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et marchoient à grandes journées sur Césène. C'en est assez; sur cette fausse nouvelle, l'insurrection se propage dans les Légations. Laissons parler ici Buonaparte lui-même qui, quelque temps après, écrit au directoire : «< Des imprimés séditieux, des prédicateurs fanatiques, prêchérent partout l'insurrection. Ils organisèrent en peu de jours ce qu'ils appelèrent l'armée catholique et papale. Ils établirent leur quartier-général à Lugo, gros bourg de la légation de Ferrare, quoiqu'enclavé dans la Romagne. »>

Le général Augereau, chargé de combattre les nouveaux ennemis, s'exprime ainsi dans une lettre du 8 juillet 1796, adressée de Bologne à son général en chef.

« L'armée apostolique et son quartier général n'existent plus. Les Chouans de la Romagne et du Ferrarais ont été chassés, battus, dispersés sur tous les points, et si je ne me trompe, la fantaisie de nous combattre, ne leur reprendra de long-temps.

>>

Quelques prêtres qui se croyoient encore au siècle des Croisades, et cinq à six scélérats animés par l'esprit de révolte, étoient parvenus à rassembler par la terreur une multitude imbécille et égarée, qu'ils qualifioient ridiculement du nom pompeux d'armée. Déjà des réglemens, des proclamations, des actes d'autorité en tout genre, étoient émanés de ce foyer d'insurrection, des ateliers de toute espèce étoient en activité; tout trembloit sous le joug tyrannique des émules de Charette.

» J'avois ordonné au général Beyraud, qui se trouvoit alors à Forli, de faire arrêter, s'il étoit possible, l'imprimeur dont le nom étoit attaché à une proclamation incen

diaire dont je vous ai donné connoissance dans le temps; ce général envoya un piquet de cavalerie et un détachement d'infanterie à Lugo, pour cette opération. Cette troupe fut reçue à coups de fusil et contrainte de se retirer, après avoir eu trois hommes et un cheval tués, et quatre on cinq hommes blessés.

>> Indigné de l'audace de ces brigands, convaincu de la nécessité d'empêcher la propagation du soulèvement, et résolu de venger le sang français, je me décidai à débuter par un coup décisif.

» J'ordonnai au général Beyraud de se rendre à Imola, où je fis rassembler un bataillon de la quatrième demi-brigade, deux cents chevaux et deux pièces d'artillerie, et je m'y rendis moi-même. Le chef de brigade Pourallier avoit ordre de partir avec la moitié de la troupe qui se trouvoit à Ferráre, et de marcher sur les derrières de Lugo pour couper les rebelles, pendant que je les attaquerois de front.

poser

» Arrivé à Imola, M. le baron de Cappelletti, chargé des affaires du roi d'Espagne (1), me proposa sa médiation, et se rendit à Lugo pour engager cette bande à les armes et à rentrer dans l'ordre Ils s'obstinèrent et repoussèrent ces propositions; je marchai contre eux hier matin avec à peu près huit cents hommes d'infanterie, deux cents chevaux et deux pièces d'artillerie; à une lieue et demie de la ville, leurs avant-postes cachés dans les chanvres commencèrent à fusiller. Nos éclaireurs les firent déguerpir, et les conduisirent plus vite que le pas, dans la ville où ils se crurent en sûreté. J'y fis diriger quelques coups de canon et mettre le feu à plusieurs maisons; cet appareil joint à une fusillade assez vive les fit déloger à la hâte; ils

(1) M. Cappelletti étoit chargé de soigner auprès des légats, les affaires des Espagnols à Bologne, à Ferrare, à Urbin, à Ravenne. Il n'avoit pas une autorité directement diplomatique : quand ses réclamations devoient être renvoyées à Rome, M. d'Azara étoit alors l'autorité politique qui agissoit auprès du gouvernement Pontifical.

se répandirent en désordre dans la campagne où je les fis poursuivre avec chaleur. Trois cents environ restèrent sur la place, il nous en a coûté quatre hommes et six à sept blessés. Les chefs de ces rebelles, bien certains du traitement que je leur réservois, avoient prudemment pris la fuite.

» En entrant dans Lugo, des coups de fusil partis de quelques fenêtres m'ont tué deux hommes; je voulois faire brûler la ville, mais il n'y étoit resté que quelques femmes, des vieillards et des enfans; ils furent respectés (1).

Signé AUGEREAU.

Le trait d'humanité rapporté à la fin de cette lettre est digne des plus grands éloges; mais de quel nom le général auroit-il donc appelé les paysans, les volontaires qui se seroient réunis à lui près de Lyon, pour repousser l'invasion des Autrichiens en 1814, même après un armistice, s'il avoit été semblable à celui qu'on avoit accordé à Bologne, le 23 juin 1796? qu'ont de commun les Italiens de Lugo, avec les soldats de Charette? et firent-ils si mal les insurgés, de refuser la médiation d'un homme qui se présentoit encore au nom de l'Espagne? On connoissoit les adoucissemens que faisoit obtenir une telle médiation, qui étoit plutôt une complicité.

Des faits qui sont dans l'essence positive de cette histoire nous ont conduits à Imola, où se trouvoit le cardinal Chiaramonti. Prudent et réservé lors de l'invasion, il s'étoit gardé de se laisser entraîner comme tous les autres

(1) Correspondance inédite, in-8°, Paris, 1819.

sujets du saint Père qui avoient essayé de rallumer la guerre, parce que, suivant eux, les conditions mêmes qui sembloient la suspendre n'étoient qu'une dérision. Il y avoit cependant à Lugo, à Imola, des agens, des militaires autrichiens; ils s'étoient mis à la tête du mouvement, et ils avoient exigé que le cardinal en sa qualité d'évêque appuyât leur entreprise; ils alloient jusqu'à le menacer. Mais à Rome, on reconnoissoit l'armistice; on rassembloit les millions demandés avec autorité; on retiroit du château Saint-Ange ce qui pouvoit rester du trésor de Sixte-Quint. On faisoit fondre les saints ciboires, les joyaux des églises les statues d'argent; on demandoit aux femmes leurs bijoux, leurs colliers, leurs anneaux; et toutes les classes de la société, à la voix du saint Père, apportoient au trésor ce qu'elles possédoient de plus précieux.

Le cardinal Chiaramonti ne devoit faire que ce que faisoit le saint Père, résigné à reconnoître et à exécuter le traité.

Agent général de la république, en Italie M. Cacault veilloit à Rome à l'exécution des articles de l'armistice, et il témoignoit au gouvernement pontifical toute la déférence que lui permettoit une telle position.

CHAPITRE II.

NOUVELLES VICTOIRES DE BUONAPARTE. INVASION DE L'ÉTAT

ROMAIN. LA Vierge de sainT-CYRIAQUE. TRAITÉ DE TOLENTINO. ÉMEUTE A ROME. MORT DE DUPHOT.

CEPENDANT le général Buonaparte étoit redouté plus que jamais; commandant à d'admirables soldats (1), il sembloit ne livrer des batailles que pour les gagner. Lui-même il s'étoit revêtu d'une autorité absolue (2); il avoit combattu heureusement à Brescia, à Lonato, à Castiglione, où il avoit fait quinze mille prisonniers et pris soixante-dix canons; il bloquoit de nouveau Mantoue, occupoit Trente, faisoit conclure la paix avec Parme et Naples. Il avoit vaincu à Arcole, le 15, le 16 et le 17 novembre, à Rivoli le 10 janvier 1797, pris

(1) « Vous croyez, écrivoit Buonaparte au directoire exécutif, vous croyez que mes soldats doivent au moins dormir. Point du tout. Chacun fait son compte, ou son plan d'opération du lendemain, et souvent on en voit qui rencontrent très-juste; l'autre jour, je voyois défiler une demi-brigade; un chasseur s'approche de mon cheval: «Général, me dit>>il, il faudroit faire cela.—Malheureux, lui dis-je, veux-tu bien >> te taire ! » Il disparoît à l'instant. Je l'ai fait en vain chercher : ce qu'il me disoit, c'étoit justement ce que j'avois ordonné que l'on fît.>>

(2) Il avoit su réduire au silence les commissaires qu'on lui avoit adjoints, pour signer l'armistice du 23 juin. Voici une lettre qu'il écrivoit à son collègue d'un instant, le citoyen Garreau: « La réquisition que vous avez faite, citoyen commissaire, au général Vaubois, est contraire à l'instruction que m'a donnée le gouvernement. Je vous prie de vous

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