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néanmoins être louées. Telles sont les choses placées hors du commerce à raison de leur destination publique; elles peuvent être louées si leur destination n'empêche pas d'en donner la jouissance, au moins partielle et temporaire, à un preneur. Ainsi les communes sont autorisées à louer les places dans les halles, marchés et chantiers; les fabriques louent les chaises et les bancs dans les églises; l'Etat loue la pêche dans les rivières navigables (1).

Il y a des biens qui sont placés hors du commerce dans un intérêt privé. Tels sont les biens dotaux de la femme mariée sous le régime dotal; l'inaliénabilité n'empêche pas de les donner à bail, car les motifs pour lesquels la loi permet de les rendre inaliénables n'ont rien de commun avec le louage. Il en est de même des biens qui composent le domaine de l'Etat : ils ne peuvent être aliénés qu'en vertu d'une loi, mais ils peuvent être loués.

65. C'est la jouissance qui fait l'objet du louage. Pothier a soin de remarquer que cette jouissance doit avoir un but honnête; si le but est contraire aux bonnes mœurs, dit-il, le contrat est nul, comme le sont toutes les conventions contraires aux bonnes mœurs; c'est dire que le louage serait inexistant. Pothier traite, à ce sujet, une question de conscience qui caractérise l'auteur et l'ordre d'idées dans lequel il écrivait. Le louage des masques et des habits de bal est-il valable? Oui, dans le for extérieur, l'usage pour lequel ces choses sont louées n'étant pas défendu par les lois séculières. Mais la sévérité des maximes de l'Evangile ne permettant pas les bals, on ne peut douter que, dans le for de la conscience, le commerce de ces sortes de choses ne soit un commerce déshonnête et illicite; de là suit qu'on ne doit absoudre ceux qui en trafiquent qu'en leur faisant promettre de renoncer à ce commerce et d'employer en aumônes le gain qu'ils y ont fait (2). Il nous semble que Pothier n'est pas conséquent :

(1) Duvergier. Du louage, t. I, p. 75, no 78.

(2) Pothier. Du louage, nos 24 et 26. Voyez les applications que la docrine et la jurisprudence ont faites de ce principe aux maisons de jeu et de prostitution (Duvergier, t. I. p. 381, note 401. et p. 382, note. Dalloz, Repertoire, au mot Louage, nos 273 et 276). Il faut ajouter Caen, 29 juillet 1874 (Dalloz, 1875, 2, 127). Comparez le tome XVI de mes Principes, no 152.

si réellement le commerce est déshonnête et illicite, il faut dire que le louage aussi est illicite, puisqu'il a pour objet un gain illicite et une action immorale; dès lors, il faudrait le déclarer nul et inexistant. Si Pothier n'ose pas aller jusque-là, n'est-ce pas parce qu'il sent que le spiritualisme de l'Evangile est excessif? Ce n'est pas que les bals, tels qu'il y en a dans nos villes de fabriques, soient de notre goût on peut hardiment les qualifier de succursales de la prostitution. L'Eglise a donc raison de les prohiber; mais la prohibition est vaine. C'est à la moralisation des classes ouvrières qu'il faudrait travailler, et, il faut l'avouer, c'est là le moindre souci de notre clergé, dont l'unique préoccupation est de dominer; or, l'ignorance et la superstition sont un instrument de domination, et de là à l'immoralité il n'y a qu'un pas.

§ V. De la forme.

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66. Aux termes de l'article 1714, on peut louer par écrit ou verbalement ». L'article 1782 dit que la vente peut être faite par acte authentique ou sous seing privé. Ces dispositions sont assez mal rédigées, surtout la dernière. La vente se fait par le concours de consentement; quant à l'écrit, il est dressé pour avoir une preuve littérale du contrat. On ne loue pas par écrit; le louage, de même que la vente, se parfait par le concours de consentement; l'écrit ne sert que de preuve. Jaubert, l'orateur du Tribunat, en expliquant l'article 1714, y ajoute une nouvelle inexactitude. Le code, dit-il, ne fait que consacrer une règle qui a toujours été admise le louage est un contrat consensuel; on peut donc louer verbalement comme par écrit. Ces idées sont déduites de la nature des choses, l'obligation existant dans la conscience des contractants dès le moment où le consentement réciproque est formé (1). » Les parties sont obligées bien plus qu'en conscience, elles sont liées civilement dès qu'elles ont consenti; la seule

(1) Jaubert, Discours, no 4 (Locré, t. VII, p. 211).

difficulté qui reste est celle de la preuve. Il ne faut donc pas dire, comme on le fait (1), que le louage se forme par écrit; il se forme, comme tous les contrats, par le consentement des parties contractantes. Reste à savoir comment il se prouve. En principe, par le droit commun, tel qu'il est établi au titre des Obligations, car le droit commun reste applicable en tant qu'il n'y est pas dérogé. L'article 1715 y déroge, mais ce n'est qu'une exception, et l'exception confirme la règle; nous reviendrons sur ce point, qui est d'une grande importance pour l'interprétation de la loi. Il n'est question, dans l'article 1715, que de la preuve testimoniale, donc les autres preuves et, notamment, la preuve littérale restent sous l'empire des principes généraux. Il a été jugé que le bail peut être prouvé par la correspondance des parties contractantes. C'est le droit commun. Il est vrai que les lettres ne sont pas des actes sous seing privé faits en double et avec mention des doubles, comme le prescrit l'article 1325 pour la validité des actes sous seing privé; mais ce n'est pas à titre d'actes qu'on les invoque, c'est à titre de preuve littérale de l'aveu de la partie qui nie soit l'existence du bail, soit son exécution (2).

67. Le principe que les baux peuvent se prouver par écrit, d'après le droit commun, a reçu une importante dérogation dans notre loi hypothécaire : les baux excédant neuf ann ées doivent être transcrits pour qu'on puisse les opposer aux tiers, et les actes authentiques sont seuls admis à la transcription; si un bail de plus de neuf ans n'a pas été transcrit, la durée en est réduite conformément à l'article 1429. Notre loi statue encore que le débi-. teur qui a consenti une hypothèque sur un immeuble peut le louer et que les créanciers doivent respecter le bail; mais s'il excède neuf ans, il sera réduit (art. 1, 2 et 45). Nous reviendrons sur ces innovations, au titre qui est le siége de la matière.

68. Les articles 1715 et 1716 contiennent des dispo

(1) Troplong, Du louage, no 103.

(2) Nancy. 4 avril 1840 (Dalloz, au mot Louage, no 116). Rejet, 5 mars 1856 (Dalloz, 1856, 1, 146).

sitions spéciales concernant le bail fait sans écrit. La loi distingue si le bail n'a encore reçu aucune exécution, ou si l'exécution en a commencé. Dans les deux hypothèses, elle consacre des exceptions au droit commun; celle de l'article 1715 a donné lieu à de sérieuses difficultés.

N° 1. DU BAIL VERBAL QUI N'A REÇU AUCUNE EXÉCUTION.

69. L'article 1715 porte : « Si le bail fait sans écrit n'a encore reçu aucune exécution, et que l'une des parties le nie, la preuve ne peut être reçue par témoins, quelque modique qu'en soit le prix et quoiqu'on allègue qu'il y a eu des arrhes données. Cette disposition déroge à la règle de l'article 1341, d'après laquelle il doit être passé acte devant notaires ou sous signature privée de toutes choses excédant la somme ou valeur de 150 francs. En vertu de cette règle, la preuve testimoniale aurait été admissible pour prouver l'existence d'un bail verbal si la chose n'avait pas excédé la somme de 150 francs; tandis que l'article 1715 prohibe cette preuve, quelque modique que soit le prix du bail. Quel est le motif de cette dérogation? Jaubert pose la question dans son discours au corps législatif, et il y répond en ces termes : « Si le bail n'est que verbal, qu'il n'ait encore reçu aucune exécution et que l'une des parties nie l'existence de la convention, l'autre partie pourra-t-elle être admise à la preuve par témoins? Ne devrait-on pas du moins distinguer si le montant entier de la location n'excède pas 150 francs? Ne faudrait-il pas, d'après les règles générales sur les contrats, accueillir la preuve testimoniale? Notre projet le défend, et cette innovation nous a paru extrêmement sage; surtout elle sera utile pour cette classe nombreuse qui ne peut louer que des objets d'une valeur modique : un procès est leur ruine; il faut tarir la source de ces procès en proscrivant dans cette matière la preuve testimoniale. » Les auteurs ajoutent que cette disposition préviendra des contestations nombreuses qui auraient pu naître dans les villes, où il n'est guère d'usage de faire des baux par écrit quand il s'agit de simples appartements d'un prix mé

diocre. La loi a considéré, en outre, dit-on, qu'en cette matière tout est urgent; qu'il importe au propriétaire et au locataire de ne pas rester dans l'incertitude sur l'existence du louage, afin que le premier puisse trouver promptenent un autre locataire et le second une autre habitation (1).

Ces considérations ne nous paraissent pas très-décisives. C'est sans doute chose utile de prévenir les procès, mais il y a un plus grand intérêt, le maintien du droit, le respect dû aux contrats. Convient-il que le législateur anéantisse des contrats légalement formés, en refusant aux parties le droit de les prouver d'après les règles générales sur les preuves? Le louage est parfait par le consentement des parties; elles pourraient le prouver par témoins, et la loi le leur défend. N'est-ce pas enlever un droit à celui qui réclame l'exécution du bail? N'est-ce pas favoriser la mauvaise foi de celui qui le nie? Or, le respect du droit est le premier des intérêts, disons mieux, le premier devoir du législateur. La loi n'a pas même atteint le but qu'elle avait en vue; la prohibition de la preuve testimoniale prononcée par l'article 1715 donne lieu à des procès journaliers; il y a peu de dispositions dans le code dont l'interprétation soit plus controversée : la doctrine est divisée ainsi que la jurisprudence; et on ne voit pas la fin de ces débats, ils renaissent toujours par l'intérêt qu'ont les parties à réclamer l'exécution de leurs engagements. Le parti le plus sage eût été de maintenir les droits des parties et de s'en rapporter à elles en ce qui concerne leur intérêt on ne plaide guère pour le plaisir de plaider (2).

70. L'article 1715 suppose que le bail est fait sans écrit. Quand il y a un écrit, il ne peut plus s'agir de la preuve testimoniale ni des restrictions que l'article 1715 apporte à cette preuve. Il est cependant arrivé que le prétendu locataire demandait à prouver par témoins que le bail était exécuté depuis six mois; et il invoquait à l'ap

(1) Jaubert. Discours, n° 4 (Locré, t. VII, p. 211). Duranton, t. XVII, p. 33, no 51. Mourion, t. III, p. 291, no 735.

(2) Comparez Duvergier, Du louage, t. I, p. 227, no 253.

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