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CHAPITRE XXXIX.

LE SAINT PÈRE ARRIVE A PARIS. DISCOURS DES PRÉSIDENS DU SÉNAT, DU CORPS LÉGISLATIF ET DU TRIBUNAT. DÉCLARATION FALLACIEUSE DE M. LECOZ REMISE PAR L'EMPEREUR AU PAPE. RÉPONSE DE PIE VII.

LE Saint Père arriva à Paris le 28 novembre. Le 30, une députation de vingt-cinq membres du sénat fut présentée à Sa Sainteté. M. François de Neufchâteau, président, lui adressa un discours dont nous allons offrir un extrait :

TRES-SAINT PÈRE,

« Le sacre des princes chrétiens a commencé dans notre Europe par les monarques de la France, à l'imitation de l'usage suivi jadis chez les Hébreux. Dans l'ancienne loi, cette cérémonie fut d'institution divine; sous la nouvelle loi, elle n'est pas précisément une obligation des princes, mais les Français y ont toujours attaché beaucoup d'importance; ils ont toujours aimé que leurs simples actes civils fussent sanctifiés par la religion, pour ajouter encore au frein public des lois, le frein secret des consciences. A plus forte raison devoient-ils désirer que leurs grands contrats politiques fussent revêtus avec pompe de cette garantie qui grave dans le ciel ce qui est écrit sur la terre. Dans cette époque remarquable où Votre Sainteté a bien

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voulu venir sacrer elle-même le chef de la nouvelle dynastie, cette démarche leur rendra plus vénérable encore la Majesté Impériale, comme elle leur rendra plus chère l'autorité religieuse du souverain Pontife. La France méritoit sans doute cette faveur particulière; son Église est la Fille aînée de l'Église romaine.

M. François de Neufchâteau parla ensuite du deux cent cinquante-troisième successeur de saint Pierre. Le Pape sourit parce qu'il y avoit là une petite erreur, bien légère il est vrai, car on lui avoit assez dit, en Italie, qu'il étoit le deux cent cinquante-quatrième successeur du prince des apôtres. La réponse de Sa Sainteté fut très-courte, mais remplie d'aménité, de paroles obligeantes pour la France, et de louanges pour la piété de la Fille aînée de l'Eglise ro

maine.

Le président du corps-législatif, le plus grand orateur de la France, M. de Fontanes, l'homme qui écrivoit dans notre langue avec le plus de pureté, et qui eût pu donner quelques avis à M. François de Neufchâteau, M. de Fontanes, le conseiller courageux à qui Napoléon avoit dit «Il n'y a que vous ici qui ayez le sens commun, >> devoit aussi haranguer le Pape. Il est toujours agréable de rencontrer un discours de M. de Fontanes, et de retrouver pour son instruction et pour son plaisir, cette délicatesse de langage, cette clarté d'expressions, cette régularité de méthode, ce choix de

mots harmonieux si heureusement mis à leur place, qui sont propres au talent de ce grand écrivain, le premier prophète littéraire qui annonça la gloire du règne de M. de Chateaubriand.

Le Saint Père avoit été averti de la réputation de l'orateur, et il lui adressa lui-même quelques complimens avant de l'entendre, puis le considéra tranquillement, de ce regard céleste que M. de Pradt a peint avec tant de grâce et de vérité.

M. de Fontanes abaissa un moment ses yeux, et il parla ainsi :

TRES-SAINT PÈRE,

« Quand le vainqueur de Marengo conçut au milieu du champ de bataille le dessein de rétablir l'unité religieuse, et de rendre aux Français leur culte antique (voilà la vẻrité en style de Bossuet, et ici on ne répudie pas une gloire due à Buonaparte), il préserva d'une ruine entière les principes de la civilisation : cette grande pensée survenue dans un jour de victoire, enfanta le concordat, et le corps législatif, dont j'ai l'honneur d'être l'organe auprès de Votre Sainteté, convertit le concordat en loi nationale.

» Jour mémorable, également cher à la sagesse de l'homme d'État, et à la foi du chrétien! C'est alors que la France abjurant de trop grandes errreurs donna les plus utiles leçons au genre humain. Elle sembla reconnoître devant lui que toutes les pensées irréligieuses sont des pensées impolitiques, et que tout attentat contre le christianisme est un attentat contre la société. Le retour de l'ancien culte prépara bientôt celui d'un gouvernement

plus naturel aux grands États, et plus conforme aux habitudes de la France. Tout le système social, ébranlé par les opinions inconstantes de l'homme, s'appuya de nouveau sur une doctrine immuable comme Dieu même. C'est la religion qui poliçoit autrefois les contrées sauvages; mais il étoit plus difficile aujourd'hui de réparer leurs ruines, que de fonder leur berceau. Nous devons ce bienfait à un double prodige. La France a vu naître un de ces hommes extraordinaires qui sont envoyés de loin en loin au secours des empires (1) prêts à tomber, tandis que Rome a vu briller sur le trône de Saint-Pierre les vertus apostoliques du premier âge. Leur douce autorité se fait sentir à tous les cœurs. Des hommages universels doivent suivre un Pontife aussi sage que pieux, qui sait à la fois tout ce qu'il faut laisser au cours des affaires humaines, et tout ce qu'exigent les intérêts de la religion. Cette religion auguste vient consacrer avec lui les nouvelles destinées de l'empire français, et prend le même appareil qu'au siècle des Clovis et des Pepin.

>>Tout a changé autour d'elle; seule, elle n'a pas changé.

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Elle voit finir les familles de rois comme celles des sujets : mais sur les débris des trônes qui s'écroulent, ẹt sur les degrés des trônes qui s'élèvent, elle admire toujours la manifestation des desseins éternels, et leur obéit toujours. Jamais l'univers n'eut un plus imposant spectacle. Jamais les peuples n'ont reçu de plus grandes instructions. Ce n'est plus le temps où le sacerdoce et l'empire étoient rivaux. Tous les deux se donnent la main pour repousser les doctrines funestes qui ont menacé l'Europe d'une subversion totale puissent-elles céder pour jamais à la dou

(1) Les papiers publics ont fait faire ici à M. de Fontanes une faute qu'il n'a pas commise; ils lui font dire : « qui sont envoyés, » et plus bas: «qui sont prêts.» La répétition inutile de ces deux qui, dans un rapport différent, dépare la phrase. La véritable rédaction est celle que je donne ici.

ble influence de la religion et de la politique réunies! Ce vœu sans doute ne sera pas trompé. Jamais en France la politique n'eut tant de génie, et jamais le trône pontifical n'offrit au monde chrétien un modèle plus respectable et plus touchant. »

Quelques mots simples et plus significatifs, partis du cœur de celui qui devoit composer de beaux vers sur la captivité de Pie VII, furent ajoutés; mais on empêcha de les publier. La réponse du Pape ne porta que sur ces derniers mots qui l'avoient attendri, et l'on vit qu'il bénissoit M. de Fontanes avec un mouvement de sensibilité plus recueilli.

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La scène va changer. Le même jour une députation de dix-huit tribuns fut présentée à Sa Sainteté. On redoutoit des paradoxes, des souvenirs politiques de Rome ancienne, peut-être le tribun Colà di Rienzo et le bon Etat. On étoit dans une grave erreur. Le président, M. Fabre de l'Aude, prononça un discours qui devoit produire et qui produisit sur l'esprit du Saint Père une impression singulièrement agréable. Dans le temps on attribua les données sur lesquelles ce discours avoit été composé au sénateur Cacault, à un employé dans la légation du cardinal Caprara, et à M. Duveyrier, membre du tribunat. Quelle que soit la personne qui ait eu l'heureuse pensée de réunir les faits qui sont énumérés dans ce peu de paroles en l'honneur de Pie VII, cette personne mérite des remerciemens et des éloges.

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