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l'article 1341. En doit-on conclure que cette preuve n'est pas admissible, alors même qu'il y aurait un commencement de preuve par écrit? Dans notre opinion, il faut dire de l'article 1716 ce que nous avons dit de l'article 1715; la loi déroge à l'article 1341, elle ne déroge pas à l'article 1347. Il y a une raison de plus pour le décider ainsi, dans le cas prévu par l'article 1716, puisqu'on n'y trouve pas de disposition restrictive, comme celle de l'article 1715; il est vrai que la loi énumère les preuves qu'elle admet pour déterminer le prix, mais cette énumération n'exclut que la règle de l'article 1341, elle n'exclut pas les autres preuves. Par identité de raison, nous admettons l'aveu, et par suite l'interrogatoire sur faits et articles.

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80. Lorsqu'il n'existe point de quittances, le propriétaire en sera cru sur son serment. » La loi ne dit pas que le juge déférera le serment s'il y a lieu; ce n'est pas un serment supplétoire, c'est un serment décisoire que la loi elle-même défère, en ce sens que le propriétaire a le droit de déclarer sous serment quel est le montant du bail. Pourquoi la loi donne-t-elle ce droit au propriétaire, de préférence au preneur? Le rapporteur du Tribunat répond que le preneur a suivi la foi du bailleur en entrant en possession de la chose louée sans avoir réglé par écrit les conditions du bail (1). Il nous semble que c'est décider la question par la question : n'en pourrait-on pas dire autant du bailleur? Les auteurs donnent une raison qui nous paraît tout aussi mauvaise; ils disent que le propriétaire étant grandement intéressé à conserver sa réputation d'honnête homme, afin de trouver facilement d'autres locataires, il est probable qu'il ne trahira pas la vérité (2). N'est-ce pas supposer que le preneur la trahira? Il eût été plus rationnel de permettre au juge de déférer le serment à celle des parties qui lui inspire le pius de confiance, et dont la prétention lui paraît la plus probable. Cette disposition de l'article 1716 est tout à fait exceptionnelle. C'est au propriétaire que la loi défère le

(1) Mouricault, Rapport, no 7 (Locré, t. VII, p. 198). (2) Mourlon, Répétitions, t. III, p. 291, no 735.

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serment. Si la contestation s'élève entre les héritiers du bailleur et le preneur, on ne se trouve plus dans les termes de l'exception, partant on rentre dans le droit commun qui régit les preuves. La cour de cassation l'a jugé ainsi; l'arrêt constate que les héritiers du propriétaire n'avaient offert aucune affirmation, et ne savaient rien des conditions du bail (1). Nous doutons que les héritiers soient admis à offrir une affirmation quelconque ce serait étendre l'exception à un cas que la loi n'a point prévu. 81. Si mieux n'aime le locataire demander l'estimation par experts (art. 1716). Il résulte du texte que le preneur peut empêcher la déclaration assermentée du propriétaire, en demandant l'expertise (2). Le rapporteur du Tribunat s'exprime dans le même sens : « Le preneur peut cependant, s'il le préfère, demander une estimation. par experts. Il a donc le droit de préférence. C'est une nouvelle dérogation aux principes. Le serment est une preuve de la convention, tandis que les experts ne peuvent pas savoir ce qui a été convenu; ils se bornent à estimer la valeur locative de la chose; or la preuve de la convention devrait l'emporter sur une estimation étrangère à la convention. Cela prouve que le législateur n'a pas une entière confiance dans le serment du propriétaire; alors pourquoi le lui déférer?

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Le texte et l'esprit de la loi supposent encore que le preneur demande l'expertise avant que le propriétaire ait fait sa déclaration. Si le serment était prêté, la contestation serait terminée, car la loi dit que le propriétaire en sera cru sur son serment; ce serait donc porter atteinte à la foi due au serment que d'admettre l'expertise pour contrôler la déclaration du bailleur (3).

82. Lorsque le preneur demande l'estimation par experts, les frais de l'expertise restent à sa charge, si l'estimation excède le prix qu'il a déclaré ». Cette décision de l'article 1716 est juste, quand l'estimation des experts répond au prix que le propriétaire a réclamé; dans ce

(1) Rejet. 13 mars 1867 (Dalloz, 1867, 1, 175).

(2) Nîmes, 6 juin 1823 (Dalloz, au mot Louage, no 136). (3) Colmet de Santerre, t. VII, p. 240, no 162 bis IX.

cas, le preneur succombe, et par suite dot surpre les frais, en vertu du droit ecm. Mas Testimat peut dépasser le prix déclare par le preneur, en fore t rieure au prix réclamé par le proprietaire : la justin gerait alors que les frais fussent suppenes par les tax parties, puisqu'elles succombent Tune et lactre nion est, en effet, enseignée 1, mais il est d concilier avec le texte. La loi est congue en termes absolus, elle met les frais à charge du preneur des ; mation excède le prix; d'ailleurs legalement it sel succombe, puisque c'est lui qui a demande Terperse contre le propriétaire. Il faut donc dire avec Iruvenger que le devoir de l'interprete est de respecter le texte, et qu si la loi doit être modifiée, il n'appartient pas a interpre d'opérer la réforme. Mais le preneur ne pourrait pas demander l'expertise sans fixer le prix? Duvergier le dita: cela nous paraît douteux, car cela aboutit a eluder la li Qui supporterait, dans ce cas, les frais? Ce ne serait pas le preneur, car il ne succomberait pas. Ce serait din le propriétaire, si l'estimation différait du prix qu'il a demandé. Or le propriétaire, d'après le texte précis du code, ne doit supporter les frais que si l'estimation des experts donne raison au preneur, il faut donc que le preneur déclare le prix qui a été convenu.

b. La durée du bail et les autres conditions.

83. Il peut y avoir contestation sur la durée du bail : comment se fera la preuve? L'article 1716 ne prévoit pas la difficulté. N'en faut-il pas conclure que l'on reste sous l'empire du droit commun, par cela seul que la loi n'y déroge point? C'est notre avis. Il y a cependant un motif de douter, qu'il faut examiner avant tout. On prétend que la question est décidée par les articles 1736, 1758 et 1774. Ces articles supposent un bail fait sans écrit; ils fixent la durée du bail, en distinguant les baux de maisons, pour

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1107,

▾ II, p. 241,

(1) Duranton, t. XVII, p. 40, n° 58. Mourlon, t. III, p. 291, no863 (Pasicrisie, Colmet de Santerre, t. VII, p. 241, no 162 bis X. (2) Duvergier, Du louage, t. I, p. 234, no 262.

un moyen sûr de le déterminer, sinon d'après la volonté des parties, du moins de manière qu'elles ne puissent pas se plaindre, c'est l'expertise; tandis que la durée du bail dépend entièrement de la volonté arbitraire des parties contractantes : la loi pouvait-elle mettre sa décision ou les usages des lieux à la place de la volonté des parties intéressées? Cela eût été souverainement illogique; car il n'appartient pas au législateur de changer les conventions, il doit les respecter; il peut, à la vérité, leur refuser telle preuve, par exemple la preuve testimoniale. Mais il ne l'a pas fait, donc elle doit être reçue d'après le droit commun. La preuve testimoniale sera admise au-dessus de 150 francs, ainsi que pour les baux qui excèdent cette somme, s'il y a un commencement de preuve par écrit (1).

84. Nous disons que la question est une difficulté de preuve et qu'elle doit être décidée d'après le droit commun; il faut donc distinguer. Si la chose litigieuse est inférieure à 150 francs, la preuve par témoins est de droit. Vainement dit-on que si les parties veulent déroger aux usages des lieux, elles doivent dresser un écrit de leurs conventions; nous répondrons que l'article 1341 ne les oblige de dresser un écrit que lorsque la chose excède 150 francs, et qu'aucune disposition de la loi ne fait exception à cette règle quand il s'agit de la durée du bail; les parties peuvent, au contraire, invoquer l'exception de l'article 1715, en ce sens que toute exception confirme la règle : en prohibant la preuve testimoniale quand il s'agit de prouver l'existence d'un bail fait sans écrit, qui n'a encore reçu aucune exécution, la loi autorise implicitement cette preuve quand il s'agit du prix d'un bail verbal dont l'exécution a commencé. Par la même raison, la preuve par témoins doit être reçue, pour établir la durée du bail, lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit; c'est le droit commur et certes le silence de l'article 1716 n'y déroge point

Faut

er plus loin et admettre la preuve par té

les, 10 avril 1863 et 27 juillet 1863 (Pasicrisie, 1863, 2, 335 et cy, 3 août 1871 (Dalloz, 1872, 2, 150).

moins de la durée d'un bail verbal, alors même que la chose litigieuse dépasserait la valeur de 150 francs? On a commencé par le juger ainsi en argumentant de l'article 1715. Cette disposition, disait-on, interdit la preuve par témoins si le bail fait sans écrit n'a encore reçu aucune exécution; donc elle admet cette preuve quand l'exécution du bail a commencé, à moins qu'il ne s'agisse du prix, pour la preuve duquel l'article 1716 contient une règle spéciale (1). C'était un argument a contrario de la pire espèce; car on s'autorisait d'une disposition qui a pour objet d'écarter la preuve testimoniale, en cas de bail verbal non exécuté, pour admettre cette preuve dans le bail verbal exécuté, alors même que le litige dépassait la valeur de 150 francs, c'est-à-dire que l'on dérogeait à la prohibition de la preuve testimoniale en se fondant sur une disposition qui étend encore cette prohibition. Le raisonnement, fondé sur le silence de la loi, est toujours mauvais quand il tend à déroger aux principes; et, dans l'espèce, il dérogeait à une règle fondamentale en matière de preuves, celle qui prohibe la preuve testimoniale quand la chose dépasse 150 francs. La seule conséquence que l'on puisse déduire de l'article 1715, c'est qu'étant une exception au droit commun, il maintient ce droit commun dans tous les cas où l'on est hors de l'exception. La jurisprudence s'est prononcée en ce sens (2).

Un excès en provoque toujours un autre. La jurispru⚫dence s'était engagée dans une fausse voie, Toullier la combattit vivement, et Duvergier à sa suite (3). Mais ils dépassèrent, à leur tour, la loi en enseignant que la preuve testimoniale était défendue pour établir la durée du bail et les autres conditions du contrat, alors même que la chose litigieuse serait inférieure à 150 francs. C'était toujours au nom de la logique qu'ils demandaient une prohi

(1) Bruxelles, 24 août 1807. Nimes, 14 juillet 1810 et 22 mai 1819 (Dalloz, au mot Louage, nos 130, 1o, et 142, 2o). Comparez Duranton, t. XVII, p. 36, n° 55).

(2) Bruxelles, 9 décembre 1826 (Pasicrisie, 1826, p. 314) et les arrêts eités à la note de la page suivante.

(3) Toullier, t. V, 1, p. 24, no 33. Duvergier, t. I, p. 229, no 258. En sens contraire, Aubry et Rau, t. IV, p. 467, note 14, § 364.

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