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est un bail, et les auteurs lui font dire que le colonage est une société. Mais on aurait beau effacer les noms de bail, de bailleur et de preneur, cela ne suffirait point, il fau drait encore effacer les deux dispositions où ces mots sont employés, par une excellente raison. De quoi s'agit-il? D'une exception à l'article 1717: le preneur a le droit de sous-louer et de céder son bail. L'article 1763 interdit ce droit au preneur qui cultive sous la condition d'un partage de fruits. Or, pour que le colonage soit excepté de la règle de l'article 1717, il faut que par sa nature il y soit compris, de sorte que le colon aurait eu, à titre de preneur, le droit de sous-louer et de céder son bail, si l'article 1763 ne l'en avait privé. L'exception confirme la règle; la règle est donc que le colonage partiaire est un bail, qu'il est soumis aux règles générales de ce contrat, sauf les exceptions consacrées par la loi. Dire que l'exception de l'article 1763 concerne un contrat de société, c'est faire dire un non-sens au législateur; il aurait considéré comme une exception aux règles du bail une disposition qui régit le contrat de société! Si le colonage était une société, le législateur aurait dit que le colon, l'un des associés, ne peut pas mettre un autre associé en son lieu et place; il n'aurait pas dit que le colon ne peut pas souslouer : un associé peut-il sous-louer, alors qu'il n'est pas locataire? La loi n'aurait pas dit que le colon ne peut pas céder son bail : un associé cède-t-il un bail, alors qu'il n'y a pas de bail? Nous n'insistons pas, parce que tout débat doit cesser quand le législateur a parlé (1).

La jurisprudence est divisée (2); nous reviendrons sur les questions pratiques. Il y a un arrêt qui s'est prononcé pour une opinion intermédiaire, en décidant que le colonage n'est ni un louage ni une société, que c'est un contrat innomé qui participe de l'un et de l'autre contrat (3). Cette opinion aussi est inacceptable. Qu'est-ce qu'un contrat

(1) Voyez, en sens divers, les autorités citées par Aubry et Rau, t. IV, p. 509, note 16, § 371. 11 faut ajouter, dans le sens de notre opinion, Colmet de Santerre. t. VII, p. 317, no 213 bis II.

(2)- La cour de Limoges dit que le colonage est un contrat de société; la cour de Nimes dit que c'est un louage. Voyez, plus bas. no 479.) (3) Limoges, 26 avril 1848 (Dalloz. 1849, 2, 173).

innomé, en droit français? C'est celui qui n'a pas une dénomination propre, parce que le code n'en traite pas specialement (art. 1107). Or, on ne peut pas dire du colonage partiaire qu'il n'a pas de nom, puisque l'article 1763 lui donne le nom de bail. Le texte est donc contraire à l'opinion consacrée par la cour de Limoges. Nous allons exposer les conséquences qui découlent du texte; les principes qui régissent le louage sont applicables au colonage, et ils suffisent sans qu'il soit besoin de recourir aux regles du contrat de société.

478. Quelle est la durée du colonage? Dans notre opinion, les articles 1774 et 1775 sont applicables au colonage partiaire. Il suit de là que ce bail cesse toujours de plein droit, parce qu'il a toujours un terme fixe, soit conventionnel, soit légal; partant, il n'y a pas lieu de signifier un congé au colon, sauf le congé qui est donne pour empêcherla tacite réconduction. La cour de Limoges a jugé que les articles 1774 et 1775 ne sont pas applicables, parce que le colonage ne peut être assimilé au bail rural; elle a appliqué les usages locaux d'apres lesquels le congé doit être donné trois mois d'avance. Chose singulière, tout en décidant que le colonage n'est pas un bail, la cour applique une des règles du bail, celle du délai dans lequel le congé doit être donné: peut-il être question de congé si le colonage est une société? La cour d'Agen a jugé, en droit, que l'usage des lieux détermine l'époque précise à laquelle le bailleur à colonage est tenu de donner congé à son métayer (1). C'est une nouvelle contradiction. La cour qualifie le contrat de bail, puisqu'elle donne le nom de bailleur au propriétaire. Si c'est un bail, ce ne peut être qu'un bail à ferme, puisqu'il a pour objet des biens ruraux, donc les articles 1774 et 1775 doivent recevoir leur application; et quand la loi a parlé, les usages ne peuvent plus être invoqués.

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479. L'article 1733, aux termes duquel le preneur répond de l'incendie, est-il applicable au colon? C'est la question la plus grave qui se présente en cette matière.

(1) Limoges, 18 mars 1842; Agen, 26 novembre 1822 Dall z, au mot Lauage a colonage partiaire, no 3 )),

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La solution n'est pas douteuse si l'on admet les principes que nous avons exposés sur la responsabilité du preneur. Dans notre opinion, la responsabilité de l'article 1733 est, en tout, l'application du droit commun; c'est parce que le preneur est débiteur d'un corps certain qu'il doit prouver le cas fortuit qui le dispense de la restitution de la chose, et cette preuve consiste à établir que l'incendie est arrivé sans sa faute, preuve qui est aussi régie par le droit commun. Donc, quel que soit le nom que l'on donne au contrat de colonage, la disposition de l'article 1733 reste applicable; et si l'on admet que le colonage est un bail à ferme, la question ne peut pas même être soulevée; l'article 1733 resterait applicable, alors même qu'il dérogerait aux principes généraux de droit.

C'est sur cette question que la jurisprudence s'est divisée. La cour de Nîmes a jugé, conformément à notre opinion, que le colon partiaire répond de l'incendie; mais c'est à peine si nous pouvons invoquer l'arrêt; il a adopté les motifs du jugement de première instance, lequel n'est pas rédigé avec la précision qui est toujours nécessaire et qui l'est surtout dans une matière aussi difficile que celle de la responsabilité. La cour dit que l'article 1733 est fondé sur le principe que chacun répond du dommage qu'il cause par sa faute (1). Ce principe est celui de l'article 1382, c'est-à-dire le principe qui régit les délits et les quasi-délits; or, celui qui agit en vertu de l'article 1382 doit prouver la faute sur laquelle son action en dommagesintérêts est fondée; de sorte que si l'on admettait le principe de la cour de Nîmes, on aboutirait à une conclusion toute contraire, à savoir que le bailleur doit prouver que l'incendie est arrivé par la faute du colon.

La cour de Limoges s'est prononcée contre l'application de l'article 1733, par le motif que le colonage partiaire n'est pas un bail (2). Cette décision serait très-logique s'il était vrai, comme la cour le dit, que la responsabilité de l'incendie est particulière au bail. Mais le point de départ de la cour est erroné; l'article 1733 n'impose pas au

(1) Nimes, 14 août 1850 (Dalloz, 1851, 2, 144).

(2) Limoges, 21 février 1839 (Dalloz, au mot Louage, no 400).

preneur une responsabilité exceptionnelle, il ne fait qu'appliquer au preneur, débiteur d'un corps certain, le principe de l'article 1302. Quand même le colonage ne serait pas un bail, le colon n'en serait pas moins obligé de restituer la chose dont il jouit, il est donc débiteur d'un corps certain; s'il ne le restitue pas, il est tenu de prouver le cas fortuit qui l'en empêche et qui l'en dispense; et comme l'incendie n'est pas un cas fortuit, il doit prouver que la chose a été détruite sans sa faute.

480. Les droits des parties qui contractent un colonage partiaire sont les droits qui résultent du bail. De là suit que le propriétaire a le privilége que la loi accorde au bailleur. On peut objecter que l'article 2102 (loi hyp., art. 20) suppose que le preneur doit un loyer ou un fermage; or, le colon ne paye pas un prix, il partage les fruits avec le propriétaire; donc on n'est pas dans le texte de la loi, et il n'y a pas de privilége sans texte qui l'établisse. Notre réponse se trouve dans le texte que l'on nous oppose; la loi dit que les loyers et fermages sont privilégiés; donc il y a privilége lorsqu'un prix est dû en vertu d'un bail, la loi n'exige pas que le prix consiste en argent. Il est certain que le bailleur a un privilége si le prix consiste dans une quantité déterminée de fruits. Par la même raison, il y a un prix et, partant, privilége quand, au lieu de recevoir une quotité déterminée de fruits, le propriétaire en prend la moitié (1).

481. Le principe que les droits des parties sont ceux qui naissent du bail reçoit une exception; les articles 1763 et 1764 portent : « Celui qui cultive sous la condition d'un partage de fruits avec le bailleur ne peut ni souslouer ni céder, si la faculté ne lui en a été expressément accordée par le bail. En cas de contravention, le propriétaire a droit de rentrer en jouissance, et le preneur est tenu des dommages-intérêts résultant de l'inexécution du bail. Quel est le motif de cette exception? Le rapporteur du Tribunat répond que la raison de la différence que la loi établit entre le preneur et le colon résulte de ce que le

"

(1) Aubry et Rau t. IV, p. 510, note 19, § 371.

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colon partiaire est une sorte d'associé, et qu'il est de principe, en matière de société, que personne n'y peut être introduit sans le consentement de tous les associés (1). On se prévaut du texte et du motif donné par Mouricault contre l'opinion que nous avons admise sur la nature du colonage partiaire : les auteurs mêmes du code, dit-on, reconnaissent que le colon est un associé (2). Cela n'est pas exact; le rapporteur du Tribunat dit que c'est une espèce d'associé, il le compare à un associé pour expliquer la disposition exceptionnelle de l'article 1763. L'orateur du gouvernement va nous dire en quel sens on peut comparer le colon à un associé. Galli dit également que le bail à colonage forme une espèce de société entre les parties le propriétaire donne le fonds et le colon la semence et la culture, chacun hasardant la portion que cette société lui donne aux fruits. Cependant, malgré cette apparence de société, l'orateur du gouvernement qualifie le colonage de bail. Cela n'est pas contradictoire; le colɔnage partiaire est un louage, mais il a un caractère particulier, c'est que les fruits se partagent. De là suit que le propriétaire prend en considération les qualités du colon; Galli, qui aime à parler latin, dit : Electa est industria; il met ces paroles dans la bouche du propriétaire Pour labourer mes terres, pour les exploiter. j'ai choisi, j'ai contemplé l'adresse, la capacité de telle personne et non de telle autre. » Galli ajoute, en son nom:

:

Je vendrais bien à qui que ce soit un héritage, pourvu qu'il me le paye ce que j'en demande, mais je ne ferais pas un contrat de colonie partiaire avec un homme inepte, quelque condition onéreuse qu'il fût prêt à subir et quelques avantages qu'il voulût m'accorder (3). » L'orateur du gouvernement aurait mieux fait d'établir la comparaison entre le fermier ordinaire et le colon. Le propriétaire est toujours intéressé à avoir un fermier capable et soigneux, mais il y a un plus. grand intérêt quand, pour prix de la

(1) Mouricault, Rapport, no 15 (Locré, t. VII, p. 204).

(2) Les auteurs sont divisés; voyez les témoignages dans Aubry et Rau, t IV. p. 511. note 11, § 371.

(3) Galli, Exposé des motifs, no 16 (Locrė. t. VII. p. 195).

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