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pui de sa demande un écrit qu'il ne produisait point. Cela suffit, dit la cour de Bruxelles, pour la rejeter. Si la loi admet la preuve testimoniale, c'est pour le cas où il n'y a point de preuve littérale; s'il y en a une, on ne peut pas recourir à une preuve subsidiaire, que la loi n'admet qu'avec une grande défiance; il faut donc produire l'écrit et en discuter la validité alléguer un écrit et ne pas le produire, c'est mettre le juge dans l'impossibilité de vider le débat. Il est certain que l'on ne se trouve plus dans les termes de l'article 1715 (1).

Doit-on considérer le bail comme étant fait sans écrit lorsqu'il y a un acte sous seing privé fait en un seul original? Il a été jugé que l'acte, étant incomplet, ne pouvait être invoqué comme preuve écrite du bail, ce qui rendait l'article 1715 applicable (2). Il nous semble que le texte et lesprit de la loi repoussent cette interprétation. Peut-on dire qu'un bail est fait sans écrit, alors que les parties ont dressé un écrit? Jaubert s'exprime encore plus clairement que le texte du code : « Si, dit-il, le bail n'est que verbal », ce qui veut bien dire si aucun écrit n'a été dressé. Dès qu'il y a un écrit, on n'est plus dans les termes de l'exception, donc on rentre dans le droit commun. Un acte sous seing privé, quoique irrégulier, peut servir de commencement de preuve par écrit. Naît alors la question de savoir si un bail verbal peut être prouvé par témoins lorsqu'il y a un commencement de preuve littérale; nous y reviendrons.

71. L'article 1715 prohibe la preuve testimoniale, quoiqu'on allègue qu'il y a des arrhes données. Si la partie qui demande l'exécution du bail allègue seulement qu'il y a des arrhes données et que l'autre nie le fait, alors il va sans dire que la preuve testimoniale ne peut pas être reçue, puisque ce serait prouver par témoins un bail fait sans écrit et qui n'a encore reçu aucune exécution. Nous supposons, avec le texte de la loi, que cela est constant;

(1) Bruxelles, 18 décembre 1828 (Pasicrisie, 1828, p. 379; Dalloz, au mot Lovage, no 135).

(2) Jugement du tribunal de Bruxelles, 18 avril 1874 (Pasicrisie, 1874, 3, 326).

l'allégation qu'il y a eu des arrhes données est, dans ce cas, inopérante; elle tendrait à faire admettre une preuve que la loi repousse, car il faudrait prouver par témoins que des arrhes ont été données, et cette preuve aurait pour objet de prouver l'existence du bail; donc on arriverait à prouver le bail par témoins en alléguant des arrhes. Ce serait un moyen facile d'éluder la prohibition de l'article 1715, et c'est sans doute pour cette raison que la loi ne veut pas que l'on ait égard à cette allégation (1). Cela est logique, mais la logique ne témoigne-t-elle pas contre le principe de la loi? On donne des arrhes, soit comme un à-compte sur le prix, soit comme preuve de l'existence du contrat; dans l'une et l'autre hypothèse, le louage est formé pourquoi la loi défend-elle aux parties de le prouver en prouvant que des arrhes ont été données et reçues? C'est anéantir la convention des parties, et la seule preuve que les parties pouvaient se procurer si elles ne savent pas écrire. Cela est injuste.

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72. L'article 1715 ajoute Le serment peut seulement être déféré à celui qui nie le bail. » C'est l'application de l'article 1358: « Le serment décisoire peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit." La loi suppose que le serment est déféré par le demandeur au défendeur. Il n'y a pas d'écrit. L'une des parties prétend qu'il y a un bail, et agit en justice pour en faire reconnaître l'existence, mais elle se trouve dans l'impossibilité de le prouver. C'est précisément dans ces circonstances que la loi permet la délation du serment; il peut être déféré sans qu'il existe aucun commencement de preuve de la demande (art. 1360). La loi devait donc admettre le serment comme seule preuve possible, les motifs pour lesquels elle a rejeté la preuve testimoniale ne s'appliquant pas à la délation du serment décisoire; c'est une transaction qui met fin à tout procès et qui ne donne lieu à aucune procédure, tandis que les enquêtes sont des procédures longues et coûteuses (2).

(1) Duvergier, t. I, p. 228, no 254. Colmet de Santerre, t. VII, p. 236, n° 162, bis II.

(2) Colmet de Santerre, t. VII. p. 238, no 162 bis VII.

On admet généralement que le bail peut aussi être prouvé par l'aveu, quoiqu'il soit purement verbal et qu'il n'ait reçu aucun commencement d'exécution. Cela suppose un aveu judiciaire; car l'allégation d'un aveu extrajudiciaire purement verbal est inutile, dit l'article 1355, toutes les fois qu'il s'agit d'une demande dont la preuve testimoniale ne serait point admissible. Par contre, l'aveu judiciaire fait pleine foi (art. 1356), et le code de procédure contient, pour l'aveu, une disposition analogue à celle de l'article 1358 sur le serment les parties peuvent, en toutes matières et en tout état de cause, demander de se faire interroger sur faits et articles (art. 324). Ainsi l'interrogatoire sur faits et articles et l'aveu qui en résulte sont mis par la loi sur la même ligne que le serment. En théorie, il faut donc admettre l'aveu, aussi bien que le serment, pour prouver l'existence d'un bail verbal. Mais il y a une difficulté de texte. L'article 1715 porte que le serment peut seulement être déféré à celui qui nie le bail. Cela veut-il dire que le serment est la seule preuve que la loi admette pour établir l'existence d'un bail fait sans écrit et qui n'a encore reçu aucune exécution? Il y a un arrêt en ce sens (1); et Troplong s'étonne que la précision du texte n'ait pas prévenu d'inconcevables divergences sur un point si nettement décidé par le législateur (2). Si le texte avait cette évidence, nous ne manquerions pas de nous incliner devant la loi, mais le texte ne dit pas ce qu'on lui fait dire. Après avoir prohibé la preuve testimoniale, l'article 1715 ajoute que le serment peut seulement être déféré; c'est donc, au point de vue de la prohibition qu'il vient de prononcer, que le législateur autorise la délation du serment; le mot seulement se rapporte à la défense qui précède, il la limite, mais il n'entend pas dire qu'aucune autre preuve n'est admise; si telle avait été la pensée des auteurs du code, ils auraient dit le serment seul est admis pour prouver le bail. L'esprit de la loi, que

(1) Rennes, 6 aoùt 1813 (Dalloz, au mot Louage, no 125).

(2) Troplong. Du louage, no 111. En sens contraire. Duranton, t. XVII, p. 34; no 53; Duvergier, t. 1. p. 228, no 257; Aubry et Rau, t. IV, p. 467, et note 12, § 364; Marcade, t. VI, p. 431, no Il de l'article 1716.

Troplong invoque, témoigne décidément contre lui; si la loi interdit la preuve par témoins, c'est qu'elle veut prévenir les longues et coûteuses procédures de l'enquête; or, il n'y a pas plus de procédures pour l'interrogatoire sur faits et articles que pour le serment; et la nature des deux preuves est la même: c'est une déclaration faite en justice; il n'y a pas une ombre de raison pour admettre le serment et pour rejeter l'aveu.

73. L'opinion généralement admise, en ce qui concerne l'aveu, a une grande importance; il en résulte que l'exception consacrée par l'article 1715 doit être restreinte à la preuve testimoniale, c'est uniquement à l'article 1341 que la loi déroge; hors ce cas, on applique les principes généraux qui régissent la preuve. C'est ce que la cour de Paris a décidé, en termes formels, dans l'espèce suivante. Le bailleur, en vendant l'immeuble, avait chargé l'acheteur d'exécuter le bail verbal qu'il avait consenti; l'acte de vente ayant été reçu par notaire, le preneur demanda qu'il fût autorisé à se faire délivrer un extrait concernant la clause relative au bail. Le tribunal ordonna le compulsoire, en décidant que les dispositions de l'article 1715 sont une dérogation au droit commun; que la prohibition qui en résulte est de droit étroit et doit être limitée à la seule preuve testimoniale dont parle cet article (1).

Il suit de là que l'article 1715 ne déroge pas aux dispositions des articles 1347 et 1348. Pour ce qui regarde l'article 1 348, cela n'est guère contestable; il s'agit du n° 4 de cet article, qui porte que la preuve testimoniale est admissible indéfiniment, lorsque le créancier a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d'un cas fortuit, imprévu et résultant d'une force majeure. Il y a donc eu un écrit; mais, l'acte ayant été détruit, la loi admet la partie intéressée à faire preuve du contrat par témoins, quel que soit le montant du litige. Nous disons que l'application de cette disposition à la preuve du bail n'est pas douteuse; en effet, quoique les parties demandent à prouver par témoins l'existence du bail, on ne peut pas

(1) Paris, 20 mai 1858 (Dalloz, 1859, 2, 39).

dire qu'il s'agisse d'un bail fait sans écrit; il y a eu un écrit, donc on n'est pas dans les termes de l'exception établie par l'article 1715, partant on reste sous l'empire du droit commun. Si aucune autre preuve que le serment n'était admise, comme on le prétend, dès qu'il n'y a pas d'écrit, il faudrait rejeter la preuve testimoniale, ce qui n'aurait point de sens. Il importe encore de remarquer que si l'article 1348, 4°, admet la preuve par témoins, c'est que le danger de la preuve disparaît, puisque le demandeur doit prouver d'abord qu'il a perdu son titre; ce qui est un commencement de preuve, et c'est parce que la demande est probable que la loi autorise la preuve testimoniale (1).

74. Par identité de motifs, il faut décider que le louage, quoique fait sans écrit et alors qu'il n'y a aucune exécution, peut être prouvé par témoins lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit (art. 1347). L'article 1347 établit une règle générale, applicable à tous les contrats, sauf dérogation. Est-ce que l'article 1715 consacre une exception? Si l'on donne au texte le sens que Troplong y attache, il faut dire que la preuve testimoniale doit être rejetée. Nous croyons que c'est dépasser la lettre et l'esprit de la loi. Le texte porte que le bail fait sans écrit ne peut être prouvé par témoins. Un bail fait sans écrit est un bail purement verbal, à l'appui duquel on ne produit aucun écrit (no 70); or, dans le cas de l'article 1347, ily. a un commencement de preuve par écrit, donc on ne peut

pas dire que le bail n'est que verbal. Le texte prohibe la preuve par témoins, ce qui suppose que la preuve se fait exclusivement par témoins; or, dans le cas de l'article 1347, la preuve est en partie littérale; donc on n'est pas dans les termes de l'exception, ce qui est décisif. On objecte encore que, d'après le deuxième alinéa de l'article 1715, il n'y a d'autre preuve admise que le serment; nous venons de répondre que cette interprétation restrictive est inadmissible, car il en résulterait que l'on ne pourrait pas prouver par témoins un bail dont le titre est perdu; il faut

(1) Colmet de Santerre, t. VII, p. 237, n° 162 bis III.

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