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à vénérer hautement le Saint Siége. « Cela est vrai, reprit le Pape en serrant la main de M. Cacault, mais M. le cardinal et M. de Chateaubriand ne sont pas unis; ni l'un ni l'autre ne connoît bien nos affaires, et au besoin, pour régler tant d'embarras qui s'annoncent, où trouverions-nous un bon conseil? » Le cardinal Consalvi en dit davantage en embrassant le ministre. «Que va-t-il arriver? Vous partez, j'en suis sûr, brouillé avec le cardinal Fesch. Il veut jouir seul de sa situation. Il n'a pas adressé la parole à Monsieur une seule fois, ajouta-t-il en me regardant (cela étoit vrai). Nous ne pourrons plus confier si sûrement nos autres affaires d'Europe, de Russie, d'Autriche, sur lesquelles nous causions avec vous en toute satisfaction. >>

Le jour du départ de M. Cacault étoit connu. Plus de trois cents Français, des Romains attachés à sa personne, des membres du corps diplomatique, les gentilshommes des cardinaux, un cameriere secret du Pape, envoyé exprès, les pauvres du ministre (ceux à qui il faisoit habituellement des aumônes), avoient rempli les appartemens, les escaliers et les cours. Il n'y eut jamais un départ accompagné de plus de larmes, de marques d'attendrissement et de respect; les derniers mots du ministre furent ceux-ci : «< Adieu, messieurs, si vous avez voulu voir un Breton pleurer, vous êtes satisfaits.»>

CHAPITRE XXXIII.

ENTRÉE EN FONCTIONS DU NOUVEAU MINISTRE, PACCANARI. Projet db négociation de la bavière. Réponse AUX LETTRES DE RAPPEL DE M. CACAULT. NOTE DU CARDINAL CAPRARA SUR LES ARTICLES ORGANIQUES, LES TABLEAUX DE M. CACAULT SONT CAPTURÉS PAR LES ANGLAIS, SUITES DE LA DÉCLARATION DE BONNE PRISE.

ROME va entrer dans d'autres relations. Les chevaux nous emportoient rapidement vers la Toscane, le 20 juillet. Le même jour, 20 juillet, le cardinal Fesch écrit à M. de Talleyrand.

Le cardinal Fesch est vivant; j'éprouve le regret de l'affliger; mais ce qui peut lui être douloureux s'effacera bientôt, quand je devrai parler de sa conduite sage, régulière et digne des plus grands éloges, et j'aurois à me reprocher de ne pas dire la vérité pour des fautes, puisque j'aurai à célébrer hautement des vertus. Les fautes étoient comme une nécessité à cette époque, où le gouvernement français commençoit à vouloir être flatté, servi, même avec aigreur, et averti du passage d'une souris (expression devenue historique, qui s'accordoit bien mal avec cette leçon si spirituelle :«< Ayez du tact. ») Je prie donc les personnes qui sur de premières impressions jugeroient sévèrement le cardinal Fesch, d'attendre les circonstances où je saurai prouver tout ce que sa tenue eut de noble et de vraiment religieux. N'est

ce pas d'ailleurs toujours sur les dernières actions des hommes que le moraliste prononce l'opinion définitive qui doit les accompagner dans la postérité ?

Le 20 juillet, M. le cardinal Fesch écrit à M. de Talleyrand:

« Je crois devoir rendre compte, citoyen ministre, d'une conspiration qui se tramoit dans la république italienne et dans les Etats du Saint Siége, et des mesures qui ont été prises pour en arrêter le progrès. »

Malheureux M. Cacault, vous étiez si clairvoyant, si beau diseur, et il y avoit une conspiration dans les Etats du Saint Siége! et vous ne la connoissiez pas! A quoi vous servoit tant de sagacité?

On conçoit que si le secret de l'attaque tentée contre M. Cacault, secret qui fut si bien gardé par le Pape, le cardinal Consalvi, un soldat, le gouverneur de Rome, M. Cacault, moi, le facinoroso et ses mandataires étoit parvenu à la connoissance de M. le cardinal Fesch, il en eût fait part au gouvernement français, pour qu'il demandât à l'ancien ministre les raisons de son silence, qu'il n'auroit jamais refusé d'articuler; on conçoit que des détails indifférens aient pu échapper à celui qui venoit de partir préoccupé de tant de bénédictions, et qu'au milieu de tant d'amour et de suffrages, il eût oublié de veiller une nuit, et qu'alors on eût tenu dans quelque coin de la péninsule un pro

pos imprudent: mais une conspiration, il n'en avoit pas existé; elle étoit le rêve de quelques intrigans repoussés par le dernier ministre et accueillis par le nouveau. Sous un prétexte frivole, Buonaparte va se livrer à des fureurs. Qui l'aura excité à cette colère? S'il y a lieu de croire que souvent il a été trompé, il ne faut pas balancer à l'excuser, même aux dépens de quelques membres de sa famille qui auroient commis des er

reurs.

Il y avoit alors à Rome, auprès de l'archiduchesse Marianne, sœur de l'empereur, un homme méchant, pervers, corrompu, coupable de crimes qu'on ne peut révéler; un de ces êtres sans frein, auxquels il semble que la loi ne devroit accorder aucune protection, s'il étoit possible que la loi ne fût pas obligée de protéger tous les hommes. Paccanari, à qui je refuserai le titre qui pourroit faire croire qu'il appartenoit à un ordre religieux, trouva un moyen de tromper le cardinal Fesch; et par un émissaire obscur, d'autres disent par le canal d'une autorité élevée, dont le cardinal ne sut pas et ne put pas découvrir la duplicité ou l'imprudence, il fit parvenir à son Eminence des avis dont elle ne connut pas la source impure.

En conséquence le cardinal adressa cette lettre à M. de Talleyrand :

་་

« M. de Sabran, ancien évêque de Laon, tient à Vienne des propos injurieux, et déclame avec violence contre le

nouvel état de la religion. L'archiduchesse Marianne a écrit à Varsovie, à la fille de Louis XVI, et a jugé à propos de lui représenter qu'il ne devoit plus être question pour cux que de se soumettre aux décrets de la Providence; qu'ils devoient, comme chrétiens et comme Français, remercier le ciel du miracle du retour de la religion en France; qu'ils s'attiroient de justes reproches en soutenant le parti des évêques non démissionnaires. L'archiduchesse termine sa lettre à sa cousine, en la priant de se servir de toute l'influence de sa piété et de sa vertu, pour engager son oncle à rejeter un système de petites intrigues aussi contraires à la gloire de la religion qu'à son propre honneur. La fille de Louis XVI a répondu à l'archiduchesse que tout étoit nouveau pour elle dans la lettre qu'elle lui avoit écrite; que depuis long-temps elle entendoit blâmer comme une défection le parti qu'avoient adopté les évêques démissionnaires ; qu'elle ne savoit plus à quoi s'en tenir (ici la citation de la réponse de la fille de Louis XVI est interrompue, et le cardinal continue). Il est aisé de conclure, citoyen ministre, qu'on se serviroit encore volontiers contre nous d'une arme qui a fait tant de mal à la France. Vous apprécierez le motif qui m'a déterminé à vous donner communication de ce qui s'est passé à Vienne et à Varsovie. »

Les nouveaux venus dans une légation veulent faire autrement que le prédécesseur, et si le prédécesseur, jusqu'à un certain point, faisoit toujours bien, le successeur risque de faire quelque chose de mal. Ici les habitudes diplomatiques, celles surtout qui portent à ne pas se mêler trop vivement des affaires de la résidence d'un autre ambassadeur, sont évidemment blessées. L'ambassadeur du premier consul à Vienne se trouvoit compromis s'il ne rendoit pas compte

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