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point du défaut de pailles et d'engrais. Toute expropriation implique l'obligation d'indemniser le propriétaire qui doit abandonner sa propriété dans un intérêt général. L'article 1778 applique ce principe au fermier.

452. Les parties peuvent déroger à la disposition de l'article 1778 en permettant au propriétaire de retenir les pailles et engrais sans indemnité, quoique le fermier ne les ait pas reçus lors de son entrée en jouissance. Sur le droit des parties, il n'y a aucun doute; elles peuvent faire telles stipulations qu'elles veulent dès que leur intérêt seul est en cause. Si le fermier consent à abandonner au propriétaire des pailles et engrais qui sont sa propriété, il sera sans doute dédommagé de ce sacrifice par d'autres clauses du bail. La renonciation du fermier ne doit pas être expresse; cela encore n'est pas douteux, puisque tel est le droit commun; le consentement peut être tacite, pourvu qu'il résulte clairement de ce que les parties ont voulu.

Il y a une clause très-fréquente dans les baux ruraux: le preneur s'oblige à consommer toutes les pailles dans la ferme, en les employant exclusivement au service des terres qui la composent; il lui est défendu de les vendre et de les divertir à un autre usage. On demande si cette clause oblige le fermier à laisser les pailles de la dernière année au fermier entrant, sans indemnité. La question est controversée. Il nous semble que la clause conçue dans ces termes concerne seulement les obligations du fermier pendant le cours du bail, elle ne concerne pas les pailles et engrais que le preneur n'a pas consommés lors de sa sortie. Quel est l'objet de la clause? C'est d'assurer la bonne culture; tant que le fermier cultive, il est tenu de convertir les pailles en fumier, mais son obligation cesse avec le bail que deviennent, dans ce cas, les pailles et engrais qui ne sont pas consommés? Dans les grandes exploitations, les pailles ne sont jamais consommées au 30 novembre; au moment où le bail prend fin, il reste donc des pailles qui sont la propriété du fermier; on suppose qu'il ne les a pas reçues lors de son entrée en jouissance doit-il les laisser dans la ferme sans aucune in

demnité? La clause ne dit pas cela; au 30 novembre. le fermier sortant cesse de cultiver; il n'est donc plus tenu d'employer les pailles à la culture. Tel est aussi l'esprit de la clause, c'est-à-dire l'intention des parties contractantes; si le fermier s'est obligé à consommer les pailles en les convertissant en fumier, c'est dans l'intérêt de la bonne culture, et cet intérêt est celui des deux parties; le fermier y gagne des récoltes plus abondantes et le bailleur conserve ses terres en bon état. Quand le bail cesse, le fermier devient étranger à la culture; s'il devait néanmoins abandonner au propriétaire les pailles non consommées, il ferait un abandon gratuit de ce qui lui appartient or, personne n'est présumé donnér, et la clause qui oblige le fermier à bien engraisser les terres ne l'oblige certes pas à gratifier le propriétaire. Celui-ci peut user du droit que lui accorde l'article 1778, retenir les pailles dans l'intérêt de la ferme; mais celui qui exproprie doit payer une indemnité au propriétaire (1). La jurisprudence s'est prononcée en ce sens (2).

Il y a des arrêts qui paraissent contraires, notamment un arrêt de la cour de Douai. La contradiction n'est qu'apparente; si la cour a décidé que le fermier sortant n'avait droit à aucune indemnité pour les pailles non consommées, c'est que la clause du bail différait de celle que nous venons de rapporter. Le contrat ne se bornait pas à stipuler que le fermier était obligé à convertir en fumier toutes les pailles sans exception, pour fournir aux engrais et amendements des terres de la ferme; il était dit, en outre, qu'il devait laisser au fermier entrant tous les fumiers et pailles qui se trouveraient dans la ferme et ses dépendances. Le fermier contractait donc un engagement étranger à la culture, puisqu'il prenait naissance au moment où l'obligation de cultiver cessait avec son bail; et s'obliger à laisser à sa sortie les pailles et engrais au

(1) Marcadé, t. VI, p. 514, sur l'article 1778. En sens contraire, Troplong. n" 785.

(2) Bruxelles, 20 février 1838 (Pasicrisie, 1838, 2, 48). Douai, 19 juillet 1850 (Dalloz, 1852, 2, 98). Metz, 18 juillet 1861 (Dalloz, 1862, 2, 70. Il y a un arrêt en sens contraire de la cour de Liége, du 2 février 1839 (Pasierisic, 1839, 2, 22).

termier qui le remplacerait, c'était bien s'obliger à les lui abandonner sans indemnité, car la clause aurait été inutile si le fermier pouvait réclamer une indemnité; cela est de droit, en vertu de l'article 1778. La clause ajoutait donc à la loi; ce qui est une faculté pour le propriétaire devenait une obligation pour le fermier, et une obligation sans récompense, puisque la clause n'en stipulait aucune. Toutefois les considérants de l'arrêt sont rédigés en termes absolus; de sorte que la pensée de la cour reste douteuse (1). Pour prévenir tout doute, les parties doivent stipuler que le fermier s'engage à laisser les pailles à son successeur sans indemnité, alors même qu'il ne les aurait pas reçues à son entrée (2).

453. Le fermier sortant a droit à une indemnité pour les pailles et engrais que le propriétaire retient, alors que le fermier ne les a pas reçus lors de son entrée en jouissance (art. 1778). On demande si le fermier peut se faire rembourser, à titre d'améliorations, des engrais qu'il a mis sur les terres, quand c'est le propriétaire qui en profite. Voici les circonstances dans lesquelles la question s'est présentée. Le fermier occupait les terres par tacite réconduction; il venait d'y faire d'assez fortes dépenses d'engrais quand le propriétaire lui donna congé. Il est bien certain que si le preneur avait prévu le congé, il n'aurait pas fait des dépenses qui ne devaient pas lui profiter. L'équité était pour lui, mais le droit était pour le propriétaire. En fumant les terres, le fermier ne fait que remplir l'obligation qu'il contracte de jouir en bon père de famille; or, il ne peut pas réclamer d'indemnité pour les obligations qui sont à sa charge. Quant à la considération d'équité, on l'écarte, par le motif que le fermier sait que d'une année à l'autre il peut recevoir un congé; s'il veut se mettre à l'abri de ce danger qui le menace, il doit faire un nouveau bail par écrit; s'il ne le fait pas, il doit supporter la mauvaise chance à laquelle il s'expose (3).

Le droit strict reçoit cependant une modification quand

(1) Douai. 4 juin 1849 (Dalloz, 1852, 2, 97).

(2) Bruxelles, 7 août 1852 (Posicrisie, 1854, 2, 174).
(3) Bruxelles. 23 juin 1841 (Pasicrisie, 1841, 2, 191).

les usages sont contraires. Or, il est d'usage général dans les Flandres que le fermier sortant peut exiger une indemnité pour les labours, engrais et semences destinés à produire des fruits qui ne seront récoltés qu'après l'expiration du bail. La cour de Gand, qui constate l'usage, ajoute qu'il s'est introduit dans l'intérêt bien entendu du bailleur, et qu'il est d'ailleurs basé sur le principe d'équité d'après lequel personne ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui. Dans l'espèce, on objectait que le fermier ne prouvait pas qu'à son entrée en jouissance il avait payé cette même indemnité. La cour répond que ce qui s'est passé entre les fermiers sortant et entrant est étranger au propriétaire; les motifs d'équité et d'intérêt n'en existent pas moins en faveur du fermier. Par eux-mêmes ces motifs ne suffisaient point, mais l'usage qui s'est établi tient lieu de convention, en ce sens que les conventions obligent non-seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité et l'usage donnent à l'obligation d'après sa nature (art. 1134) (1).

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454. Le fermier qui a droit à des indemnités peut-il rester en possession jusqu'à ce qu'il en ait reçu le payement? On a prétendu qu'il jouissait du droit de rétention; la jurisprudence des cours de Belgique s'est prononcée contre le fermier. La rétention est une espèce de privilége, et il n'y a point de privilége sans loi. Quand la loi veut l'accorder au fermier, elle le dit: le preneur que l'acqué reur veut expulser peut rester en possession jusqu'à ce que le bailleur ou, à son défaut, l'acheteur lui aient payé les dommages et intérêts dont ils sont tenus (art. 1749); mais ce droit est de stricte interprétation, on ne peut pas l'étendre à des cas non prévus par la loi. L'analogie, d'ailleurs, fait défaut. Dans le cas de l'article 1749, le fermier a un bail, l'acquéreur peut y mettre fin, mais sous des conditions que la loi détermine; tant que ces conditions ne sont pas remplies, il est naturel que le bail continue; tandis que le fermier sortant, qui réclame des indemnités

(1) Gand, 13 juillet 1834 (Pasicrisie, 1834, 2, 185). Le même arrêt est rapporté à la date du 13 juillet 1833 dans la Pasicrisie de 1842, 2, 192.

pour frais de labour, d'engrais et de semences n'a plus de bail; quand même il resterait en possession, il n'aurait pas le droit de jouir; il doit donc faire place au fermier qui a le droit d'occuper les lieux et de cultiver (1).

§ IV. De l'indemnité en cas de perte de récoltes.

No 1. QUAND LE FERMIER A-T-IL DROIT A CETTE INDEMNITÉ?

455. Quand la totalité ou la moitié d'une récolte au moins est enlevée par des cas fortuits, le fermier peut demander une remise proportionnelle de son prix de location (art. 1769 et 1770). Quel est le fondement de ce droit? Est-ce une application des principes? ou est-ce une dérogation aux principes, une disposition d'équité? La question est controversée; nous croyons, avec la plupart des auteurs, que, dans la pensée des rédacteurs du code, le droit du fermier à une indemnité est une conséquence de l'obligation que le bailleur contracte de faire jouir le preneur. La tradition est en ce sens, et elle n'est pas douteuse; il suffira de rapporter le témoignage de Pothier. Il pose en principe que le preneur doit obtenir la remise du prix pour le tout lorsque le bailleur n'a pu lui procurer la jouissance de la chose louée, et qu'il a droit à une remise proportionnelle s'il n'a pu jouir que d'une partie de la chose. Pothier applique ce principe au cas où le fermier a été, par une force majeure, privé de pouvoir recueillir les fruits de quelqu'une des années de son bail Il donne comme exemples si l'ennemi a fourragé tous les blés en herbe, ou si les fruits ont péri par un cas fortuit, tel qu'une inondation, un essaim de sauterelles, ou quelque accident semblable (2).

Les orateurs du Tribunat reproduisent cette doctrine. • Le bail, dit Jaubert, est un contrat commutatif : la chose pour le prix. Les fruits doivent donc être l'équivalent du prix de ferme. Ainsi, il est de l'essence de ce contrat que

(1) Gand, 24 novembre 1837 (Pasicrisie, 1837, 2, 248). Bruxelles, 8 février 1819 (Pasicrisie, 1819, p. 302).

(2) Pothier, Du louage, no 153.

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