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nelles seront à jamais abolies et sans rachat. Le duc d'Aiguillon seconde cet avis avec chaleur, et enchérit encore sur des propositions tranchantes. Un député de la Bretagne retrace toutes les horreurs de l'antique féodalité, fait considérer comme des usages encore existans, tout ce qui existe dans de vieux titres, parle d'hommes attelés à des charrettes, de l'impudique droit du seigneur, et des étangs battus par les vassaux pour procurer à des seigneurs voluptueux le plaisir d'entendre la musique des grenouilles. Tous ces discours semblaient faits pour irriter et désespérer ceux que l'on poursuivait sous la dénomination funeste d'aristocrates. Ceux-ci gardaient le silence; leur contenance était fière, mais paisible. Enfin, l'un d'eux, le marquis de Foucault, demande la parole. « A-t-on pensé, dit-il, faire un vain appel à notre générosité? » C'est sur nous principalement que vont porter les sacrifices par lesquels on veut › ramener l'ordre dans le royaume. Eh bien! » il faut qu'on sache que nul de nous ne prétend s'y refuser. Autant on est sûr de » trouver en nous une constance inflexible pour soutenir l'autorité royale ébranlée » dans ses fondemens, autant on est sûr de

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1789.

1789.

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»> nous voir courir au-devant des sacrifices qui nous seront personnels. Je demande » seulement que cette partie de la noblesse française, dont la fortune s'alimente, se » relève et s'accroît par les faveurs de la » cour, supporte la plus grande partie des charges qui vont nous être imposées. » Le duc de Mortemart et le duc de Guiche répondent à cette interpellation, et déclarent que toute la partie de la noblesse, désignée dans l'opinion précédente, s'estimera heureuse d'alléger le fardeau de ceux qui vivant dans une fière et honorable indépendance, participent peu aux bienfaits du roi,

Après cette déclaration, une fièvre de générosité, de désintéressement, se manifeste dans tout le côté droit. Chacun de ces députés semble craindre qu'on ne le laisse trop riche. Heureux celui qui peut inventer un nouveau sacrifice! Chacun vient avec joie porter son coup de coignée sur le vieux chêne féodal, et l'on remarque plus d'empressement à le frapper, dans ceux qu'il nourrit de ses derniers fruits, que dans ceux auxquels il nuit par une ombre funeste. Le duc de Guiche veut diminuer le prix demandé par les députés populaires pour le rachat des

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droits féodaux. Le duc du Châtelet demande 1789. que les dîmes en nature soient converties en rentes pécuniaires. A cette proposition, le clergé veut se signaler à son tour. Après une délibération un peu plus mûriè que les précédentes, les dîmes ecclésiastiques sont condamnées comme un impôt onéreux et mal assis; mais on veut bien pour cette fois, ou du moins pour cette nuit, se borner à les déclarer rachetables. M. de La Fare, évêque de Nancy, demande que le rachat des droits féodaux qui pourraient appartenir au clergé ne tourne pas au profit du seigneur ecclésiastique, mais qu'il soit employé pour les besoins de la partie la plus pauvre du clergé. A mesure qu'une proposition se forme, elle est convertie en décret.

Tout ce qui reste du système féodal est passé rapidement en revue. A peine la suppression du droit de chasse a-t-elle été réclamée, qu'un autre invoque celle du droit de pêche. M. le comte de Virieu, quoiqu'il fût doué d'un esprit sain et solide, proposa, sous la forme d'un madrigal, la suppression des colombiers. « Comme Catulle, dit-il, je » regrette de n'avoir à offrir en sacrifice » qu'un moineau. » Les garennes éprouvent

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1789. bientôt le sort des colombiers. Un magistrat parlementaire demande la suppression de la vénalité des charges. Les curés veulent qu'on les prive de leur casuel. Les riches bénéficiers déclarent qu'ils veulent se borner à un seul bénéfice.

Les sacrifices semblaient épuisés. La mémoire paraissait en défaut pour subvenir à tous les anciens griefs. Les députés des communes semblaient honteux de n'avoir rien à offrir en compensation de tant de sacrifices éclatans, lorsque l'un d'eux s'avise de demander la suppression des états particuliers des provinces. C'est un nouvel aliment fourni à l'ardeur des esprits. « Supprimons, dit un autre, les priviléges de communau»tés; supprimons les jurandes, les corpora>>tions d'arts et métiers. » On supprime, on s'enivre de joie. Les capitulations des provinces, les vieux restes de leur liberté, les monumens de courage de leurs pères, les priviléges que n'avait osé renverser le despotisme des Richelieu et des Louvois, et qui rendaient les Bretons, les Languedociens, les Bourguignons, les aînés de la liberté française, les habitudes des peuples, les distinctions chères à leur vanité; tout est offert en holocauste à l'égalité nouvelle. Si l'aube du jour n'avait

paru, on allait décréter l'affranchissement 1789. des nègres, proposé par quelques philantropes. M. de Lally termina la séance en próposant de donner à Louis XVI le titre de Restaurateur de la liberté française. On décréta, en outre, de faire chanter un Te deum, et de frapper une médaille pour consacrer le souvenir de tant de bienfaits. Telle fut cette nuit fameuse où se signalèrent à l'envi la générosité naturelle aux Français, et cette impétuosité qui les abandonne rarement, même dans leurs actes les plus graves. La grandeur et l'utilité des résultats la consacrent dans l'histoire; mais, pour qu'elle pût briller d'un véritable éclat, il aurait fallu que le parti populaire répondit plus souvent par des scrupules de justice à des offres d'une noblesse quelquefois irréfléchie; ce fût alors que la révolution aurait pris un nouveau cours, ou plutôt qu'elle se serait arrêtée. La nuit du 4 août, souvent désignée comme la nuit des dupes ou comme une orgie législative, laisse dans l'âme une tristesse involontaire, à peu près semblable à celle qu'on éprouve lorsque l'on voit un jeune homme étourdi, et cédant à l'effusion d'un bon cœur, prodiguer tous ses biens; tandis qu'un homme, trop habile à provoquer

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