Page images
PDF
EPUB

au Saint Siége les deux Légations et la Romagne.>> M. Cacault avoit oublié, ou ne vouloit pas dire, que sans l'interception de ces lettres, l'expédition auroit toujours eu lieu, et que Pie VI fut attaqué, non pas pour qu'il fût puni, mais parce qu'il étoit condamné. Du reste, l'intention de M. Cacault étoit de prévenir la mauvaise humeur du premier consul. En paroissant croire que, dans la circonstance, de la mauvaise humeur devenoit un sentiment naturel, il vouloit arriver à dire définitivement que c'étoient là des choses auxquelles il ne falloit plus penser.

Ce qui fut dit sur M. le cardinal Ruffo étoit plus sévère, et peut-être même injuste car ce cardinal ne fut pas maître de faire respecter par les Anglais la capitulation de Naples.

« Je vous envoie la lettre de bonnes fêtes adressée par le cardinal Fabrice Ruffo au premier consul.

» Ce cardinal est dans la disgrâce de M. Acton. Il se conduit bien à Rome; mais je sens qu'il répugnera toujours à la grande ame du premier consul de voir de bon œil le prétre (M. le cardinal Ruffo n'a jamais été prêtre) qui a été général d'une armée abominable. Cependant notre situation et notre politique sont si élevées au-dessus du passé, qu'il convient peut-être de ne refuser la réponse d'étiquette à aucun des cardinaux qui ont écrit. Si on ne fait pas de réponse à tous, on désobligera le corps entier. >>

Paris envoya toutes les réponses, et M. Cacault n'a jamais su qu'un jour, ce cardinal devoit, dans les querelles du Saint Siége avec l'empereur se montrer favorable à ce dernier.

CHAPITRE XXVII.

LE BAILLI RUSPOLI REFUSE LA GRANDE MAITRISE DE MALTE. LES

MATELOTS FRANÇAIS AUX FÊTES de noel. les ENTRAILLES DE PIE VI ENVOYÉES A VALENCE PORTRAIT DU PREMIER CONSUL PAR CANOVA. LE CORPS DIPLOMATIQUE offre ses RESPECTS AU PAPE A L'OCCASION DE LA NOUVELLE ANNÉE.

CEPENDANT le chevalier Bussi avoit atteint le bailli Ruspoli dans une ville de l'Ecosse; il lui remettoit le bref du Pape. Le bailli, dès le premier moment, manifestoit de la répugnance. Des agens anglais s'entremêlèrent, sous prétexte de donner des conseils, dans les débats du bailli et du chevalier. Celui-ci employa les argumens les plus forts pour obtenir l'acceptation que Rome et tout l'Ordre désiroient. Le bailli croyant voir des obstacles à un rétablissement franc de l'Ordre tel qu'il le souhaitoit, donna son refus par écrit. Le premier consul apprenant cette nouvelle par le cardinal Caprara, fit ordonner à M. Cacault de solliciter promptement une autre élection. Le Pape promit d'accorder encore ce qui seroit agréable au premier consul, surtout parce qu'on voyoit à Rome que la cour de Londres feroit des difficultés de remettre la souveraineté à l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, si l'état d'interrègne devoit continuer.

Les affaires furent interrompues quelque temps par les longues fêtes de Noël. Le Pape n'oublioit pas qu'il avoit invité les matelots français à venir voir ces cérémonies. Ils accoururent de Civita-Vecchia, toujours bien traités et choyés au nom du Saint Père. Un homme attaché au service du Pape, et vêtu de sa robe violette, fut chargé exprès de les conduire dans l'église, à côté du maître autel. La place qu'on leur destinoit étoit si honorable qu'on ne pouvoit pas les introduire avant le commencement des fonctions, puisqu'ils devoient être rangés devant les bancs où sont assis les généraux d'ordre et les protonotaires apostoliques, à quatre pas en arrière du banc des cardinaux diacres, mais sur la même ligne. Lorsque le célébrant parut à l'autel, en face du grand trône du Pape, élevé le long des marches de porphyre qui conduisent à la chaire de Saint-Pierre, les matelots arrivèrent précédés de leur guide et marchant un à un sous la direction de leurs maîtres et de leurs contre-maîtres. Du haut de notre tribune, nous voyions leur contenance à la fois militaire et respectueuse. Parmi tous ces Provençaux et ces Bretons, il n'y en avoit pas un seul qui eût pu préparer son esprit à se voir ainsi amené en face d'une assistance aussi solennelle et des plus admirables magnificences du culte catholique; je puis assurer aussi qu'il n'y eut pas un seul de ces hommes qui ne sentît et ne montrât qu'il

TOM. I.

24

sentoit la dignité de sa situation. Le comte de Cassini, chargé d'affaires russe, avoit demandé la même faveur pour des matelots de la flotte impériale. Cette demande contraria Consalvi, mais il l'accorda. Ceux-ci, par des raisons que je ne connois pas, ne furent amenés que plus tard, et comme on ne put et qu'on ne voulut pas les mettre en arrière, ce qui auroit causé peut-être des inconvéniens, on les rangea devant les matelots français. Il ne tarda pas, il est vrai, à se manifester entre les marins des deux nations une sorte de fusion fondée sur une estime réciproque; quelques Français s'avançèrent bien pour n'être pas au second rang, et quelques Russes passèrent en saluant derrière des Français mais tout le front ne se composoit à peu près que de Russes, dont l'immobilité étoit remarquable et paroissoit devoir durer jusqu'à la fin de la messe. Le moment de l'élévation approchoit; M. de Cassini, Piémontais et catholique, n'avoit pas prévu que ses Moscovites continueroient de rester immobiles. Les Français, gênés devant des hommes de haute stature et debout, ne faisoient aucun mouvement, Le Pape voyoit très-distinctement la fausse position de ses hôtes et l'approche d'un grand scandale, tout ce premier rang, appartenant à un culte non réuni, restoit ainsi debout presque sur la même ligne que le sacré collége, déjà agenouillé devant ses bancs. Le prélat maître des cérémonies regar

si

doit cette scène d'un air stupéfait. Le cardinal Consalvi, avant de s'agenouiller, l'appelle et ne lui dit que ces mots : « I Francesi si facciano avanti. » L'intendant des cérémonies marcha gravement, les bras croisés, vers le maître qui commandoit le détachement français, et lui dit : « Ordonnez à vos hommes de vous suivre un à un; vous, vous me suivrez pas à pas : puis vous ferez comme moi. » Chaque Français avertit du coude et de l'œil le voisin qui doit marcher après lui. Lorsque le ceremoniere juge que la petite conjuration télégraphique est connue du dernier matelot, il touche légèrement de la main le commandant, et marche le long de la colonne russe, que notre détachement couvre peu à peu toute entière. Arrivé immédiatement sur la ligne des bancs des cardinaux diacres, monsignor ceremoniere s'arrête et tombe à genoux. La ligne française, après avoir fait front, s'agenouille en même temps comme un seul homme. Alors les Russes, emportés électriquement par ce mouvement, s'inclinèrent, et la cérémonie s'acheva avec toutes les convenances que pouvoient désirer des catholiques. On savoit que le Pape avoit invité les matelots français; nous n'avions pas laissé ignorer l'aimable à-propos de sa réflexion sur les marins et les missionnaires, et toute la ville applaudit au sang-froid de Consalvi et à son urbanité envers les invités de son souverain.

« PreviousContinue »