdire si elle est rendue impossible en tout ou en partie; car pour que l'article 1722 soit applicable, il faut qu'il y ait perte totale ou partielle. S'il s'agit de simples modifications apportées à l'état d'une rue ou d'un quartier, qui ont une influence désavantageuse pour la maison louée, sans l'affecter dans son essence, le locataire n'a pas d'action contre le propriétaire : il ne peut pas invoquer l'article 1722, puisque la chose n'est pas détruite en tout ni en partie : il n'a pas d'action en dommages-intérêts, puisque le propriétaire est étranger aux travaux qui troublent le preneur dans sa jouissance. Reste à savoir s'il a une action contre l'Etat ou la commune; nous renvoyons, sur ce point, à ce qui a été dit au titre des Quasi-délils. La cour d'Aix a appliqué ces principes dans l'espèce suivante. Des travaux faits par la ville de Marseille pour niveler les abords de l'hospice troublèrent dans leur jouis

sance le locataire d'une maison voisine; il fut constaté que les eaux ménagères ne pouvaient plus arriver à la rue, et qu'au contraire les eaux arrivaient de la rue dans le magasin; il y avait perte de jouissance partielle; donc l'article 1722 était applicable. Il en est autrement du dommage dont se plaignait un autre locataire; par suite de l'établissement d'un monticule orné d'arbustes au devant de la porte de l'hospice, la maison et les enseignes se trouvaient masquées dans la partie est des abords; mais elles restaient parfaitement visibles dans la partie ouest. La cour a jugé que ce changement n'affectait pas directement l'immeuble, que, par suite, il n'y avait pas lieu d'appliquer l'article 1722 (1). La nuance est très-délicate entre une modification de la voie publique qui affecte directement la jouissance et celle qui ne cause qu'une incommodité : c'est une difficulté de fait. Quant au principe, il n'est pas douteux; dès qu'il y a perte de jouissance partielle, il y a lieu d'appliquer l'article 1722.

417. Une maison est démolie par ordre de l'administration locale. La perte de la chose louée entraîne la résiliation du bail (art. 1741). Reste à régler les rapports des parties en ce qui concerne les dommages-intérêts. Nous avons exposé les principes; ils sont rapportés et très-bien établis par un jugement du tribunal de Marscille, que la cour d'Aix a confirmé en adoptant les motifs du premier juge. Si c'est la vétusté de l'édifice qui a motivé l'intervention de l'autorité, le bailleur doit garantie au locataire, car la démolition ordonnée par mesure de sûreté lui est imputable. Il en est de même si le propriétaire exécute volontairement des travaux qui donnent lieu à l'autorité d'user du droit d'alignement, par suite duquel la maison doit être reculée, donc détruite en tout ou en partie; la démolition est encore la conséquence d'un fait personnel au bailleur; or, il ne peut, par son fait, priver le preneur de la jouissance qu'il lui doit garantir; partant, il est responsable et il sera tenu des dommages-intérêts envers

(1) Aix. 9 mai 1868 (Dalloz, 1870, 2, 116). Comparez Paris. 11 janvier 1806 (Dalloz, 1966. 2, 243).

le locataire. Il en est autrement quand l'administration agit par mesure d'utilité publique, sans que le propriétaire l'ait provoquée. De même quand c'est par le fait légitime d'un voisin que l'autorité applique un alignement, lequel nécessite la démolition de la maison. Ces faits rentrent dans les cas fortuits prévus par l'article 1722, alors même que l'édifice se trouverait dans un certain degré de vétusté, pourvu que la vétusté ne soit pas la cause directe de la démolition.

Tels sont les principes. Dans l'espèce suivante, il a été jugé qu'il y avait force majeure, donnant lieu à l'application de l'article 1722. Une maison construite dans les conditions ordinaires de solidité, se trouve isolée par la destruction de la maison contiguë; les murs, mis à découvert, ne pouvaient plus subsister sans danger pour la sécurité publique. Ils auraient pu être consolidés, il est vrai, par des travaux que les architectes font dans ces circonstances, mais ces travaux devenaient impossibles, la maison étant sujette à l'alignement. Ainsi il n'y avait aucune faute à reprocher au propriétaire, en ce qui concerne la construction, car les maisons ne doivent pas être bâties de manière que, les édifices contigus étant détruits, elles puissent seules se maintenir debout; on construit en vue des éventualités ordinaires; se voisin vient à démolir son édifice, le propriétaire doit consolider son bâtiment en employant les moyens que l'art indique. L'administration s'opposait à ce que la maison fût fortifiée, dès lors elle devait être démolie pour cause de sûreté publique; ce qui rentre dans le cas prévu par l'article 1722 (1).

418. Un propriétaire fait des travaux confortatifs à sa maison qui devait rentrer dans l'alignement légalement fixé. L'autorité légale en ordonna la destruction. Au lieu de remettre les lieux dans leur état primitif, le propriétaire préféra consolider sa maison tout entière, en subissant le reculement prescrit par l'administration. Quel était, dans ces circonstances, le droit du preneur? Il n'y avait pas perte de la chose, puisque la maison sub

(1) Aix, 7 mars 1870 (Dalloz, 1871, 2, 25)

sistait, mais elle éprouvait un retranchement peu considérable; le preneur pouvait donc demander le maintien du bail, en vertu de l'article 1722, avec une diminution du prix (1).

Mais si, par suite de l'alignement, la maison louée se trouvait réduite à une superficie tellement exiguë, que le propriétaire, pour la rendre habitable, serait obligé d'en changer complétement les dispositions, le locataire ne pourrait pas demander le maintien du bail, car la chose louée n'existe plus, et le locataire n'a pas d'action contre le bailleur pour la faire reconstruire. La cour de Bordeaux l'a jugé ainsi dans une espèce où le locataire déclarait se contenter du rétablissement de la maison dans son ancien état, sauf la reconstruction de la façade à l'alignement. Cette prétention, dit la cour, ne peut être accueillie, parce qu'elle obligerait le propriétaire à réédifier une vieille maison sur un emplacement réduit de près de moitié en superficie. Ce n'était pas là la raison de décider; la cour aurait dû dire que le locataire n'avait pas action contre le propriétaire pour l'obliger à reconstruire. Son seul droit, en cas de perte partielle, est de conserver la chose telle qu'elle est, avec une diminution du prix (2).

419. L'article 1722 porte que, dans le cas de perte totale ou partielle par cas fortuit, il n'y a lieu à aucun dédommagement. Cette disposition s'applique lorsque la maison est démolie par ordonnance de l'autorité locale, sans qu'il y ait aucune faute à reprocher au propriétaire. C'est le droit commun: il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de faire ce à quoi il s'était obligé (art. 1148). Mais le débiteur ne peut plus invoquer la force majeure quand lui-même l'a occasionnée par son fait; cela peut arriver quoique la maison soit démolie pour cause de sûreté publique. Deux maisons contiguës, dont l'une est louée, appartiennent au même propriétaire; celui-ci démolit la maison qui n'est pas louée, dans son seul intérêt, par spéculation. La maison

(1) Rouen, 11 février 1842 (Dalloz, au mot Louage, no 202). (2) Bordeaux, 4 janvier 1854 (Dalloz, 1855, 2, 60).

« PreviousContinue »