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CHAPITRE II.

DES VOITURIERS PAR TERRE ET PAR EAU.

518. Le mot voiturier est un terme technique; il comprend tous ceux qui transportent, moyennant un certain prix, d'un lieu à un autre, les personnes et les choses, quels que soient, du reste, les moyens de transport. On qualifie de voituriers non-seulement les individus qui font les transports par voitures ou par bateaux, mais aussi ceux qui les exécutent par des voies inconnues lors de la publication du code, les bateaux à vapeur et les chemins de fer. Il faut y ajouter un moyen de communication tout récent le transport par ballons a été, pendant le siége de Paris, de 1870 à 1871, la seule voie de communication des assiégés avec le reste du monde, soit pour transporter les personnes par dessus les lignes de l'armée assiégeante, soit pour envoyer des lettres ou des valeurs à la famille, femmes et enfants qui s'étaient réfugiés en province ou à l'étranger, ou pour soustraire des objets précieux au pillage. Il y eut des entrepreneurs d'aérostats, comme il y a des compagnies de chemins de fer et de bateaux à vapeur (1).

Les voituriers par terre et par eau sont ordinairement commerçants; le contrat de transport appartient donc au droit commercial; il en est traité dans le code de commerce, sous le titre de Commissionnaires pour le trans port par terre ou par eau (art. 96 et suiv.). Nous n'entrons pas dans les détails du contrat de transport ou de commission; le code civil ne traite que de la responsabi

(1) Colmet de Santerre, t. VII, p. 345, no 233 bis I.

lité des voituriers et de la preuve du contrat de transport : nous exposerons d'abord les principes généraux, puis nous dirons ce qu'il y a de spécial au transport le plus usuel, celui qui se fait par les voies ferrées.

SECTION I. De la preuve du contrat de transport.

519. Le contrat de transport se forme par concours de consentement, comme toutes les conventions. D'ordi naire le consentement est exprès, il se manifeste par paroles et il se constate par écrit. Le consentement peut aussi être tacite; il l'est très-souvent en matière de louage; dans le bail à loyer et à ferme, la tacite réconduction est fréquente. Le contrat de transport se forme aussi tacitement, lorsque les objets à transporter ont été remis au voiturier, soit dans la voiture ou dans le bâtiment, soit dans le bureau à ce destiné, sur le port ou dans l'entrepôt. Dès que cette remise est faite, la responsabilité des voituriers commence, d'après l'article 1783, donc le contrat est formé. Il n'est pas nécessaire que la remise se fasse au voiturier en personne; quand le transport se fait par entreprise, les objets sont régulièrement remis à des préposés chargés de les recevoir. Le contrat est parfait dès que cette remise a eu lieu. Il faut que la remise se fasse aux personnes qui ont reçu une mission spéciale à cet effet; on applique, dans ce cas, les principes du mandat. Les domestiques du voiturier n'ont pas qualité, comme tels, de recevoir les objets qui doivent être transportés; la remise qui leur serait faite n'engage pas la responsabilité du voiturier; le contrat ne s'est pas formé, faute de consentement. En est-il de même des conducteurs des voitures publiques? Oui; en général, leur fonction consiste à conduire la voiture, ils n'ont pas charge de recevoir; n'étant pas les préposés du voiturier à cet effet, le contrat ne peut pas se former. Toutefois, il faudrait faire exception, s'ils sont autorisés à recevoir en route, là où il n'y a pas de bureau; dès qu'ils ont le droit de recevoir, ils représentent le voiturier et, par suite, le contrat se forme.

La doctrine (1) et la jurisprudence sont d'accord sur ces principes. Un paquet, remis au domestique du voiturier, ne parvint pas à sa destination. Action contre le voiturier; l'expéditeur demanda. que le voiturier fût interrogé sur faits et articles; celui-ci refusa de répondre, en disant qu'aucun contrat n'était intervenu entre lui et le prétendu expéditeur. Le tribunal décida qu'il n'y avait pas lieu à interrogatoire. Pourvoi en cassation. La cour pose en principe que les voituriers ne sont responsables que des paquets qui leur sont confiés et non de ceux que l'on remet à leurs domestiques; or, aucun des faits sur lesquels l'expéditeur voulait interroger le voiturier ne portait sur la remise au voiturier de la chose qui devait être transportée, dès lors le premier juge devait déclarer l'interrogatoire inadmissible (2).

Un paquet est remis au conducteur d'une voiture pulique au moment du départ. Le conducteur le plaça parmi les autres effets dont la voiture était chargée; le paquet se perdit. Action contre le voiturier. Le premier juge déclara le voiturier responsable, par le motif que le conducteur avait reçu le paquet dans l'intention de le transporter, et avec charge de le rendre à sa destination; et le voiturier, comme tout entrepreneur, est responsable des personnes qu'il emploie pour son entreprise. Pourvoi en cassation. La cour cassa la décision, par le motif que le jugement attaqué ne constatait pas que le conducteur fût préposé pour recevoir les marchandises confiées au roulage du voiturier; il n'était pas constaté non plus que le paquet eût été remis dans le lieu de l'entrepôt des marchandises, et il n'avait pas été inscrit sur les registres de la messagerie; il résultait de ces faits que le voiturier n'avait pas été légalement chargé du paquet, et que, par suite, le contrat de transport ne s'était pas formé (3).

520. Comment se prouve le contrat de transport? Faut-il appliquer les principes généraux qui régissent les preuves, notamment la preuve testimoniale, ou le code y

(1) Duvergier, Du louage, t. II, p. 371, no 327.

(2) Rejet. 5 mars 1811 (Dalloz, au mot Commissionnaire, no 334). (3) Cassation. 29 mars 1814 (Dalloz, au mot Commissionnaire, no 420, 2o)

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déroge-t-il? La preuve par témoins n'est pas admissible quand la chose excède la valeur de 150 francs; il y a exception pour les dépôts que font les voyageurs en logeant dans une hôtellerie (art. 1341 et 1348). Cette exception est-elle applicable à la remise que les expéditeurs font entre les mains du voiturier ou de ses préposés, ou sur le port, ou dans l'entrepôt? On a prétendu que l'article 1782 assimilait les voituriers aux aubergistes, en ce qui concerne la preuve du dépôt; il suffit de lire cet article pour se convaincre qu'il ne dit pas ce qu'on lui fait dire: Les voituriers par terre et par eau sont assujettis, pour la garde et la conservation des choses qui leur sont confiées, aux mêmes obligations que les aubergistes dont il est parlé au titre du Dépôt et du Séquestre. Ainsi la loi assimile les voituriers et les aubergistes, en ce qui concerne leur responsabilité, elle ne les assimile pas en ce qui concerne la preuve du dépôt. Ce qui semble favoriser la fausse interprétation que l'on donne à l'article 1782, c'est qu'il renvoie au titre du Dépôt; or, l'article 1952 dispose que le dépôt fait par les voyageurs dans une auberge est un dépôt nécessaire, et l'article 1950 porte que la preuve par témoins peut être reçue pour le dépôt nécessaire, même quand il s'agit d'une valeur audessus de 150 francs. En renvoyant au titre du Dépôt, l'article 1782 paraît rendre les articles 1950 et 1952 applicables aux voituriers. On répond, et la réponse est péremptoire, que l'article 1782 ne renvoie qu'aux dispositions qui sont relatives à la garde et à la conservation de la chose; c'est-à-dire aux articles 1953 et 1954. Quant à la preuve du dépôt, il n'y avait aucune raison d'assimiler les voituriers aux aubergistes. Pourquoi le dépôt fait dans les auberges peut-il se prouver par témoins? C'est une application de l'exception formulée par l'article 1348, aux termes duquel la preuve testimoniale est admissible, indéfiniment, toutes les fois qu'il n'a pas été possible au créancier de se procurer une preuve littérale de l'obligation qui a été contractée envers lui; l'article 1348, no 2, applique cette exception aux dépôts que les voyageurs font en logeant dans une hôtellerie, parce qu'il y a une impos

sibilité morale à ce que l'hôtelier donne une reconnaissance par écrit à tous les voyageurs qui déposent leurs effets dans l'hôtellerie. La question se réduit donc à ceci : est-ce qu'il est impossible au voiturier de constater par écrit les dépôts qu'on fait entre ses mains? L'article 1785 répond à la question : « Les entrepreneurs de voitures publiques par terre et par eau, et ceux des roulages publics, doivent tenir registre de l'argent, des effets et des paquets dont ils se chargent. » Ainsi, loin qu'il y ait impossibilité de dresser écrit des dépôts qu'ils reçoivent, les voituriers sont obligés de le faire; dès lors il ne peut plus s'agir d'invoquer l'exception de l'article 1348. La doctrine (1) et la jurisprudence (2) sont d'accord.

521. Puisque l'exception de l'article 1348 n'est pas applicable au contrat de transport, la preuve reste sous l'empire du droit commun. Si la chose remise au voiturier a une valeur de plus de 150 francs, la preuve ne pourra pas se faire par témoins, en matière civile; il faudra un écrit. La loi prescrit aux voituriers de tenir registre des objets qu'ils reçoivent; elle fournit par là un moyen facile aux parties contractantes de prouver la remise l'expéditeur peut exiger l'inscription sur le regis tre, et cette inscription prouvera le dépôt dont le voiturier est chargé. Si l'inscription n'est pas faite, la preuve se fera d'après le droit commun, c'est-à-dire par témoins, si la chose déposée n'a pas une valeur excédant 150 francs. On a prétendu que le défaut d'inscription prouvait contre l'expéditeur, en ce sens que le voiturier n'est responsable que si l'expéditeur a eu soin de faire inscrire l'objet qu'il remet au voiturier. Singulière prétention! Le voiturier se prévalait de sa négligence pour écarter la responsabilité que la loi lui impose. Il va sans dire que les tribunaux n'ont pas admis cette interprétation de l'article 1785. La loi ne dit pas que les expéditeurs sont obligés de faire inscrire les objets qu'ils remettent au voiturier, elle dit

(1) Duvergier, t. II, p. 366, no 321. Duranton, t. XVII, p. 225, no 242 Colmet de Santerre, t. VII, p. 348, no 237 bis II.

(2) Douai, 17 mars 1847 (Dalloz, 1847 2. 98)

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