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des faits purs et simples dont la preuve peut se faire par témoins, quelle que soit la valeur du litige; et si la chose avait été volée, la preuve testimoniale pourrait se faire en vertu de l'article 1348. On a prétendu que le voiturier devait faire constater le cas fortuit par procès-verbal dressé au moment même de l'accident; c'est confondre une mesure de prudence avec une obligation légale. Il n'y a d'autres preuves que celles que la loi établit; or, aucune loi n'oblige le voiturier à faire dresser procès-verbal de l'accident qui a amené la perte de la chose voiturée. Il est vrai que l'article 97 du code de commerce dit que le voiturier est garant de l'arrivée des marchandises et effets dans le délai déterminé par la lettre de voiture, hors le cas de force majeure légalement constatée; nous n'avons pas à examiner ce que la loi entend par constatation légale, car l'article 97 est étranger à notre hypothèse, il parle du simple retard, tandis que nous supposons la perte de la chose. La doctrine et la jurisprudence sont d'accord sur ce point (1).

527. Quelle est l'étendue de la responsabilité du voiturier en cas de perte? Dire que le voiturier est responsable de la perte de la chose, c'est dire qu'il doit en rembourser la valeur, et payer les dommages-intérêts. Tel est le droit commun, et la loi n'y déroge certes pas en faveur du voiturier. Cependant les messageries ont longtemps prétendu qu'elles ne devaient, en cas de perte des choses qui leur étaient confiées, qu'une somme fixe de 150 francs. Cette prétention se basait sur l'article 62 de la loi des 23-24 juillet 1793, qui limitait effectivement à cette somme la responsabilité des messageries nationales qu'elle établissait. C'était une exception au droit commun consacrée par une loi dans l'intérêt de l'Etat, qui avait le monopole du transport. Mais les Messageries nationales et le monopole de l'Etat ayant été supprimés, on rentrait dans le droit commun, d'après lequel le débiteur qui répond de la perte doit rembourser la valeur intégrale de la chose. Cela a été décidé ainsi par la cour de cassation

(1) Voyez les autorités dans Aubry et Rau, t. IV, p. 522, note 13, § 373.

en 1809, et cela est si évident, que l'on est étonné de voir ces prétentions se renouveler jusqu'en 1846. Les principes ont une telle certitude, que nous croyons inutile d'y insister (1).

528. Les voituriers ont soulevé une autre difficulté. Ils ont prétendu que l'expéditeur devait déclarer la valeur de la chose qu'il leur confiait. Nous convenons, disaient-ils, qu'en cas de perte le propriétaire de l'objet perdu a droit d'en réclamer la valeur. Mais comment cette valeur sera-t-elle constatée? Le propriétaire, lors de l'inscription sur les registres, doit déclarer la nature, la quantité et la valeur des choses qu'il confie aux messageries; c'est le seul moyen de garantir les droits des deux parties. Dans l'espèce, la nature des objets et leur valeur faisaient naître quelque doute. L'expéditeur avait remis au bureau des messageries un petit ballot sans autre indication que celle de sa destination, avec l'inscription châles: le paquet ayant été perdu, l'expéditeur réclama le prix des châles, et il se trouva que c'étaient des cachemires des Indes, qui, d'après la facture, avaient une valeur de 5,608 francs. Le tribunal de commerce rendit un jugement fondé sur l'équité plutôt que sur la rigueur du droit. Rien, dit-il, n'avait pu faire supposer aux messageries que les châles fussent d'une aussi grande valeur. Le prix du transport étant, en général, proportionné à la valeur des choses voiturées, l'expéditeur aurait dû la déclarer; on peut supposer qu'il ne l'a pas fait pour se dispenser de payer un prix plus élevé. Toutefois, les châles étant perdus, le propriétaire avait droit à une indemnité; le tribunal la fixa à 1,000 francs, arbitrée équitablement, dit-il. Sur l'appel, le jugement a été infirmé. La cour de Paris, après avoir rappelé le principe de la responsabilité qui incombe aux entrepreneurs, ajoute qu'aucune disposition de la loi, aucun règlement ou usage n'oblige le propriétaire des objets confiés aux voitures publiques à en déclarer la valeur; cela est certain, puisque l'expéditeur

(1) Aubry et Rau, t. IV, p. 522, note 16, § 373, et les autorités qu'ils citent. Il faut ajouter Colmet de Santerre, t. VII, p. 346, no 235 bis.

n'est pas même obligé de faire inscrire la chose, le seul fait de la remise au voiturier ou à ses préposés suffisant pour former le contrat (n° 519 et 521). Tout ce qui résulte du défaut de déclaration, dit la cour de Paris, c'est qu'en cas de perte le propriétaire est tenu de prouver la valeur des objets perdus. En conséquence, les messageries furent condamnées à la restitution de la valeur intégrale des châles. Pourvoi en cassation. La cour prononça un arrêt de rejet, en reproduisant les arguments de l'arrét attaqué (1).

528 bis. Les bagages que le voyageur transporte avec lui donnent lieu à une difficulté particulière. On a aussi soutenu en justice que les voyageurs devaient faire la déclaration de leurs effets, au moins quand ce sont des effets précieux. Cette prétention a toujours été rejetée par les tribunaux. Quand il s'agit du transport par chemin de fer, les voyageurs n'ont que quelques minutes pour faire enregistrer leurs bagages, et les employés refusent même de recevoir leurs déclarations, parce qu'il y aurait impossibilité matérielle de constater, pendant un quart d'heure, les déclarations de centaines de voyageurs. Aucune déclaration n'étant ni prescrite ni reçue, les parties restent sous l'empire du droit commun, tel que nous venons de l'exposer (no 528). C'est au voyageur de prouver la consistance et la valeur des effets, et le voiturier répond de la valeur intégrale des bagages s'il ne les remet pas au destinataire (2).

Là n'est point la difficulté; elle consiste à savoir ce qu'il faut entendre par bagages et comment on peut les distinguer des effets transportés comme marchandises. Pour les marchandises, il y a un tarif spécial, et il y a aussi des règles spéciales en ce qui concerne la responsabilité du voiturier; nous reviendrons sur ces points. Il est certain que le voyageur ne peut pas se soustraire à ces règles, en faisant inscrire comme bagages ce qui devrait

(1) Rejet, 18 juin 1833 (Dalloz, au mot Commissionnaire, no 411). Comparez Rejet. 20 mars 1869 (Dalloz, 1869, 1, 416).

(2) Rejet, 22 novembre 1871 (Dalloz, 1872, 1, 63), et 5 mars 1872 (ibid., p. 215).

être remis au bureau des marchandises. Reste à définir ce qui est bagage. En droit, on peut dire que les bagages sont les effets dont le voyageur a besoin et qui, à ce titre, doivent l'accompagner. Mais quels sont ces effets? Cette question est de fait et, par conséquent, abandonnée à l'appréciation du juge; autres sont les bagages d'une grande dame, à qui il faut des dentelles et des bijoux; autres sont ceux d'un homme, quoiqu'il appartienne également aux classes supérieures de la société. La différence est grande encore entre un voyageur de commerce et un particulier. Les faits et les circonstances variant d'une cause à l'autre, on conçoit que les décisions varient également. La jurisprudence a cependant consacré quelques principes qu'il importe de mettre en évidence.

La cour de cassation a d'abord appliqué aux voyageurs les dispositions réglementaires concernant la déclaration d'effets précieux transportés comme marchandises; à vrai dire, ce sont des décisions d'espèce plutôt que de principes. Ainsi, tout en confirmant un arrêt de la cour de Bordeaux qui avait refusé de déclarer une compagnie. responsable de la perte d'un sac de voyage contenant 25,000 francs en onces d'or espagnoles, parce que le voyageur n'avait pas déclaré ces valeurs, la cour ajoute

des considérations de fait une valeur de 25,000 francs peut-elle être considérée comme bagages? Non, le voyageur aurait donc dû la déclarer comme marchandise; sa réticence était intéressée, il voulait se soustraire au tarif, dès lors la compagnie ne pouvait être responsable. La cour ajoute qu'il appartient au juge du fait d'apprécier et de fixer, d'après les documents du procès, les nécessités présumées du voyageur, la destination ordinaire du sac de nuit et le sens habituel du mot bagage, partant l'étendue de la responsabilité du voiturier (1).

La dernière jurisprudence de la cour de cassation paraît plus favorable aux voyageurs; elle décide que les dispositions des tarifs généraux qui exigent une déclaration des articles de finance, valeurs et objets précieux, ne

(1) Rejet, 16 mars 1859 (Dalloz, 1859, 1, 316). Comparez Rejet, 7 août 1867 (Dalloz, 1868, 1, 34).

sciemment le bulletin, c'est-à-dire qu'il lise le bulletin et qu'il sache quelle est la condition que le voiturier veut lui imposer. La négative nous paraît certaine tout ce que l'on peut induire de la réception du bulletin, c'est que l'expéditeur connaît la volonté du voiturier; il faut plus que cela, il faut que, de son côté, il consente; or, les circonstances dans lesquelles le bulletin se délivre sont de nature à rendre ce consentement douteux; c'est au moment où les objets sont remis au voiturier que le bulletin se délivre; l'expéditeur le lit-il avec la réflexion suffisante pour que l'on puisse supposer une acceptation de sa part? Il faut plus que la lecture du bulletin; cette lecture fait seulement connaître à l'expéditeur l'offre de l'expéditeur; il faudrait, à défaut de consentement exprès, un fait d'où l'on doive induire qu'il consent. Or, le seul fait que l'on puisse invoquer, c'est la remise des objets, et cette remise a précédé la réception du bulletin; de sorte qu'il ne reste que le silence de l'expéditeur; or, le silence n'implique pas consentement. C'est l'opinion assez générale des auteurs (1), et la jurisprudence est dans le même sens (2).

530. Les principes que nous venons d'exposer reçoivent-ils leur application lorsque les objets déposés sont des titres de créances, de l'argent, des bijoux ou autres effets précieux renfermés dans une malle ou un paquet dont le contenu n'a pas été déclaré? On enseigne généralement que, dans ce cas, le voiturier n'est tenu d'indemniser le propriétaire que dans la proportion de la valeur d'objets ordinaires. Cette opinion est fondée sur l'intention des parties contractantes. Les messageries exigent, pour le port de l'argent ou autres choses précieuses, un prix plus élevé que pour le transport des autres effets. Lors donc qu'un voyageur ou expéditeur remet au voiturier un paquet ou une malle, sans déclarer le contenu, il les présente comme contenant des effets ordinaires, puisqu'il ne paye que le prix du transport pour des objets d'une valeur ordinaire. Ainsi le contrat se forme pour le trans

(1) Aubry et Rau, t. IV, p. 522, note 18, § 378, et les auteurs qu'ils citent. Colmet de Santerre, t. VII, p. 347, no 235 bis.

(2) Douai, 17 mars 1847 (Dalloz. 1847, 2, 98).

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