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que les entrepreneurs doivent tenir registre; s'ils ne remplissent pas cette obligation, ils sont en faute, et ils ne peuvent certes pas invoquer leur faute pour se décharger de leur responsabilité (1).

La jurisprudence est constante. Nous citerons un exemple. Une compagnie de bateaux à vapeur fait le transport, de France en Algérie, de personnes, de bagages et de marchandises. Elle est donc responsable des bagages des voyageurs, dès qu'ils sont introduits dans le bateau, en vertu de l'article 1783. Régulièrement les malles et paquets devraient être inscrits; la cour d'Alger constate que d'habitude cette inscription ne se faisait point. Peu importe, dit-elle; car la tenue des registres et l'inscription ne sont prescrites que pour donner une garantie de plus aux voyageurs, en leur facilitant la preuve du dépôt. L'enregistrement doit donc se faire sans que les voyageurs ou expéditeurs le demandent, et même malgré eux, comme on l'a dit au conseil d'Etat; car si l'inscription est une sûreté pour le voyageur, elle profite aussi au voiturier, puisqu'elle constate la nature et la qualité de la chose déposée, et prévient ainsi les difficultés et les procès. Si le voiturier néglige de remplir cette formalité, il est en faute, et la faute, loin de l'excuser, aggrave au contraire sa responsabilité (2).

Les principes ont une telle évidence, que nous croyons inutile d'insister sur le dissentiment de Troplong, dont l'opinion est restéé isolée (3).

522. A défaut d'inscription sur les registres, la preuve se fait d'après le droit commun. En matière civile, la preuve du dépôt ne peut se faire par témoins quand la chose a une valeur de plus de 150 francs. Si le voiturier est commerçant, le transport constitue un acte de commerce et, par suite, la preuve testimoniale est indéfiniment admissible (code de comm., art. 109 et 632).

(1) Grenoble, 29 août 1833 (Dalloz, au mot Commissionnaire, no 425). Aubry et Rau, t. IV, p. 521, notes 7 et 8, § 373.

(2) Alger, 16 décembre 1846 (Dalloz, 1847, 2, 1).

(3) Troplong, no 956. En sens contraire, Duvergier, t. II, p. 371, no 328; Marcade, t. VI, p. 529, no I de l'article 1786.

XXV.

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SECTION II. De la responsabilité du voiturier.

§ Ier. Principes généraux.

523. L'article 1784 porte «que les voituriers sont responsables de la perte et des avaries des choses qui leur sont confiées, à moins qu'ils ne prouvent qu'elles ont été perdues et avariées par cas fortuit ou force majeure. Cette disposition est reproduite par le code de commerce, article 103, qui ajoute que le voiturier est garant des avaries autres que celles qui proviennent du vice propre de la chose ".

La responsabilité du voiturier résulte des principes généraux. Il s'oblige à transporter la chose et à la remettre au destinataire; il doit par conséquent la conserver avec tous les soins d'un bon père de famille (art. 1136 et 1137). S'il ne la remet pas au destinataire, il manque à son obligation, et partant, il est responsable. Allègue-t-il un cas fortuit, il doit le prouver, conformément à l'article 1302. Sous ce rapport il y a analogie complète entre le louage de transport et le louage de choses : nous pouvons done renvoyer à ce qui a été dit de la responsabilité du pre

neur.

Ces principes sont élémentaires. Cependant une cour d'appel s'y est trompée. Dans l'espèce, la voiture et le chargement du voiturier avaient été incendiés pendant le transport et sans cause connue. Un incendie, dit la cour, dont nul ne peut déterminer la cause, est un cas fortuit; de là elle conclut que le voiturier avait satisfait à l'article 1302, en prouvant que la chose avait péri par un incendie; sauf à l'expéditeur à prouver que la cause de l'incendie provenait de la faute, de la négligence ou de l'imprudence du voiturier. C'était mal interpréter les articles 1784 et 1302. L'incendie n'est pas un cas fortuit, il est toujours imputable à une faute quelconque; donc le voiturier n'est pas dégagé de ia responsabilité qui pèse sur lui, par cela seul qu'il prouve l'incendie; il doit prou

ver de plus que l'incendie ne provient pas de sa faute. Sur le pourvoi, l'arrêt a eté cassé; la cour de cassation formule le principe dans les termes suivants : « Il ne suffit pas au voiturier, pour dégager sa responsabilité, d'établir que la marchandise à lui confiée a péri; il doit prouver encore qu'elle a péri par un cas purement fortuit, impossible à prévenir, et qu'il n'a à se reprocher aucun fait d'imprudence ou de négligence (1). » La décision paraît rigoureuse; ce n'est cependant que la conséquence du droit commun que l'article 1732 applique au locataire, et dont l'article 1733 fait l'application au cas d'incendie. 524. Les voituriers répondent aussi du vol. Cette obligation résulte de l'assimilation que l'article 1782 établit entre les voituriers et les aubergistes. Aux termes de l'article 1953, les aubergistes sont responsables du vol ou du dommage des effets du voyageur, soit que le vol ait été fait ou que le dommage ait été causé par les domestiques et préposés de l'hôtelier, ou par des étrangers allant et venant dans l'hôtellerie. L'article 1954 ajoute qu'ils ne sont pas responsables des vols faits avec force armée ou autre force majeure. Nous reviendrons sur le principe de cette responsabilité, au titre du Dépôt; elle implique une faute de la part de celui qui, chargé de veiller à la conservation de la chose, n'y a pas mis tous les soins qui auraient empêché le vol. L'application du principe au voiturier n'est pas douteuse (2). Elle a été consacrée par la cour de cassation dans l'espèce suivante. Un caisson de marchandises avait été placé dans le magasin de la voiture; ce magasin, fixé seulement par des cordes, fut enlevé par des voleurs. Le tribunal déclara le voiturier responsable; il constate que l'entrepreneur avait commis une imprudence en n'assujettissant pas le magasin de la voiture avec une chaîne de fer. Pourvoi en cassation fondé sur ce que le vol était l'effet d'une force majeure. La cour prononça un arrêt de rejet; c'était au voiturier à prouver la force majeure; or, loin que cette preuve fût faite, le

(1) Cassation, 23 août 1858 (Dalloz, 1858, 1, 359). (2) Paris, 9 août 1853 (Dalloz, 1853, 2, 199).

jugement constatait qu'il avait commis une imprudence en négligeant les précautions nécessaires pour prévenir le vol. D'un autre côté, on ne reprochait aucune faute à l'expéditeur. Cela était décisif (1). Il y a exception en cas de force majeure. La cour de cassation a jugé qu'une com pagnie de chemin de fer n'est pas responsable de la perte de marchandises pillées dans une gare par les soldats prussiens; l'arrêt porte que c'est là un vol à force armée, devant lequel cesse toute responsabilité (2).

525. La responsabilité du voiturier incombe à tous ceux qui se chargent du transport des personnes ou des choses. Il a été jugé que les entrepreneurs et les cochers de voitures de place sont responsables de la perte des paquets et bagages qui leur sont confiés. Dans l'espèce, le cocher qui transportait un voyageur de la gare à l'hôtel, entre dix et onze heures du soir, avait mis la malle sur le train de derrière de la voiture. La malle disparut pendant le trajet. De là une demande en dommages-intérêts contre l'entrepreneur. Le tribunal de la Seine l'accueillit, par le motif que la perte de la malle était imputable à l'incurie ou à l'imprudence du cocher. Sur l'appel, la cour de Paris infirma la décision par des motifs de fait. Si, dit l'arrêt, les cochers sont obligés de recevoir les bagages des voyageurs, soit dans l'intérieur de la voiture, soit sur l'impériale, les voyageurs sont maîtres de choisir l'un de ces modes de transport; c'est à eux d'apprécier la garantie qu'ils offrent, ils peuvent de plus exiger toutes les précautions nécessaires pour empêcher la perte de leurs bagages. Or, dit la cour, il n'est pas articulé que les bagages aient été placés sur l'impériale contre le gré du voyageur, et il n'est pas non plus allégué que les effets aient été perdus par le fait du cocher. C'était très-mal raisonner en fait et en droit. L'arrêt a été cassé, toutefois après délibéré en chambre du conseil et sur les conclusions contraires de l'avocat géné ral, ce qui prouve qu'il y avait quelque doute. D'abord on soutenait que la responsabilité du voiturier n'était pas

(1) Rejet, 2 thermidor an viii (Dalloz, au mot Commissionnaire, no 370), Comparez Lyon, 15 mai 1839 (Dalloz, ibid.)

(2) Cassation, 21 juillet 1873 (Dalloz, 1875, 1, 39).

applicable aux cochers des voitures de place. Le texte du code répond à cette objection; l'article 1779 range parmi les espèces principales du louage d'ouvrage le louage des voituriers qui se chargent du transport des personnes ou des marchandises; ces expressions comprennent, dans leur généralité, les entrepreneurs et cochers des voitures de place; les règlements de police qui leur imposent des devoirs spéciaux, notamment de transporter sans augmentation du tarif, les paquets et bagages des voyageurs, soit dans l'intérieur de la voiture, soit sur l'impériale, ne dérogent pas aux principes de droit commun qui régissent les rapports entre voituriers et voyageurs. Il suit de là que les entrepreneurs et cochers sont assujettis, en vertu de l'article 1782, à la garde et conservation des paquets et bagages qui leur sont confiés, et qu'aux termes de l'article 1784 ils sont responsables de leur perte, à moins qu'ils ne prouvent qu'ils ont été perdus par cas fortuit ou force majeure. C'est donc au voiturier qu'incombe la preuve du cas fortuit et de la force majeure; en l'imposant à l'expéditeur, la cour de Paris confondait l'action en responsabilité de l'article 1382 avec l'action en responsabilité dérivant du contrat de louage : l'entrepreneur et le cocher sont responsables, en vertu du contrat qui les lie et les oblige envers le voyageur, à lui remettre la chose qu'il leur a confiée et, s'ils ne le font pas, à prouver le cas fortuit qui les libère; le voyageur n'a rien à prouver que l'existence du contrat, c'est au débiteur à faire la preuve de sa libération, ce n'est pas au créancier à prouver que son débiteur n'est pas libéré. La cour de Paris avait donc faussement appliqué l'article 1382 et violé les articles 1782 et 1784 (1).

526. Le voiturier doit prouver le cas fortuit qui l'empêche de remettre la chose au destinataire (2). Comment se fait cette preuve? D'après le droit commun, puisque la loi n'y déroge point. La preuve testimoniale est admissible, puisque le cas fortuit ou la force majeure consistent dans

(1) Cassation. 1er mai 1855 (Dalloz, 1855, 1, 157).

(2) Il en est de même quand un voyageur a été blessé. Bruxelles, 24 février 1869 (Pasicrisie, 1869, 2, 154).

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