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devient impossible. La clause est très-dangereuse; on l'a invoquée contre le fermier pour les ravages de la guerre funeste qui a désolé la France, vainement disait-on que pas un Français n'aurait songé que sa patrie serait envahie et démembrée; on répond que les cas fortuits imprévus sont précisément ceux que l'on ne peut pas prévoir; la clause est essentiellement aléatoire, c'est au fermier à stipuler des compensations.

Il va sans dire que cette clause doit être expresse; mais faut-il que la convention reproduise les termes de la loi tous les cas fortuits prévus ou imprévus? Notre droit ne connaît pas de termes sacramentels; on est tenté de le regretter quand il s'agit d'une stipulation aussi dangereuse que celle des cas fortuits imprévus. La cour de Bordeaux a jugé que les expressions tous les cas fortuits quels qu'ils soient ne souffraient aucune exception, et embrassaient dans leur généralité les cas fortuits prévus et imprévus (1). Nous croyons que la décision est juste; mais, dans l'intérêt des fermiers et pour les forcer à réfléchir sur les conséquences de la clause, nous voudrions que l'acte portât le mot imprévus. La loi range parmi les cas fortuits extraordinaires les ravages de la guerre; on doit mettre sur la même ligne les ravages des révolutions (2); il y a tels pays où l'on pourrait presque les ranger parmi les cas fortuits ordinaires.

469. Le fermier s'est fait assurer contre les cas fortuits. On a prétendu qu'étant indemnisé par la compagnie d'assurances, il ne pouvait plus réclamer une indemnité contre le propriétaire. Il est presque inutile de dire que cette prétention a été repoussée. On s'étonne que des erreurs pareilles soient soutenues jusque devant la cour de cassation; il suffit de citer l'article 1165, qui consacre le principe élémentaire en vertu duquel les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes; le proprié taire ne peut donc pas se prévaloir de la convention qui intervient entre l'assuré et l'assureur (3). Au point de vue

(1) Bordeaux. 24 décembre 1830 (Dalloz. au mot Louage, no 823, 1o). (2) Paris, 24 messidor an x (Dalloz, au mot Louage, no 823, 2o. (3) Rejet, 4 mai 1831 (Dalloz, au mot Louage, no 800).

de l'équité, on pourrait objecter que le fermier recevra unc double indemnité; cette objection même n'est pas fondée, car le fermier a payé l'indemnité qu'il reçoit de la compagnie d'assurances, en payant la prime. C'est un contrat aléatoire qui doit lui profiter, puisqu'il peut lui nuire.

§ IV. Durée du bail à ferme.

470. Le bail, sans écrit, d'un fonds rural est censé fait pour le temps qui est nécessaire afin que le preneur recueille tous les fruits de l'héritage affermé. » L'article 1774, après avoir posé ce principe, en donne des applications « Ainsi le bail à ferme d'un pré, d'une vigne ou de tout autre fonds dont les fruits se recueillent en entier dans le cours de l'année, est censé fait pour un an. Le bail des terres labourables, lorsqu'elles se divisent par soles ou saisons, est censé fait pour autant d'années qu'il y a de soles. Nous avons dit ailleurs pourquoi les baux à ferme ont une durée fixe, quoiqu'ils soient faits sans écrit, ce qui, dans le langage du code, signifie que les parties n'ont pas stipulé de terme dans le contrat. La nature des choses et l'intention des parties contractantes suffisent pour déterminer la durée de. la jouissance du fermier; celui-ci, en prenant un héritage à ferme, veut naturellement en recueillir tous les fruits; le bail doit done durer pendant le temps qui est nécessaire pour que le preneur puisse faire la récolte. Or, le bail comprend le plus souvent des terres labourables dont la culture est divisée en trois soles ou saisons; il faut, dans ce cas, trois ans pour que le fermier jouisse de toutes les parties.de l'héritage, c'est-à-dire pour qu'il récolte tous les fruits que les trois soles sont destinées à produire; partant la durée légale du bail sera de trois ans.

Le système des soles est abandonné généralement, en ce sens qu'il n'y a plus de jachère; est-ce à dire que, par suite de cette innovation, l'article 1774 ne doive plus recevoir son application? On l'a prétendu en vertu de ce vieil adage que la cause cessant, l'effèt doit cesser. La

cour de cassation a rejeté cette fausse interprétation de la loi. Il n'est pas exact de dire que la distribution des terres en soles n'a plus de raison d'être là où on ne laisse plus une des soles en jachère. L'usage des soles s'est introdui parce que l'expérience a prouvé que la culture des terres doit varier, c'est cette variété qui procure au sol le repos relatif dont il a besoin; de même que l'homme d'étude se repose en changeant d'occupation. Peu importe donc qu'il n'y ait plus de jachère; pour mieux dire, depuis qu'on ne laisse plus reposer d'une manière absolue l'une des trois saisons, il devient encore plus nécessaire de varier les cultures. Dans l'espèce jugée par la cour de cassation, il y avait un assolement triennal, une sole à blé, une sole à mars et une troisième désignée par le terme traditionnel de jachère, mais cultivée en plantes oléagineuses, ce qu'on appelle en France le reboulage. La substitution du reboulage à la jachère n'empêche pas la rotation triennale des récoltes propres à chacune des soles; il faut toujours trois ans pour que chaque partie d'un domaine produise une récolte de blé; donc le bail doit toujours durer trois ans quand la ferme est divisée en trois soles (1).

471. L'application de l'article 1774 souffre une légère difficulté lorsque la ferme comprend des terres labourables soumises à l'assolement et des fonds qui conservent toujours la même culture, tels que des prés. Faudra-t-il scinder, dans ce cas, le bail de manière que le pré soit loué pour un an et les terres labourables pour trois ans! Non, certes; car le bail n'a pas pour objet divisément un pré et des terres labourées, il a pour objet une ferme comprenant diverses espèces de cultures; en ce sens, le bail est indivisible; et s'il doit durer trois ans pour une partie de l'héritage, il aura nécessairement la même durée pour les autres parties. La cour de Bruxelles l'a jugé ainsi en insistant sur une circonstance de la cause, c'est que l'éten due des terres labourées l'emportait de beaucoup sur l'étendue de la prairie (2). C'est un fait que la cour a cru

(1) Rejet. 16 août 1853 (Dalloz. 1834. 1, 83).

(2) Bruxelles, 15 juillet 1815 (Pasicrisie, 1815, p. 448.

devoir relever, parce qu'il ne laissait aucun doute sur la décision du procès, mais ce n'est pas une condition. Le bail est toujours indivisible, à moins que les parties contractantes ne l'aient divisé; on ne concevrait guère le bail d'une ferme qui, à la fin de la première année, enlèverait au fermier la jouissance des prairies, alors qu'elle lui est .nécessaire pour nourrir les bestiaux, dont la vente constitue un de ses principaux bénéfices (1).

472. L'article 1774 ne parle pas des bois. Ils présentent une difficulté particulière quand ils sont aménagés. Quelle sera la durée du bail si l'exploitation est divisée en plusieurs coupes? Le projet présenté au conseil d'Etat contenait la disposition suivante : « Le bail d'un bois taillis, lors même qu'il se partage en plusieurs coupes, n'est censé fait que pour une coupe. » Defermon critiqua cette exception que le projet apportait à la règle; il prétendit que si la convention ne donnait droit au preneur que sur une coupe, il y aurait vente, et que si l'aménagement comprenait plusieurs coupes, le bail devait durer autant d'années qu'il y avait de coupes. La cour de Rennes avait proposé une disposition en ce sens, mais la section de législation ne l'adopta pas. On fit encore, au conseil d'Etat, la remarque que dans les localités boisées, telles que la Bretagne, les baux à ferme comprenaient d'ordinaire quelque taillis, dont le fermier jouissait pendant toute la durée de son bail. Cet usage aurait été aboli par le projet, et sans raison. En présence de ces difficultés, Tronchet proposa de ne point s'expliquer sur les bois; en conséquence, l'alinéa concernant les bois fut rejeté (2). Les procès-verbaux, très-mal rédigés, ne rapportent pas ce que Tronchet doit avoir dit pour motiver sa proposition. Toujours est-il qu'il n'y a pas de loi. Il faut cependant une règle quelconque.

Nous croyons, avec Duvergier, qu'il faut distinguer. Si le bail a pour unique objet un bois, ce qui arrivera rarement, on appliquera la règle de l'article 1774, puisque la

(1) Colmet de Santerre, t. VII. p. 329, no 224 bis III.

(2) Séance du conseil d'Etat, du 9 nivôse an XII, n° 16 (Locré, t. VII, p. 161).

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loi n'y fait aucune exception; par conséquent, la durée du bail sera déterminée par le nombre des coupes. Si le bail comprend des terres labourables et un taillis, il faut s'en tenir au principe de l'indivisibilité du bail; mais la durée en sera-t-elle réglée d'après la jouissance des terres ou d'après la jouissance du bois? Duvergier a recours à des présomptions; il présume que les parties ont surtout en vue la récolte des fruits; d'où suit que la durée du bail sera déterminée par l'assolement (1). Cela est, en effet, très-probable; mais pourquoi établir des présomptions a priori? Laissons ce soin au juge; il décidera, d'après les circonstances de la cause, quel est l'objet principal du hail, et il fixera en conséquence la durée du contrat, conformément au principe de l'article 1774.

473. L'article 1774 dit que le bail à ferme est censé fait pour le temps qui est nécessaire afin que le preneur recueille tous les fruits de l'héritage affermé. Il a été jugé que le mot censé marque une présomption, mais que cette présomption cède devant la preuve contraire (2). Nous avons déjà bien des fois rencontré le mot censé; il indique une décision de la loi, fondée d'ordinaire sur l'intention des parties intéressées, sans qu'il y ait une présomption proprement dite. Dans l'espèce, la question n'a aucun intérêt, car il est certain que la loi ne fixe la durée du bail à ferme que dans le silence du contrat; l'article 1774 le dit, puisqu'il parle du bail, sans écrit, du fonds rural; et par bail sans écrit la loi entend un bail qui n'a pas de durée conventionnelle. Il va sans dire que si les parties ont elles-mêmes fixé la durée du contrat, l'article 1774 n'est plus applicable. Il n'y a de difficulté que sur le mode de preuve que la loi admet. Nous renvoyons à ce qui a été dit sur cette matière au commencement du titre (3).

474. Les parties contractantes pourraient-elles alléguer un usage contraire? On a jugé, avec raison, que l'usage ne peut pas être invoqué contre la loi (4); les an

(1) Duvergier, Du louage, t. II. p. 232, nos 206-208. Comparez Colmet de Santerre, t. VII. p. 329. no 224 bis IV.

(2) Bourges, 3 mai 1821 (Dalloz, au mot Louage, no 830).

(3) Comparez Bruxelles, 13 janvier 1863 (Pasicrisie, 1863, 2, 281).

Jugement du tribunal de Verviers, 6 mars 1872 (Pasicrisie, 1873, 2,

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