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voient les blesser, et il envoya une note que le cardinal devoit remettre à Consalvi.

Le ministre de Sa Majesté l'empereur de Russie avance que Vernègues étant émigré, n'est plus Français ; que la France l'ayant délié de ses devoirs de Français n'a plus de droits sur lui, et que Sa Majesté l'empereur de Russie a celui de le reconnoître pour Russe. Cette théorie et les faits sur lesquels elle s'établit manquent absolument d'exactitude. Les lois de la France ont pu considérer les prévenus d'émigration comme morts civilement, mais tant que l'émigration n'a pas été constatée par une inscription définitivement maintenue, cette mort civile n'est ellemême qu'une présomption morale, qu'une suspension de droit civil, et l'existence politique des émigrés ne peut elle-même cesser que par la perte irrévocable de toute perspective de réintégration. Les émigrés sont des hommes qui ont porté les armes contre leur patrie. Ceux qui ne sont pas soumis sont des contumaces, des exilés qui portent le poids de leur faute. S'ils en sentent le repentir, ils sont en instance de pardon. S'ils persistent dans leur conduite coupable et hostile, la France les regarde comme des Français rebelles, mais il n'est pas vrai de dire qu'elle ne les regarde pas comme des Français.

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Depuis le renouvellement de la guerre, l'Angleterre a pris à son service les restes de l'émigration. Elle donne aux émigrés des agences, des uniformes, une solde. Les agens les plus capables d'intrigues, elle les envoie partout où elle peut espérer de nuire à la France : elle réunissoit les autres à Offenbourg, à Molsheim, à Fribourg. La France a obtenu leur dispersion, et l'Angleterre s'est bien gardée d'en faire un sujet de plainte auprès des princes de l'empire germanique. Comment arrive-t-il que la Russie montre à protéger des Français révoltés plus d'ardeur que n'en a montré la cour de Londres elle-mème?

Il y a une différence entre les agens anglais, et les agens émigrés. Les Anglais étrangers aux mœurs, aux habitudes françaises, sans liaisons personnelles dans l'intérieur, ne connoissant ni les lieux, ni les hommes, n'ayant pour ainsi dire que par emprunt l'esprit de faction française, et ne pouvant ressentir contre la France les passions et l'irascibilité qu'il inspire, ne sauroient être du même danger pour le repos de la France. >>

La mort du duc d'Enghien avoit effrayé plus que jamais le Saint Siége. L'extradition de M. de Vernègues fut permise. Mais à Paris, sur cette dernière question, on ne vouloit que ne pas céder des ordres étoient donnés : pour que les moyens de s'échapper fussent fournis au captif. Ils arrivèrent trop tard; il fut consigné entre les mains du commandant de Rimini, et ensuite il obtint sa liberté (1).

(1) Ce fut à l'époque de l'assassinat de M. le duc d'Enghien que M. de Chateaubriand donna sa démission de l'emploi de chargé d'affaires à Sion. Nous étions alors tous les deux à Paris. Il me fit l'amitié de venir me voir pour me communiquer cette démarche qui étoit encore secrète, en ajoutant que puisque j'avois perdu ma place à l'occasion de sa nomination à Rome, il avertissoit, pour que mes amis me fissent nommer à Sion; on répondit à mes amis que si j'étois employé, je serois envoyé dans une grande cour. La communication de M. de Chateaubriand n'en fut pas moins aussi noble que délicate. Cette courageuse démission devant un tel chef de gouvernement, a été le seul acte public de résistance et de protestation que la France ait pu alors admirer.

CHAPITRE XXXV.

LE PREMIER CONSUL SE FAIT DÉCLARER EMPEREUR. IL INVITE LE PAPE A VENIR LE SACRER ET LE COURONNER. LETTRE DU CARDINAL FESCH A L'EMPEreur sur leS NÉGOCIATIONS A CE SUJET. CONDITIONS EXIGÉES PAR LE PAPE AVANT De consenTIR A VENIR EN FRANCE.

UN immense projet, une pensée gigantesque, et un mouvement d'ambition colossale, fortifiés par toutes les complaisances de l'Europe, par les habitudes du généralat et de la souveraineté, par la proposition de l'Angleterre elle-même, qui avoit parlé de reconnoître dans Buonaparte le titre de roi, pendant les négociations d'Amiens, s'il souscrivoit à des conditions du reste assez humiliantes; ces différentes circonstances avoient fait naître dans le premier consul l'idée de fonder un trône impérial en France. Le 18 mai, les Sénateurs déclaroient Buonaparte Empereur. Huit jours auparavant il avoit fait écrire au cardinal Caprara pour inviter Sa Sainteté à venir le sacrer et le couronner. Il étoit reconnu que le cardinal Fesch n'avoit été envoyé à Rome que pour y être établi le confident de ce projet (on craignoit que ce qu'il y avoit de hardi et d'indisciplinable dans M. Cacault,

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ne se prêtât pas facilementà une telle négociation); le cardinal Fesch se disposoit à porter des paroles décisives, après n'avoir agi que confidentiellement. Le Pontife, à cette nouvelle, tomba dans un grand abattement, et il se résolut à demander conseil aux cardinaux.

Consalvi comprit bien vite qu'il étoit dès ce moment entraîné par un torrent impétueux; qu'il ne s'agissoit plus de l'intérêt de la religion; qu'il ne suffisoit plus d'abonder dans les demimots du cardinal Fesch, qu'il falloit épouser la cause d'un guerrier livré aux illusions de la gloire; qu'il n'étoit plus permis de regretter les anciens souverains de la France, et que la barque de saint Pierre, jetée dans la haute mer, pouvoit être menacée d'un prochain naufrage. Cette affaire ne fut confiée par le cardinal Fesch à aucun subalterne; on cacha même une partie de la négociation à M. de Talleyrand, et le cardinal oncle, ne mettant aucun intermédiaire entre lui et son neveu, lui adressa la lettre suivante, le 10 juin. Son Eminence l'écrivit de sa propre main

SIRE,

« Votre Majesté Impériale connoît les premières démarches que je fis pour persuader à Sa Sainteté de se décider promptement à donner une réponse favorable au cardinal légat sur le voyage à Paris: depuis cette époque, je n'ai cessé d'agir confidentiellement avec le sécrétaire-d'Etat,

de répondre, et d'applanir les difficultés qu'on se faisoit, et si j'eusse été autorisé à traiter l'affaire, je serois sans doute parvenu à une solution désirable et prompte, et je n'aurois pas donné lieu à des délais qui engendrent des incertitudes, qui s'affermissent par des incidens, dont on auroit pu s'inquiéter, mais qu'on auroit été intéressé à décliner par la parole donnée.

D'ailleurs, au lieu des conférences et des raisonnemens, sans un mot d'écriture de ma part, j'aurois réduit par des notes l'état de la question, et il auroit été facile de tout simplifier particulièrement, ayant toujours trouvé le secrétaire-d'Etat convaincu de mes principes, et ne demandant qu'à faire sentir la vérité et la force de ines réponses.

» Néanmoins l'affaire est en bon train, et j'ai lieu de croire qu'on se décidera immédiatement après la réponse que Votre Majesté Impériale fera faire à cette dépêche, à répondre favorablement au cardinal légat, si elle veut bien m'autoriser à donner par note officielle aux deux difficultés sur le serment prescrit par le sénatus-consulte à l'empereur, les explications détaillées à la fin du mémoire que j'ai l'honneur de lui adresser, et si elle veut adhérer aux conditions exigées par Sa Sainteté, que j'insère dans le corps dudit mémoire. Oui, j'espère et je crois qu'après cette autorisation, Sa Sainteté prendra sur elle de faire entendre raison à ceux qui s'aveuglent encore, particulièrement lorsqu'elle leur dira qu'elle est assurée que son voyage en Francesera utile au bien spirituel des fidèles.

>>>Je dois assurer à Votre Majesté Impériale, que les cardinaux qui ont été séparément consultés, et sans se connoître entre eux, sous le secret naturel de la confession et du saint office, l'ont religieusement tenu, et que dans Rome on ne se doute pas de ce dont il s'agit.

» Pour mettre Votre Majesté Impériale au fait, j'ai l'honneur de joindre ici un mémoire très-détaillé et très

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