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qui que ce soit se hasarde à me parler de ma maladresse; que je chasserai sans pitié les indiscrets: qu'ils donnent ensuite le mot à tous ceux qui viendront chez moi. Je plains sincèrement ce pauvre Consalvi; il ne dormira pas au moins pendant vingt jours; mais à cela, tout son ami que je suis, je ne puis rien : nous avons tous deux des devoirs bien différens à remplir. Ce sera la seule circonstance dans laquelle je ne lui dirai pas tout ce que je pense. Dieu m'a envoyé ma sottise et cette blessure pour que j'en tire apparemment quelque leçon et quelque avantage. Cette aventure, n'est-ce pas, a aussi un côté ridicule, quoique je sois blessé par devant? Encore une fois, mon secret in'appartient comme le coup que j'ai reçu. Mon pays, mon grand pays, il a beau être grand, il n'a droit à une satisfaction que pour une insulte publique, connue, avouée, et que je dénonce. Je suis bien persuadé que le secret sera gardé par la cour romaine, et s'il y a dans tout ceci embûches et malveillance, ce dont je ne suis pas sûr, c'est moi qui en profiterai. Déchirez cette lettre. >>

En admirant un raisonnement aussi sensé, j'aidai M. Cacault à panser sa plaie, et aucun domestique n'osa dire une parole. Il arriva ce qu'avoit prévu le prudent ministre. A la première insistance, il obtint, non-seulement ce qu'il sollicitoit en vain, mais encore bien d'autres avantages honorables qu'il n'avoit pas espérés. M. Cacault

gouverna Rome à son caprice pendant un mois. Le Pape et Consalvi ne voyoient le ministre qu'avec respect, et le secrétaire-d'État avoit plus que jamais à la bouche tous les mots gracieux et tendres qui annoncent le consentement, l'obligeance, la prévenance, le langage de l'amitié et de la reconnoissance.

Le facinoroso fut immédiatement envoyé aux galères pour un autre crime que l'on découvrit, et dont il ne fut pas difficile de le convaincre. Il n'étoit pas à son coup d'essai. Plus qu'un autre il garda le secret; il dut aussi bénir M. Cacault qui n'avoit pas parlé, car nécessairement, à la voix terrible du premier consul, déjà à moitié roi, ce malheureux auroit été, et justement, attaché au gibet comme criminel d'état. La blessure fut guérie en huit jours, et le ministre alla luimême montrer une figure riante au palais de Montecavallo.

M. le cardinal Consalvi avoit recommandé au bailli Bussi de lui rendre compte exactement de ce qui se passoit à Malte. Dans la première audience que le plénipotentiaire du grand-maître obtint du général Ball, gouverneur anglais, celui-ci refusa d'accorder l'évacuation des troupes britanniques. Le bailli, qui ne manquoit pas de détermination, écrivit à M. Tommasi qu'il étoit convenable d'agir avec une résolution et un courage dignes des anciens grands-maîtres, et de tâcher d'arriver escorté par des frégates de Sa Ma

jesté sicilienne, que M. le chevalier Acton tenoit à la disposition de Son Altesse éminentissime. Mais ce n'étoit pas à Malte que devoit se décider la question; la lutte étoit toute entière entre Londres et Paris. M. de Talleyrand donnoit les informations suivantes à M. Cacault, qui se hâta d'en instruire le Saint Père.

« Je vous ai fait connoître, citoyen, par une lettre du 23 ventôse, l'état de nos rapports avec l'Angleterre. J'ai l'ordre du premier consul de vous informer de la suite de cette importante discussion. L'Angleterre se montre de plus en plus obstinée dans les premières dispositions hostiles qu'elle a manifestées par le message du roi au parlement. A la non-évacuation de Malte, elle a joint le refus d'évacuer Gorée et le Cap de Bonne-Espérance. Ses armemens, ses préparatifs semblent indiquer la volonté d'appuyer par un appareil de forces offensives la prétention de retenir les possessions qu'elle garde injustement. J'ai l'ordre d'informer officiellement la cour d'Espagne de la nécessité de pourvoir à la défense de l'île de Minorque, contre laquelle l'Angleterre paroît avoir des vues, et de celle d'armer des vaisseaux pour la protection de son commerce.

>>>Ce n'est que sur l'offensante opinion de la foiblesse des Etats du continent, sur l'espoir aussi offensant de leur concours, que l'Angleterre se fonde pour présumer le succès des menaçantes tentatives dont elle s'occupe. Que les puissances continentales se montrent aussi tranquilles que le sentiment de leur dignité le leur commande; qu'elles manifestent l'intention d'être justes, que surtout elles annoncent la volonté de ne plus favoriser le commerce de l'Angleterre et de fermer leurs ports à ses vaisseaux, et l'Europe ne tardera pas à être tranquille.

>>Ce dernier point est celui qu'il importe le plus de recom

mander à la sagesse et à la justice des gouvernemens étrangers. Dans cette mesure, se trouve la garantie de la paix, non-seulement pour le présent, mais encore pour l'avenir et pour le plus long avenir.

>> Le premier consul me charge de vous dire qu'il lui a paru utile de retenir jusqu'à présent dans ses mains, le fil des communications officielles écrites aux gouvernemens étrangers, relativement à l'importante et délicate discussion des affaires d'Angleterre. Je vous renouvelle en conséquence, par son ordre, la recommandation de ne rien écrire jusqu'à de nouveaux ordres, de borner vos représentations, vos recommandations à la forme des communications verbales, et de m'informer assidûment de l'effet et des progrès de l'impression qu'elles feront sur le gouvernement

romain. »

Le génie infatigable du ministre français ne se bornoit pas à rassurer le Pape sur les bruits de guerre, à contenir les malveillans, à répandre partout des idées de justice et de modération; il lui vint dans l'idée, un jour qu'il visitoit l'église de Saint-Louis des Français, d'y consacrer un monument au cardinal de Bernis, qui étoit mort, à la suite de tant d'honneurs, dans un état de détresse aggravé encore par les malheurs de la révolution. Le sculpteur Maximilien fut employé à élever un cénotaphe à ce digne et honorable ministre de France, dont le corps avoit été transporté dans l'église cathédrale de Nîmes.

CHAPITRE XXX.

RAPPEL DE M. CACAULT. IL EST REMPLACÉ par m. lé CARDINAL FESCH. EXPOSTULATIONS CANONIQUES DE TRENTE-HUIT ÉVÊQUES FRANÇAIS OPPOSANS.

MAIS il est donc vrai qu'on ne développe pas sans danger un grand caractère! Il l'avoit bien dit, ce judicieux ministre : On ne redresse jamais impunément ceux qui gouvernent. Le 8 avril, M. de Talleyrand écrivit à M. Cacault:

CITOYEN,

«Les circonstances actuelles relativement aux liens politiques et religieux qui unissent la France et la cour de Rome, ont paru exiger du gouvernement qu'il donnât à la légation de la république à Rome, le même appareil qu'elle avoit avant la révolution, et en conséquence le premier consul a déterminé qu'elle seroit remplie par un cardinal français. Il n'y avoit qu'une considération de cette nature qui pût le décider à changer votre résidence en vous nommant un successeur. Mais en me donnant l'ordre de vous annoncer cette détermination, il m'a expressément chargé de vous marquer qu'il ne cessoit pas d'être satisfait de vos services, et qu'un motif de gouvernement tel que celui que je viens de vous exposer, avoit pu seul lui faire mettre un terme à la mission que vous avez, à son gré, si sagement et si ho26

TOM. I.

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