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ces biens sont aliénés, les acquéreurs ou adjudicataires ont le même droit; puisque la vente transmet à l'acheteur tous les droits qui appartenaient au vendeur. Toutefois les acheteurs peuvent renoncer à ce droit; si le cahier des charges porte que l'adjudicataire des biens d'un mineur ou d'un interdit doit respecter les baux existants, il ne pourra pas en demander la réduction, car les baux existants sont les baux tels qu'ils ont été consentis, quoiqu'ils dépassent la durée légale (1).

54. Les restrictions résultant des articles 1429 et 1430 ne concernent que la durée pour laquelle les baux peuvent être consentis. Du reste les administrateurs peuvent exercer, relativement aux baux, tous les droits qui rentrent dans les limites de leur pouvoir d'administration. C'est ainsi qu'il a été jugé que le mari a qualité pour résilier le bail d'une maison de la femme qui avait encore quinze ans de durée. Résilier un bail est un acte d'administration, comme consentir un bail; et la résiliation n'est soumise à aucune restriction, ce qui est décisif (2).

55. Les baux consentis par les administrateurs peuvent-ils être attaqués pour vileté de prix? Non, et sans doute aucun. La question a été portée devant les tribunaux à plusieurs reprises, et elle a toujours été décidée en ce sens. Les administrateurs qui donnent un bien à bail pour le terme légal agissent dans les limites de leur pouvoir, donc l'acte qu'ils font est valable, comme tout acte conforme à la loi. Dira-t-on que les administrés sont lésés par le louage? On répond que la lésion n'est pas une cause de rescision du bail. S'il y a mauvaise gestion, les administrés ont l'action en responsabilité. S'il y a fraude, ils ont l'action paulienne. Voilà leurs garanties légales; il ne saurait y en avoir d'autres (3).

56. Maintenant que nous savons quelles personnes ont capacité pour consentir un bail, il nous sera facile de

(1) Rejet, 3 avril 1839 (Dalloz, au mot Louage, no 68).

(2) Paris, 26 avril 1850 (Dalloz, 1851, 2, 180).

(3) Cassation, 11 août 1818 (Dalloz, au mot Minorité, no 205). Rejet, 11 mars 1824 (Dalloz, au mot Louage, n° 97). Bordeaux, 23 mai 1840 (Dalloz, au mot Dispositions, no 3844).

répondre à la question de savoir si le bail de la chose d'autrui est valable. La négative nous paraît certaine. On suppose que celui qui donne la chose à bail n'en est pas propriétaire, qu'il n'y a aucun droit de jouissance et qu'il n'est pas chargé de l'administrer. C'est dire qu'il n'a aucune qualité pour transmettre au preneur une jouissance à laquelle lui-même n'a aucun titre. N'ayant absolument aucun droit sur la chose, il ne peut pas plus s'obliger à en transmettre la jouissance à un preneur qu'il ne peut en transmettre la propriété à un acheteur; il faut donc dire que le bail de la chose d'autrui est nul, par la même raison pour laquelle la vente de la chose d'autrui est nulle.

La question est cependant controversée. On objecte la tradition. Il est vrai que Pothier enseigne que le bail de la chose d'autrui est valable, et il suppose que le bailleur n'a aucun droit sur la chose. Nous répondons que l'objection tourne contre ceux qui la font. Pourquoi Pothier déclare-t-il valable le bail de la chose d'autrui? Lui-même dit qu'on peut louer la chose d'autrui, de même qu'on peut vendre la chose d'autrui. Il fonde donc son opinion sur la doctrine romaine; or le code a rejeté le principe romain, en ce qui concerne la vente; il l'a par cela même rejeté, quant au bail. Nous avons dit, en expliquant l'article 1599, que le principe du droit français n'est pas juridique, et que malgré l'annulation de la vente de la chose d'autrui, cette vente produit à peu près les effets qu'elle avait dans l'ancienne jurisprudence. Il en est de même du bail de la chose d'autrui. Voici en quel sens Pothier dit que le contrat est valable. Le bailleur, dit-il, ne peut pas faire passer au preneur un droit de jouir de la chose qu'il n'a pas lui-même; mais il s'oblige valablement à la garantie envers le locataire ou fermier, au cas qu'il soit empêché dans la jouissance de la chose (1). Il en serait de même sous l'empire du code civil. L'acheteur a droit à la garantie, et même à des dommages-intérêts,

(1) Pothier, Du louage, no 20. Marcadé. t. VI, p. 428, no IV de l'artiele 1713.

s'il a acheté de bonne foi la chose d'autrui (art. 1599),
par identité de raison, le preneur a l'action en garantie
et en dommages-intérêts, s'il y a lieu, contre le bailleur.

Il y a toutefois cette différence entre le droit moderne
et le droit ancien, c'est que l'acheteur ne doit pas attendre
qu'il soit évincé pour agir contre le vendeur; il peut
demander la nullité de la vente et il peut intenter son action
en nullité, dès qu'il est en état de prouver que la chose
vendue n'appartient pas au vendeur. Il faut en dire au-
tant du preneur le louage de la chose d'autrui étant
nul, il peut agir en nullité, avant toute éviction, à charge
de prouver que le bailleur n'est pas propriétaire de la
chose louée, et n'a du reste aucune qualité pour la donner
à bail (1).

37. C'est d'après ce principe qu'il faut décider si les baux consentis par l'héritier apparent sont valables. Dans notre opinion, les actes de disposition faits par l'héritier apparent sont nuls; nous renvoyons à ce qui a été dit au titre des Successions sur la pétition d'hérédité. Par identité de raison, il faut dire que les baux que l'héritier apparent consentirait sont frappés de nullité; celui qui n'a aucun droit sur la chose ne peut transmettre un droit de jouissance que lui-même n'a point; Pothier vient de nous le dire (n° 56). Vainement dit-on que le proprié taire apparent doit être considéré comme le mandataire légal du propriétaire réel (2). Nous croyons avoir fait justice de ce prétendu mandat, que l'on appelle légal, et que la loi ignore, aussi bien que le prétendu mandant.

La même question se présente pour le possesseur de bonne foi ou de mauvaise foi. Il est aussi propriétaire apparent, et l'on peut de plus invoquer la bonne foi du preneur. Ces arguments sont sans valeur aucune; ils sont tout au plus à l'adresse du législateur. La bonne foi des tiers ne donne aucun droit au possesseur qui n'en a point. Alors même que le possesseur serait de bonne foi, sa bonne foi ne lui donne pas le droit de faire des baux; la

(1) Colmet de Santerre, t. VII, p. 232, no 159 bis II. Champion
Rigaud, t. IV, p. 241, no 3097. Comparez Duvergier, t. 1, 80,
(2) Marcade t. VI, p. 428, n" IV de l'article 1713.

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dans le louage? Pothier répond que, dans le louage, la lésion ne tombe que sur les fruits de l'héritage, qui sont meubles, et que, suivant les principes du droit français, il n'y a pas lieu à la restitution en aliénation de meubles (1). C'est un motif juridique. La raison qui a décidé le législateur est que les considérations qui ont fait déroger à la règle en faveur du vendeur n'existent pas dans le louage on peut être contraint par le besoin à vendre à vil prix, on n'est jamais contraint à donner à bail.

§ IV. De l'objet.

60. Le code dit que l'on peut louer toutes sortes de biens meubles et immeubles (art. 1713). Il ne dit pas, comme il le fait en matière de vente, que tout ce qui est dans le commerce peut être loué (art. 1598); mais il y a une disposition plus générale qui établit ce principe; aux termes de l'article 1128, il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions. On doit donc dire du louage ce que la loi dit de la vente il peut avoir pour objet toutes les choses dont la jouissance n'est pas hors du commerce, à l'exception de celles dont des lois particulières défendent la location.

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61. Il y a une restriction que le législateur a cru inutile de consacrer, parce qu'elle résulte d'un principe élémentaire de droit. De même, dit Pothier, qu'on ne peut acheter sa propre chose, de même on ne peut prendre à loyer ou à ferme sa propre chose. On suppose que celui qui prend une chose à loyer en a la pleine propriété; ce bail serait nul, pour mieux dire inexistant, car le propriétaire a le droit de jouir des choses qui lui appartiennent, de la manière la plus absolue (art. 544); il ne peut donc pas stipuler cette jouissance; partant un pareil contrat manquerait d'objet, ce qui le rend inexistant.

La jurisprudence a consacré ces principes. Une parcelle de terrain était possédée de temps immémorial à

(1) Pothier, Du lovage, no 86.

titre d'emphytéose. Or, dans l'ancienne jurisprudence, l'emphytéose était perpétuelle, et on admettait qu'elle transférait le domaine utile à l'emphytéote. Cependant celui qui occupait le terrain à ce titre consentit à le prendre à bail. La cour de Gand jugea que le bail était non existant de plein droit et que, par suite, le contrat prétendu ne pouvait être validé par aucune confirmation. Il n'y avait qu'une difficulté : l'emphytéose antérieure à la législation nouvelle n'avait-elle pas été modifiée par la loi des 18-29 décembre 1790? La cour interpréta cette loi en ce sens que le détenteur du terrain en était devenu propriétaire absolu, à charge de payer une rente rachetable. Pourvoi en cassation. La cour, dit-on, a mal interprété la loi de 1790; cette loi déclare rachetables les rentes perpétuelles, et c'est seulement par le rachat que les emphytéotes acquéraient la propriété. Peu importe, dit la cour de cassation. Même dans le système du pourvoi, il reste vrai de dire que la loi de 1790 n'a pas altéré la nature du droit de l'emphytéote; il était donc propriétaire du domaine utile au moment où il consentit à prendre le fonds à bail. Nous avons combattu, en traitant de l'emphytéose, la théorie du domaine utile, mais on peut dire aussi que cette théorie était indifférente dans l'espèce; une chose est certaine, c'est que l'emphytéote avait un droit réel de jouissance; or, celui qui jouit de la chose à titre de droit réel ne peut pas stipuler la jouissance à titre de droit personnel, ce serait stipuler un droit qu'il a déjà à un titre supérieur. Il restait donc établi que le preneur avait pris à bail une jouissance qu'il possédait et que ce bail était nul; la cour de Gand dit mieux, inexistant, car on ne saurait concevoir un bail sans objet (1).

62. Le code ne défend d'une manière expresse que le louage du droit d'usage et du droit d'habitation (art. 631 et 634). Nous en avons dit la raison, au titre de l'Usufruit.

Il y a d'autres prohibitions de louer qui résultent de la nature même des choses que l'on ne peut donner à bail.

(1) Rejet, 4 mars 1847 (Pasicrisie, 1848, 1, 43). Comparez, dans le même sens, Bruxelles, 14 février 1859 (Pasicrisie, 1859, 2, 165).

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