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s'approchèrent toujours davantage, et répétoient en sautant ces mêmes paroles, « Vive la liberté! courage, je suis votre général. » Mais les soldats se virent très-exposés pour avoir trop laissé approcher les Français, ainsi que cette multitude armée; un d'eux touchoit de son sabre la baïonnette du caporal Marinelli. Ce caporal, après les avoir plusieurs fois invités à mettre bas les armes, voyant que ceux-ci approchoient davantage leurs sabres des fusils, fit faire feu, et en renversa quelques-uns, du nombre desquels étoit celui qui le menaçoit du sabre. Ils se retirèrent alors, et le tumulte cessa pour le moment. Le caporal n'avoit pas quitté son poste, et peu de temps après, une autre troupe du peuple ayant fait feu, le caporal fut contraint de poursuivre son feu. Repoussé par le grand nombre, il fut obligé ensuite de se replier sur la place de la caserne, auprès desdits seigneurs officiers, ayant laissé d'autres soldats apaiser les nouveaux troubles, survenus dans les places voisines et dans les petites rues de Transtevere. Il en sortit un Transtévérin avec un bâton; il voulut forcer la sentinelle à jeter la cocarde du Pape, et à prendre la cocarde nationale, qu'il tenoit en ses mains. Menacé et repoussé par ladite sentinelle, il se jetta sur elle pour la tuer. La sentinelle fit alors feu sur lui, et le renversa mort du coup. »

pour

Le Français frappé par le caporal Marinelli étoit le général Duphot. Un autre Français, qui se trouvoit près de lui le reçut dans ses bras, et aida à le transporter, au palais Corsini. Le général Duphot venoit d'arriver à Rome, disoit-on, pour épouser une des jeunes sœurs de Joseph Buonaparte, la même qui après avoir été unie au général Leclerc, mort à Saint-Domingue, frappé de la contagion, est devenue princesse Borghèse. Ainsi le général Duphot a péri

dans une émeute qu'il suscitoit lui-même contre l'autorité reconnue.

Que fit alors le gouvernement pontifical? Le cardinal Joseph Doria, dont on attendoit une conduite digne et ferme, au lieu de déclarer la surprise qu'éprouvoit le saint Père de savoir qu'un rassemblement de ses sujets étoit réuni chez un ambassadeur étranger à qui personne ne vouloit faire insulte; au lieu de manifester la douleur ressentie par Sa Sainteté en apprenant qu'il étoit résulté de cette violation du droit des gens, un malheur déplorable, la mort d'un général français; le foible cardinal accourut au palais, fit d'humbles démarches, se confondit en excuses, accepta tout ce que la situation du gouvernement pontifical avoit de pénible, et ne dit pas une seule parole des manquemens qui avoient amené de si fatales circonstances. Il y avoit un autre langage à tenir de la part du ministre d'un souverain qui n'étoit pas l'agresseur. D'abord le ministre auroit dû prendre des mesures sérieuses pour conserver la tranquillité dans la capitale. Ensuite le caporal avoit tiré sur un homme menaçant, armé, sans mission, qui alloit le frapper. Plus de deux cents personnes s'étoient élancées contre peu de soldats. Mais voici un autre sujet d'étonnement! Joseph Buonaparte et ceux qui l'entouroient ne voulurent rien entendre des excuses du cardinal, et ils demandèrent des passeports. L'ambassadeur arriva à

Florence auprès de M. Cacault, par qui il avoit été souvent prévenu du danger de réunir auprès de lui des hommes qui ne demandoient qu'un tel éclat.

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CHAPITRE III.

LE GÉNÉRAL BERTHIER MARCHE SUR ROME. LE DIRECTOIRE EST LE MOTEUR DE LA CONSPIRATION TRAMÉE CONTRE LE PAPE. LA RÉPUBLIQUE ROMAINE PROCLAMÉE. PIE VI ENLEVÉ DE ROME ET CONDUIT A SIENNE, PUIS A LA CHARTREUSE DE

FLORENCE.

Au milieu de ces désastres et des récriminations du directoire, on remarqua que le général Buonaparte s'abstint de marcher à la tête de son armée : le général Berthier eut ordre de s'avancer avec une division sur la ville de Rome, pour en prendre possession. La vengeance ne fut si tôt préparée, que parce que tout avoit été tenté de la part des révolutionnaires Français, pour la rendre nécessaire. Les premières instructions à Berthier concernant l'occupation de Rome, portoient qu'il expédieroit une lettre de crédit de 108,000 livres au général Bernadotte à Naples. Les paroles de ce militaire ministre devoient être des menaces, si M. Acton se mêloit des affaires de Rome. Quant à Berthier, on lui traçoit sa conduite en

ces termes :

« Voici un horrible et inconcevable événement qui vient de se passer à Rome; mais vous êtes chargé du soin de venger cet attentat, ainsi nous sommes tranquilles : France et Prudence viennent à bout de tout. »>

D'autres ordres arrivèrent en même temps..

« Le directoire exécutif, citoyen général, n'a vu qu'avec la plus vive indignation la conduite qu'a tenue la cour de Rome envers l'ambassadeur de la république française. Les meurtriers du brave général Duphot ne resteront pas impunis; l'intention du directoire est que vous marchiez sur-le-champ sur Rome, dans le plus grand secret. »

Ici se trouve un ordre d'étapes rédigé avec une grande clarté, et des détails militaires fort étendus.

« Vous vous trouverez ainsi avoir à Ancône plus de trente mille hommes: la célérité dans votre marche est de la plus grande importance, elle peut seule assurer le succès de l'opération. Dès l'instant que vous aurez assez de troupes à Ancône, vous les mettrez en marche. Vous ne ferez paroître votre manifeste contre le Pape, que lorsque vos troupes seront à Macérata. Vous direz en peu de mots que la seule raison qui vous fait marcher à Rome est la nécessité de punir les assassins du général Duphot, et ceux qui ont osé méconnoître le respect qu'ils doivent à l'ambassadeur de France.

» Le roi de Naples ne manquera pas de vous envoyer un de ses ministres, auquel vous direz que le directoire exécutif n'est conduit par aucune vue d'ambition; que, d'ailleurs, si la république française a été assez généreuse pour s'arrêter à Tolentino, lorsqu'elle avoit des raisons de plaintes contre Kome, il ne seroit pas impossible que, si le Pape donne la satisfaction qui contente le gouvernement, cette affaire pût s'arranger.

>>

Tout en tenant ces propos, vous cheminerez à marches forcées. L'art ici consiste à gagner quelques marches, de sorte que lorsque le roi de Naples s'apercevra que votre projet est d'arriver à Rome, il ne soit plus à temps de vous

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