Page images
PDF
EPUB

commerce (1). C'est l'application de notre doctrine. La cour ne cite aucun texte, elle ne donne même aucun motif. Au fond, la décision nous paraît à l'abri de toute critique; c'est l'application de deux textes formels, les articles 1134 et 1184.

La cour de Paris a rendu la même décision dans une autre espèce. Un contrat, fait pour trois ans, fut rompu par le cessionnaire du fonds de commerce, qui congédia le commis. De là procès. Les héritiers qui avaient vendu l'établissement opposèrent qu'ils avaient eu le droit de renvoyer le commis, à raison de fautes graves par lui commises; mais le premier juge déclara les faits qu'ils articulaient non pertinents ni admissibles, d'après les circonstances et documents du procès; en conséquence, il les condamna à 10,000 francs de dommages-intérêts (2). Quand même il y aurait eu faute du commis dans l'accomplissement de ses obligations, il n'appartenait pas au patron de le renvoyer, c'est-à-dire de résoudre le contrat par sa volonté; il devait agir en justice, conformément à l'article 1184.

510. Y a-t-il des contrats de louage dont la durée est limitée par la loi ou par les usages des lieux? Ainsi posée, la question doit être décidée négativement, car la loi ne contient aucune disposition sur la durée du louage, et elle ne renvoie pas aux usages locaux. S'il y a des usages, ils ne peuvent avoir d'autorité que par les conventions des parties, c'est-à-dire s'il est prouvé que les parties s'y sont rapportées. Il est dit dans un contrat que telle personne est attachée à une propriété rurale pour en faire le service en bon père de famille; ce n'était pas un bail à ferme, mais un louage de services; celui qui loue ses services pour l'exploitation d'un fonds rural est-il un domestique? Il a été jugé que le travail ayant pour objet de diriger et de surveiller la culture, l'usage constant était qu'à défaut de convention contraire, le contrat fût censé fait pour une année. Il faut entendre la décision en ce

(1) Paris, 1er février 1873 (Dalloz, 1873, 2, 166). (2) Paris, 24 février 1860 (Dalloz, 1860, 2, 84).

sens que les parties ont tacitement contracté, conformément à l'usage, ainsi que cela se fait généralement en matière de louage de services. Les gages mensuels n'ayant pas été payés, l'intendant forma une demande en justice contre le maître. Sur cela, le maître expulsa l'intendant de son domicile avec le concours de la force armée, et jeta ses meubles sur la voie publique. La cour a jugé que si le maître avait à se plaindre de son serviteur, il devait poursuivre la résiliation du contrat par une action judiciaire, qu'il n'avait pas le droit de le renvoyer, même en donnant un congé, parce que le serviteur ne se trouvait pas, à l'égard du maitre, dans des rapports de domesti cité (1).

511. Que faut-il décider si la durée du louage est indéterminée? L'arrêt que nous venons de citer dit que le maître peut renvoyer son domestique en lui donnant congé d'après les usages des lieux, et même le renvoyer sans congé, selon les circonstances. Si le maître a le droit de mettre fin au bail d'après sa seule volonté, il en faut dire autant du domestique. Tels sont, en effet, les usages. Mais ces usages ne concernent que le louage de ceux qui sont dans des rapports de domesticité à l'égard du maître. Telle n'est pas la position des commis. En l'absence de conventions expresses ou tacites, quel est le droit des deux parties? Le seul principe posé par le code est qu'on ne peut engager ses services qu'à temps et pour une entreprise déterminée. De là suit que les parties contractantes ne sont pas tenues indéfiniment, elles peuvent donc mettre fin au contrat; mais le peuvent-elles par leur seule volonté? S'il n'y a pas de consentement mutuel, le contrat ne prend fin légalement que pour les causes que la loi autorise (art. 1134); or, il n'y a pas d'autre cause légale de résolution d'un louage de services que la condition résolutoire de l'article 1184. Il faudrait donc régulièrement une action en justice. Toutefois on admet qu'un congé peut mettre fin au contrat; on le décide ainsi, par analogie du louage des choses, quand il est fait pour une

n° 176.

(1) Bordeaux, 3 juin 1867 (Dalloz, 1868. 5, 279, n°7). Pothier, Du louage,

XXV

36

arrêt

nseil.

er ses inée.

senti l'une

usion

le ne

ui ont

Si, dit la re

nps et s parme la lement

y a un

nné le

le vo

ustice.

ement.

ircon

itudes

néces

celui à

aban

s leur tre au

a cour

u com

ontrat,

ure un

ire que

que le ice? n ehef

termi

étaient

nistra

iste ci

durée indéterminée. La raison d'analogie est douteuse. car la situation des parties contractantes n'est pas la même. Dans le louage de choses, le congé suffit pour sauvegarder les intérêts des parties contractantes; le propriétaire trouvera un nouveau locataire dans le délai d'usage, et ce délai suffit aussi au locataire pour trouver une autre maison. Le congé est aussi d'usage dans le louage des domestiques; l'analogie explique cet usage; le domestique, même renvoyé, trouve facilement un nouveau service, parce que le nombre des personnes qui se destinent au service domestique va tous les jours en diminuant. Les difficultés sont bien plus grandes pour les commis; leur nombre va en augmentant à mesure que l'instruction se répand, et s'ils sont renvoyés par leur patron, il leur est d'autant plus difficile de se placer. Notre conclusion serait donc que l'engagement illimité ne peut prendre fin que par une action judiciaire fondée sur l'inexécution des engagements de l'une des parties.

La jurisprudence admet qu'une demande en justice n'est pas nécessaire. Est-ce à dire que le congé suffise? Ce serait placer les commis dans une situation très-fàcheuse; ils se trouveraient, à l'égard du patron, dans une situation aussi dépendante que celle du domestique, plus dépendante encore, comme nous venons de le dire. Peuton admettre que telle soit l'intention des parties contractantes? L'égalité des deux parties est une loi générale des conventions; or, si le congé suffit pour mettre fin au contrat, la situation des parties sera très-inégale. C'est régulièrement le patron qui donne le congé; le patron trouve facilement un autre commis, tandis que le commis trouve difficilement un autre emploi, et cependant pour lui l'emploi est une condition d'existence. En contractant, il n'a pas entendu se soumettre à l'arbitraire du patron. C'est déjà une dure condition que celle du congé; il faut au moins que le congé ne compromette pas l'avenir et l'existence de celui qui le reçoit. C'est dire que, dans l'intention des parties, le congé ne doit pas être préjudiciable; et que s'il est de nature à causer un préjudice au commis, le patron est tenu de l'indemniser.

I

"

512. La cour de cassation l'a jugé ainsi par un arrêt de principe rendu après délibéré en chambre du conseil. Elle commence par rappeler que l'on ne peut engager ses services qu'à temps et pour une entreprise déterminée. Elle en conclut que si un louage de service a été consenti pour une durée illimitée, il dépend de la volonté de l'une ou de l'autre des parties de le faire cesser. La conclusion ne nous paraît pas juridique. Ce qui prouve qu'elle ne l'est pas, c'est que la cour y ajoute des restrictions qui ont pour objet de garantir les intérêts du commis. « Si, dit l'arrêt, la loi ne détermine aucun délai à observer, la renonciation ne peut cependant être faite à contre-temps et d'une manière préjudiciable à l'intérêt de l'une des parties. Si le droit de donner congé était absolu, comme la cour le dit, il n'en résulterait pas de préjudice, légalement parlant : le préjudice suppose un droit lésé, et s'il y a un droit lésé, il en faut conclure que la partie qui a donné le congé ne peut pas mettre fin au contrat par sa seule volonté; ce qui nous ramène à l'intervention de la justice. La doctrine de la cour de cassation y conduit également. « Les tribunaux, dit-elle, peuvent, d'après les circonstances, la nature des services engagés, les habitudes professionnelles des contractants, les conditions nécessaires de leur industrie ou de leur art, accorder à celui à l'égard duquel la convention a été trop brusquement abandonnée, une indemnité dont la fixation rentre dans leur pouvoir souverain d'appréciation. C'est reconnaître au juge un pouvoir discrétionnaire en cette matière. La cour de cassation ne dit pas sur quoi elle fonde le droit du commis à une indemnité; ce ne peut être que sur le contrat, puisque la loi est muette; mais si le contrat assure un droit au commis, ne faut-il pas aller plus loin et dire que le patron n'a pas le droit absolu de le renvoyer, que le contrat ne peut être résolu que par autorité de justice?

Dans l'espèce jugée par la cour, il s'agissait d'un chef de chant entré à l'Opéra, à la fin de 1849, sans détermination de la durée du contrat; ses appointements étaient fixés à 5,000 francs par an. En juin 1854, l'administration de l'Opéra passa dans les attributions de la liste ci

vile; le 30 janvier 1856, l'artiste reçut du nouveau directeur l'avis qu'il était remplacé et qu'il devait cesser ses fonctions le surlendemain, 1er février. Le directeur se fondait sur des faits graves reprochés à l'artiste. On voit que le congé est, en réalité, une résolution du contrat, prononcée par le maître pour inexécution des engagements du commis. Cela nous paraît contraire à tout principe, car c'est permettre à celui qui est partie de juger dans sa propre cause. La cour de Paris décida que, suivant l'usage en matière d'engagements dramatiques, l'artiste ne pouvait être congédié qu'au moyen d'une indemnité équivalente à une année d'appointements. Sur le pourvoi, la chambre civile prononça un arrêt de rejet portant que la cour de Paris n'avait violé aucune loi (1).

513. Si le louage de services fait pour un temps indéterminé peut prendre fin par la volonté des parties, il s'ensuit que celle qui veut faire cesser la convention doit manifester sa volonté en donnant congé à l'autre, et le congé implique un certain délai dans l'intérêt de celui à qui il est donné; si le délai n'est pas suffisant, il y a lieu à dommages-intérêts (2). Toutefois, même sur ce point, la jurisprudence est incertaine. Il a été jugé que le placier peut cesser ses services à volonté, parce qu'il est sans appointements fixes, n'ayant droit qu'à des commissions sur les affaires qu'il apporte à la maison. Le motif n'est pas juridique. Qu'importe comment le placier est rétribué? Il l'est en vertu d'une convention; cette convention peutelle être rompue par sa seule volonté, brusquement, sans prévenir le patron? La cour de Paris, qui l'a jugé ainsi, ne donne aucun motif de sa décision. C'est un arrêt de fait, sans importance doctrinale : le patron ne justifiait pas, dit la cour, qu'il eût éprouvé un préjudice quelconque, de sorte que la question de congé devenait indifférente (3).

Les agents des compagnies d'assurances sont-ils des

(1) Rejet, 8 février 1859 (Dalloz, 1859, 1, 57). Comparez Aubry et Rau, t. IV, p. 514, note 5, § 372.

(2) Besançon, 7 mai 1874 (Dalloz, 1876, 2, 72).

3) Paris, 15 février 1873 (Dalloz, 1873, 2, 143).

1

« PreviousContinue »