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thier, qui ne gardoit pas le secret qu'on lui avoit confié, la permission de faire disposer un drapeau destiné à être placé sur le Capitole. Ces Romains choisirent d'eux-mêmes les couleurs noire, blanche et rouge, qui, en effet, devinrent celles de la nouvelle république romaine.

Berthier arrive la nuit près de Monte Mario, où campèrent toutes les armées qui avoient assiégé Rome, et particulièrement celle du duc Charles de Bourbon, en 1527, année de si funeste mémoire. Berthier ordonne que chaque soldat allume deux feux, et qu'on se disperse sur tout le revers de la montagne qui regarde la ville. Sa première dépêche à Buonaparte porte que l'armée n'a trouvé, dans ce pays, que la plus profonde consternation, et pas une lueur d'esprit d'indépendance; qu'un seul patriote est venu se présenter à lui, et lui a offert de mettre en liberté 2,000 galériens; qu'aussi, il n'a pas accueilli sa proposition. Il ajoute que les opérations militaires sont inutiles, qu'on n'a besoin que de négociateurs, et qu'il juge sa présence superflue.

Mais les hommes qui devoient être mis en mouvement par Communeau et Jorry s'agitoient dans la ville. Voici ce que Berthier écrit, le 29 pluviose (17 février 1798) au général Buonaparte.

« Ce sont vos victoires, citoyen général, qui ont donné à l'armée française les moyens de marcher à Rome, pour y venger sur son gouvernement l'assassinat du brave général

Duphot: l'armée française s'est montrée, et Rome est libre. » Le 27, le peuple de cette immense capitale réuni, a déclaré son indépendance et a repris ses droits. Une députation m'a porté son vœu, et je suis entré dans Rome, où, parvenu au Capitole, j'ai reconnu la république romaine indépendante, au nom de la république française. Arrivé à la porte dite du Peuple, des députés nous ont présenté une couronne au nom du peuple Romain. Je leur ai dit, en l'acceptant, qu'elle appartenoit au général Buonaparte, dont les exploits avoient préparé la liberté romaine; que je la recevois pour lui, que je la lui enverrois au nom du peuple de cette capitale. Je charge mon frère; citoyen général, de vous la remettre. C'est à vous que je dois le moment heureux qui m'a mis à même de proclamer la liberté ro

maine.

>> Recevez ici les assurances de mon éternelle reconnois

sance. >>

Signé, Al. BERTHIER.

L'infortuné souverain, qui eût pu éviter un sort déplorable en prenant la route de Naples, fut déclaré prisonnier. On dit ensuite, avec une ignoble ironie, que puisqu'il avoit aimé les voyages, il falloit satisfaire son penchant. Il prioit avec une douceur touchante qu'on le laissât mourir à Rome. « Vous mourrez partout, «<lui répondit le calviniste Haller. » Par ordre du directoire, le Pape, d'abord captif dans ses appartemens, fut dépouillé de ses bagues, même de l'anneau pontifical, et reçut l'ordre de se préparer à quitter Rome.

Une tempête obscurcissoit encore la nuit : néanmoins il est jeté dans une voiture, à quatre

heures du matin, le 20 février, et conduit sur la place qui précède la porte Angélique. Ses battans roulèrent sur leurs gonds, mais ils ne s'entr'ouvrirent que pour l'espace absolument nécessaire au passage de la voiture. Hors des portes, le Pontife rencontra une foule de ses sujets, qui lui donnèrent courageusement des témoignages de leur amour et de leur vénération.

Le gouvernement français avoit écrit à son général, il y avoit quelque temps: « Vous ferez » chanceler la tiare au prétendu chef de l'Église >> universelle. » L'heure étoit venue où on devoit lui arracher le trirègne. A Sienne, le Prince de Rome étoit encore trop près de sa capitale; on le conduisit à la Chartreuse de Florence. Là il eut la consolation de recevoir les hommages et les condoléances du roi de Sardaigne, Charles Emmanuel IV, et de la reine Clotilde de France, sœur de Louis XVI, expulsés de leurs états du continent. Le jour où ces souverains partirent pour Cagliari, la reine Clotilde se mit à genoux et pria le Pape d'accepter un anneau d'un grand prix: le Pontife l'ayant placé à son doigt promit que, s'il le pouvoit, il le porteroit toute sa vie.

CHAPITRE IV.

TROUBLES ET CONFUSION A IMOLA. LE CARDINAL PUBLIE UNE HOMÉLIE. ANALYSE DE CETTE HOMÉLIE. CONSTITUTION ROMAINE. PIE VI TRANSFÉRÉ A VALENCE. SA MORT.

CEPENDANT la terreur s'étoit emparée de tout l'État Pontifical. Elle s'étoit répandue même dans les Légations, quoiqu'une partie des révolutions qu'elles avoient à craindre eût déjà été consommée. Un des sujets de Pie VI, qui avoit appris avec le plus de saisissement les événemens de Rome, étoit le cardinal Chiaramonti. Il voyoit de plus près qu'un autre le système de spoliation qu'on alloit organiser. Villetard avoit fait séquestrer les objets laissés à Lorette par le général Colli, et qui se montoient à une valeur de 800,000 fr. Le cardinal savoit avec quel mépris on parloit ensuite de la statue en bois, de trois soucoupes de faïence, et d'un morceau d'étoffe rouge, qui faisoient, selon Villetard, la partie la plus précieuse de la Sainte Chapelle(1).

Toute la ville d'Imola, dans la confusion, demandoit une règle de conduite au cardinal. Ce fut à cette époque qu'il publia l'homélie qu'on lui a tant reprochée, et qui porte la date du jour de Noël, parce qu'elle fut antidatée de dix jours.

(1) Lettre de Villetard. Lorette, 28 pluviose.

Il est évident que le cardinal Chiaramonti en a composé une grande partie; il est sûr aussi que des passages tout-à-fait inutiles, mais attestant l'effroi de ceux qui entouroient Son Eminence, y furent ajoutés : ce sont ces passages qui depuis ont été le texte de toutes sortes d'accusations contre le cardinal. On observera encore que personne ne parla de cette homélie jusqu'à l'époque du conclave, en 1800. En effet elle devenoit une pièce plus importante après l'avénement du signataire au trône pontifical.

Si les coopérateurs du cardinal-évêque, que trompoit souvent sa modestie, si beaucoup d'habitans paisibles éprouvoient un sentiment de frayeur hors de toute mesure, le fidèle peuple des campagnes de l'évêché d'Imola, se souvenant des scènes de Lugo, vouloit les recommencer. L'autorité ecclésiastique pensa qu'il falloit empêcher une émeute, et que, Rome elle-même et le chef de l'Église allant être attaqués par un ennemi qui n'avoit plus de rivaux en Italie, il convenoit de ne pas encourager une insurrection qui n'amèneroit, sans aider l'infortuné Pontife, que des maux, des pillages, et des dévastations, cortège impitoyable de la guerre. L'homélie fut donc dictée à Imola par la peur des uns, contre le courage des autres.

Le motif étoit raisonnable; mais il est possible apparemment de faire mal une bonne chose. Quoi qu'il en soit, un avertissement reli

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