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emprunté à l'ancienne jurisprudence, et dans l'ancien droit, les domestiques seuls étaient soumis à cette disposition exceptionnelle (1). Au conseil d'Etat, Defermon observa que les règles relatives aux ouvriers ne sont pas les mêmes que celles qui concernent les domestiques. On ne s'en rapporte pas à l'affirmation de la personne qui confie un travail à un maçon ou à un couvreur. Defermon en conclut que le projet avait tort d'envelopper dans une même disposition les ouvriers et les domestiques. Miot répondit que l'article 1781 ne s'appliquait qu'à l'entrepreneur dans ses rapports avec l'ouvrier qu'il emploie. Treilhard ajouta qu'en effet la loi ne recevait d'application qu'entre l'entrepreneur et son ouvrier, entre le maître et son domestique.

Il résulte de cette discussion que les auteurs du code. ont entendu consacrer la règle traditionnelle en ne l'appliquant qu'aux ouvriers qui se trouvent dans des relations de domesticité, et ce qui caractérise la domesticité, c'est la dépendance du domestique et l'autorité du maître. L'application n'est pas sans difficulté, parce que la loi ne définit pas la domesticité. Nous avons déjà dit que l'on ne pouvait plus qualifier de domestiques les intendants, les secrétaires, les précepteurs, auxquels Henrion de Pansey donne ce nom, sous l'influence de la tradition (no 487); bien moins encore peut-on les appeler des ouvriers. Les commis des établissements de commerce ou d'industrie ne sont également ni ouvriers ni domestiques. L'esprit de la loi, quant à cette catégorie de subordonnés, ne laisse aucun doute; ils ont reçu une culture intellectuelle et morale qui ne permet pas de les confondre avec des domestiques, que l'article 1781 suppose ne pas savoir écrire.

La question devient douteuse pour les ouvriers proprement dits. On s'accorde à dire que l'article 1781 ne s'applique pas aux ouvriers qui s'engagent à faire un ouvrage moyennant un certain prix : le texte même les exclut, puisque le prix n'est pas fixé à l'année ni au mois, il est

(1) Merlin, Répertoire, an mot Domestiques, no IV.

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502. La jurisprudence est restrictive, même quant aux gages. Une convention intervient entre un maître et son domestique, par laquelle il est stipulé que la moitié seulement des gages sera payée chaque année et que l'autre moitié sera retenue pour former un capital qui ne deviendra exigible qu'à l'expiration des sept années pendant lesquelles le domestique s'était engagé à servir. Le domestique est renvoyé; il réclame le montant de la moitié non annuellement exigible de ses gages. Le maître lui oppose son affirmation, prétendant avoir payé tout ce qu'il devait au domestique. Cette prétention fut repoussée par le juge de paix et, en appel, par le tribunal. Le texte de l'article 1781 n'était pas applicable, car le débat ne portait pas sur le salaire de l'année échue, il ne portait pas sur des à-compte; il s'agissait d'une convention non prévue par la loi, de gages capitalisés et exigibles seulement à la fin du contrat; on ne se trouvait donc pas dans les termes de l'exception, ce qui était décisif (1).

503. S'il y avait contestation sur l'existence même du contrat de service, l'article 1781 serait encore inapplicable, car la loi ne prévoit pas cette hypothèse; par conséquent il faudrait appliquer le droit commun; le demandeur devrait prouver la convention par écrit si elle excédait le chiffre de 150 francs (2). Il en serait de même si le débat portait sur l'époque à laquelle le contrat a commencé. Un maître qui avait donné ordre à sa femme de charge d'engager un cuisinier, en la prévenant qu'il comptait rentrer à Paris le 27 avril; il ne rentra que le 27 mai; le domestique avait pris possession de son emploi dès le 27 avril. De là procès le maître prétendait ne faire courir les gages qu'à partir du 27 mai, et il invoquait le bénéfice de l'article 1781. Sa prétention a été repoussée; il s'agissait, non de la quotité des gages, mais du contrat même et de l'époque à laquelle, en vertu du contrat, le domestique

(1) Rejet, 7 novembre 1866 (Dalloz, 1867, 1, 60).

(2) Comparez cassation, 25 aoùt 1862 (Dalloz, 1862, 1, 345).

devait entrer en service; l'article 1781 ne prévoit pas cette hypothèse, et le silence de la loi en cette matière est décisif. Il n'y a pas d'exception sans loi; et dès qu'il n'y a pas d'exception, on reste sous l'empire du droit commun (1).

504. L'article 1781 est-il applicable aux avances que le maître fait à son domestique sur ses gages? Il y a un léger motif de douter; la loi parle d'à-compte, et cette expression suppose une dette échue que l'on paye en partie, par à-compte. La cour de cassation n'a pas admis cette interprétation, et avec raison; c'est méconnaître la volonté bien certaine du législateur en s'attachant à un mot, et ce mot même n'est pas décisif; il faut l'entendre conformément à la réalité des choses et à l'ensemble du texte. Quand le maître donne un à-compte, c'est régulièrement sur des gages non échus, et c'est aussi en ce sens que l'article 1781 emploie ce terme; en effet, il suppose que les gages sont fixés par année, c'est sur l'année courante, donc non échue, que l'à-compte se fait; donc c'est une avance (2).

505. L'article 1781 dit que le maître en est cru sur son affirmation. Cela veut-il dire que le maître doit affirmer sous la foi du serment? A notre avis, non; autre chose est une affirmation faite en justice, autre chose est un serment. Quand la loi prescrit un serment, elle le dit (art. 1715); et elle ne l'exige que d'après le droit commun, c'est-à-dire lorsque l'une des parties le défère à l'autre, ou lorsque le juge le défère à l'une des parties (art. 1329). Dans le cas prévu par l'article 1781, ce n'est pas le juge qui défère le serment, c'est la loi qui s'en rapporte à l'affirmation du maître; exiger de lui qu'il affirme sous serment, c'est ajouter à la loi et, par conséquent, la dépasser; l'interprète n'a pas ce droit.

L'opinion contraire est généralement enseignée; on dit que le serviteur peut exiger que l'affirmation se fasse avec serment, parce que le serment peut être déféré sur quel

(1) Jugement du tribunal de la Seine, 5 octobre 1867 (Dall!oz, 1867, 3, 103). (2) Cassation, 21 mars 1827 (Dalloz, au mot Louage d'ouvrage, no 35).

réfèrent tacitement. Il est impossible de rapporter ces usages, puisqu'ils varient d'une ville à l'autre, et plus impossible encore de les ramener à des règles certaines (1); c'est une tradition qui est en voie de se former, et que le législateur sera un jour appelé à consacrer quand la révolution, qui s'accomplit dans les rapports entre maîtres et serviteurs, sera arrivée à son terme.

508. Une autre révolution s'est faite depuis la publication du code civil; l'industrie et le commerce ont pris un développement prodigieux. De puissantes compagnies se sont formées pour exploiter tous les genres d'industrie et de commerce; elles ont un personnel nombreux. Quelle est la condition de leurs employés? Ceux qui se mettent au service d'une compagnie d'assurance, ou d'une société de chemin de fer, sont rarement dans le cas de stipuler les conditions de leur engagement, ils sollicitent une faveur et ils acceptent leur emploi à ce titre. Cependant il y a une convention, c'est un louage de services. Mais quelles en sont les règles? Le code n'en trace aucune; les contestations se multiplient, et la jurisprudence est sans principes. Il serait téméraire de vouloir tracer des règles autres que celles qui résultent des principes généraux de droit. Suffisent-elles? Nous croyons qu'il y a lacune; de là les nombreux procès qui s'élèvent sur les droits des patrons et sur les droits des commis. Nous allons exposer l'état actuel de la jurisprudence, en y ajoutant nos motifs de douter.

509. Quand il existe entre le patron et l'employé une convention qui règle la durée du louage, il n'y a aucun doute; on applique l'article 1134: les contrats tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. A défaut de conventions, les contrats ne peuvent être révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise; donc le louage ne peut prendre fin que du consentement des deux parties ou pour les causes légales. Il n'y a pas de loi pour le louage de services; il faut donc s'en tenir aux principes qui régissent les obligations con

(1) Colmet de Santerre a essayé de le faire (t. VII, p. 337, nos 231 bis I-IX).

ventionnelles. En vertu de ces principes, les contrats synallagmatiques ne peuvent être résolus que par le juge, lorsque l'une des parties ne remplit point ses engagements: c'est la condition résolutoire tacite de l'article 1 184 dont nous avons traité, au titre des Obligations. Il suit de là qu'aucune des parties ne peut mettre fin au louage en donnant un congé, quand même elle offrirait des dommages-intérêts; la résolution doit être demandée en justice, et le demandeur est tenu de prouver l'inexécution des engagements de l'autre partie, puisque cette inexécution forme le fondement de sa demande. Tant que la résolution n'est pas prononcée, le contrat doit être maintenu par les deux parties. Nous emprunterons une application remarquable à la jurisprudence.

Un contrat intervient entre un marchand de vins, eauxde-vie et liqueurs et une dame mariée, assistée de son mari; la dame s'engage, en qualité de caissière, aux appointements mensuels de 125 francs, plus un logement à l'entre-sol de la maison pour elle et sa famille. Le traité était fait pour trois ans à partir du 4 septembre 1872. Dès le 28 décembre, la caissière fut expulsée en vertu d'une ordonnance de référé; la cour de Paris ordonna sa réintégration par arrêt du 4 janvier. Le 15 du même mois, nouvelle ordonnance de référé exécutoire par provision, qui enjoignit à la dame de cesser la gérance et de quitter son logement. Tout en renvoyant les parties au principal sur l'interprétation du traité litigieux, le juge de référé prononçait la mesure d'expulsion immédiate comme étant le droit absolu pour le maître ou le patron, mécontent des services du domestique ou de l'employé. C'était une erreur. La cour de Paris dit très-bien que si tel est le droit du maître et du patron lorsqu'il n'existe pas de contrat entre les parties (cela même est contestable), ce droit ne peut être exercé par le maître ou le patron quand il existe une convention obligeant les deux parties, et dont l'interprétation n'appartient qu'aux tribunaux ordinaires. Comme l'expulsion était consommée, la cour condamna le patron à 500 francs de dommages-intérêts, et elle ordonna que la caissière fût réintégrée dans la gestion du fonds de

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