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la rendant absolue. Il suit de là qu'il n'y a pas à distinguer si le prix du bail excède ou non la valeur de 150 francs. L'objet du débat étant de prouver l'existence d'un bail verbal, il faut appliquer l'article 1715, qui rejette la preuve par témoins (1).

On objecte que les faits d'exécution d'un bail sont des faits matériels, lesquels se prouvent toujours par témoins, quel que soit le montant pécuniaire du litige: tel est le fait de cultiver la terre s'il s'agit d'un bail à ferme, ou le fait d'avoir introduit dans une maison des meubles pour la garnir quand il s'agit d'un bail à loyer. Ces faits, par eux-mêmes, n'engendrent ni droit ni obligation, ce sont des faits purs et simples auxquels ne s'applique pas l'article 1341; ils se prouvent par témoins indéfiniment, sans considérer quelle est la valeur du litige. La preuve de ces faits restant en dehors de l'article 1341, on ne peut plus invoquer l'article 1715, qui déroge à cette disposition; on reste donc sous l'empire du droit commun, qui admet toujours la preuve par témoins des faits matériels (2). L'objection est sérieuse; voici ce que la cour de cassation y répond: L'article 1715 interdit la preuve testimoniale d'un bail verbal qui n'a encore reçu aucune exécution, quelle que soit la modicité du prix. Quand peut-on dire d'un bail qu'il n'a reçu aucune exécution? Dès que la prétendue exécution alléguée par l'une des parties est niée par l'autre. Donc il faut rejeter la preuve testimoniale des faits contestés, car admettre à prouver par témoins des faits considérés comme commencement d'exécution d'un bail verbal, pour en induire l'existence de ce bail, ce serait admettre la preuve testimoniale d'un bail verbal, ce que l'article 1715 interdit formellement (3). » A notre avis, la réponse est péremptoire. La cour de cassation ne

"

(1) Aubry et Rau, t. IV, p. 468, note 17, § 364, et les autorités qu'ils citent.

(2) Duranton, t. XVII, p. 37, no 56. Troplong, no 113. Mourlon, t. III, p. 292, no 737.

(3) Cassation. 14 janvier 1840 (Dalloz, au mot Louage, no 131), après delibéré en chambre du conseil, et sur les conclusions contraires de l'avocat général Tarbé. Rejet, 3 janvier 1848 (Dalloz, 1848, 1, 28). Cassation, 12 janvier 1864 (Dalloz, 1864, 1. 142).

parle pas de la distinction des faits matériels et des faits juridiques; elle n'avait pas besoin de distinguer, et elle n'en avait pas le droit, car elle se trouvait en présence d'un texte absolu qui prohibe la preuve testimoniale d'un bail verbal dont l'exécution est contestée et dont, par suite, l'existence est incertaine; l'article 1715 décide la question.

Les arrêts de cassation que la cour suprême prononce prouvent que l'incertitude règne toujours dans la jurisprudence sur les principes qui gouvernent la matière. Il en est de même de la jurisprudence des cours de Belgique. Un arrêt de Liége admet la preuve testimoniale des faits d'exécution, en se fondant sur ce que ces faits ne sont pas de nature à être prouvés autrement que par témoignages(1). Cela est vrai, mais la question est de savoir si la loi admet la preuve testimoniale de ces faits pour en induire l'existence d'un bail verbal; or, l'article 1715 décide le contraire. C'est ce que dit la cour de Bruxelles dans un arrêt rendu en sens contraire; la preuve des faits d'exécution constituerait la preuve du bail verbal par témoins; elle violerait donc l'article 1715 (2).

88. De ce que la preuve testimoniale est prohibée, faut-il conclure que les faits d'exécution ne peuvent être prouvés par témoins lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit? Il a été jugé par la cour de Bruxelles que, dans ce cas, la preuve testimoniale est admissible (3). Dans l'opinion que nous avons enseignée sur l'article 1715, cela n'est pas douteux. Si un bail purement verbal, sans allégation de faits d'exécution, peut se prouver par temoins dans les cas prévus par les articles 1347 et 1348, il doit en être de même, et à plus forte raison, quand l'une des parties demande à prouver qu'il y a eu des faits d'exécution. Ces faits ajoutent une probabilité à la demande; pour mieux dire, quand les faits d'exécution sont bien prononcés, c'est la plus forte des preuves; on ne peut

(1) Liége, 18 décembre 1838 (Pasicrisie, 1841, 2, 19).

(2) Bruxelles, 30 mars 1863 (Pasicrisie, 1863, 2, 177).

(3) Bruxelles, 27 mai 1848 (Pasicrisie, 1849, 1, 129), et 15 février 1858 (Pasicrisie, 1858, 2, 266).

plus nier l'existence d'un contrat qui s'exécute. Il y a des objections, nous y avons répondu (no 79).

Par identité de motifs, il faut dire que le commencement d'exécution peut être prouvé par l'aveu, donc par un interrogatoire sur faits et articles. En un mot, le droit commun reste applicable, sauf qu'il est dérogé à la règle de l'article 1341. Il va sans dire que le commencement d'exécution et l'existence du bail peuvent être prouvés par une lettre c'est un aveu écrit. La cour de cassation l'a jugé ainsi (1).

N° 3. CAS DANS LESQUELS LES ARTICLES 1715 ET 1716 NE SONT
PAS APPLICABLES.

89. L'article 1715 consacre une exception au droit commun, qu'il est difficile de justifier (n°69). C'est une raison déterminante pour en restreindre l'application au cas prévu par la loi. Il en est ainsi de toute exception, et on doit surtout restreindre les dispositions exceptionnelles qui rendent la preuve d'un contrat impossible, alors que cette preuve serait admise en vertu des principes généraux de droit. L'article 1716 contient également une dérogation au droit commun, puisqu'il rejette la preuve testimoniale de l'une des conditions d'un bail verbal dont l'existence n'est pas contestée. Nous avons déjà déduit les conséquences qui résultent du caractère exceptionnel de l'article 1716 (nos 83-85). Il faut poser comme principe général que les dérogations des articles 1715 et 1716 sont de la plus stricte interprétation.

90. L'article 1715 est placé sous la rubrique des règles communes aux baux de maisons et de biens ruraux. On ne doit donc pas l'appliquer aux baux de meubles ni au louage d'ouvrage. Il est vrai que les règles générales que le code établit pour les baux d'immeubles peuvent s'appliquer, par analogie, au bail de meubles, mais l'argumentation analogique n'est pas admise quand il s'agit de dispositions exceptionnelles. Il suit de là qu'un tapissier

(1) Rejet, 5 mars 1856 (Dalloz, 1856, 1, 146).

peut prouver par témoins qu'il a loué des meubles si le
prix du bail n'excède pas 150 francs; et avec un commen-
cement de preuve par écrit il serait admis à la preuve tes-
timoniale, quelle que fût la valeur du litige (1).

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Troplong fait, à ce sujet, une remarque qu'il importe de noter. Les motifs pour lesquels la loi a rejeté la preuve testimoniale dans le bail d'immeubles s'appliquent à la location de choses mobilières; mais la lettre de la loi, resserrée par la rubrique de la section première, ne permet pas de l'étendre à un bail de meubles. Ma raison, dit Troplong, est choquée de ce résultat absurde, mais le texte est clair; et je ne me crois pas le droit de le modifier pour le plier à mes idées (2). Troplong oublie bien souvent cette règle, que les interprètes ne devraient jamais perdre de vue. C'est dans cet esprit que nous écrivons, et c'est le seul moyen d'arriver à quelque certitude dans notre science.

que

91. Un bail à ferme est constaté par écrit; il est dit dans l'acte que les récoltes pendantes lors du contrat sont abandonnées au fermier, à la condition de convertir en terres arables les terrains incultes compris dans les terres affermées. Le bailleur prétend que cet engagement n'a pas été rempli. De la procès sur le point de savoir si l'on peut prouver par témoins tels terrains incultes ont été compris dans le bail. La cour de Bruxelles a jugé que la preuve testimoniale était admissible (3). Il est certain que l'article 1715 ne s'y opposait pas, car il ne s'agissait pas de prouver l'existence d'un bail verbal; le seul objet du litige était de savoir si telles terres étaient ou non comprises dans les biens affermés. Il y avait un autre motif de douter, étranger à notre matière: n'était-ce pas prouver par témoins contre ou outre l'acte que d'admettre cette preuve pour interpréter la convention? Nous avons examiné la question, au titre des Obligations.

(1) Duranton (t. XVII. p. 33, no 52) a tort d'exiger que le prix des meubles n'excéde pas 150 francs). Dans le meme sens, Duvergier, t. I, p. 17,

n° 14.

(2) Troplong, Du louage, no 110.

(3) Bruxelles, 1er août 1865 (Pasicrisie, 1867, 2, 181).

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allons voir que l'esprit de la loi est en harmonie avec le

texte.

20. Les travaux préparatoires sont un argument de prédilection pour les auteurs qui veulent faire dire au code le contraire de ce qu'il dit. Troplong n'a pas manqué d'invoquer à l'appui de son paradoxe l'histoire qu'il aime beaucoup, mais que trop souvent il travestit, comme il le fait pour le texte de la loi. C'est un nouvel enseignement que nous offre ce débat, et qui vaut bien les quelques pages que nous allons y consacrer. Nous aimons aussi Î'histoire, elle a été l'étude favorite de notre vie; mais lorsqu'il s'agit d'interpréter les lois, nous la consultons. quand elle peut éclairer le droit nouveau, nous la répudions quand on veut s'en prévaloir pour modifier et altérer les textes. C'est ce que Troplong a fait. L'Assemblée constituante a abrogé partiellement la loi Emptorem pour certains baux; nous transcrivons les dispositions de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791 (tit. I, sect. II, art. 2, 3):

« Dans un bail de six années et au-dessous, fait après la publication du présent décret, quand il n'y aura pas de clause sur le droit du nouvel acquéreur à titre singulier, la résiliation du bail, en cas de vente du fonds, n'aura lieu que de gré à gré.

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Quand il n'y aura pas de clause sur ce droit dans les baux de six années, en cas de vente du fonds, le nouvel acquéreur à titre singulier pourra exiger la résiliation, sous la condition de cultiver lui-même sa propriété, mais en signifiant le congé au fermier, au moins un an à l'avance, et en dédommageant au préalabie ie fermier, à dire d'experts, des avantages qu'il aurait retirés de son exploitation ou culture continuées jusqu'à la fin de son bail, d'après le prix de la ferme et d'après les avances et les améliorations qu'il aura faites à l'époque de la rési

liation. >>

Voici l'étrange interprétation que Troplong donne de cette loi. C'est le droit réel qui fait pour la premiére fois son apparition dans le louage d'immeubles à court terme. On a nié ce fait évident, mais il faut avoir un

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