d'avoir fait manquer toutes les combinaisons, car vous n'êtes qu'un peuple idiot, et le peuple est toujours peuple. Dès-lors la fierté aristocratique reprend le dessus; une froideur dédaigneuse est votre seule récompense, on ne vous reconnaît plus, on vous repousse, et pour vous punir de n'avoir pas réussi sous des chefs aussi augustes, vous entendez sortir de toutes les bouches cette sentence de réprobation:

Il y a des lignes de démarcation qu'on ne doit jamais laisser franchir, quand on se respecte.

Ne parlez donc plus de vos services, pauvres imbéciles, des dangers que vous avez courus, des pratiques ou des places que vous avez perdues par votre conduite. C'est un malheur sans doute, mais ils n'ont fait que leur devoir; telles sont les seules paroles de reconnaissance que vous entendez sortir de ces bouches ingrates, entendez-vous, bourgeois? ces cœurs secs. n'ont rien à vous donner, absolument rien à vous. envoyer que ces paroles stériles; et si, rentrés dans leurs salons, vous entendiez vos nobles bienfaiteurs s'exprimer sur votre compte, vous seriez suffoqués de douleur; car voilà la seule différence qu'ils établissent entre les jacobins et vous les premiers sont de la canaille révolutionnaire, et vous, vous êtes de la canaille bien pensante.

Nous venons de dire, il y a quelques instants, que l'amitié apparente que la noblesse du faubourg Saint

Germain portait aux bourgeois et aux ouvriers, se chan geait en sarcasme et signes de pitié, dès qu'on n'avait plus besoin de ces derniers. Ce peuple, que l'on qualifie parfois d'idiot, ne l'est pourtant pas assez pour ne pas jouer de fort vilains tours à ses prétendus maîtres, et l'attraper quelquefois complétement. Plusieurs fois des ouvrages ornés des attributs symboliques des légitimistes, comme des H enlacés avec des V ou entourés de fleurs-de-lys, ont été vendus en cachette et achetés à des prix quadruples de leur valeur, par ces bonnes ames qui ont toujours la larme à l'œil lorsqu'ils parlent de leur attachement à la véritable dynastie.

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Mais voici un fait qui se passe actuellement à Paris, et qui prouve à quel point les légitimistes, avec tout leur esprit, se laissent abuser. Des ouvriers, malins spéculateurs, viennent de construire, dans certain faubourg, un superbe secrétaire orné des emblêmes de Henri V, et sur la frise de ce meuble magnifique, on lit ces mots en gros caractères Les Ouvriers de Paris à Henri V. On fait connaître ce fait remarquable à tous les bien-pensants, auxquels on glisse mystérieusement l'adresse, puis ils sont menés avec mille précautions dans un endroit retiré, car croyant voir des espions partout, ils tremblent de frayeur à chaque nouvelle rencontre. Introduits dans une espèce de galetas, ils trouvent le trésor annoncé, le voient, l'admirent, l'embrassent; ils sont charmés de faire connaissance avec

l'auteur, jeune homme pâle, blond et modeste; ils l'accablent de louanges sur son mâle courage et sur l'audace qu'il a eu de confectionner un meuble à l'usage des exilés.

Les vieilles femmes légitimistes qui, faute d'autre chose, ont encore des larmes et de l'argent à dépenser, pleurent comme des veaux, et finissent, dans leur enthousiasme, par sauter au cou du jeune ébéniste, et l'étouffent de tendresse au nom de la légitimité, récompense dont il se serait au reste bien passé. Mais ceci n'est pas le plus plaisant de l'affaire, qui présente encore un côté plus ridicule : à côté ou au-dessous du secrétaire, se trouve une petite corbeille à ouvrage, dans laquelle on aperçoit des pièces de 5 francs et un peu de monnaie; c'est, dit-on en présentant la corbeille aux nobles visiteurs, c'est là qu'on recueille avec reconnaissance les dons faits au courage malheureux; l'obole donnée aux pauvres ouvriers recevra sa récompense dans le ciel ; et les curieux légitimistes sont si attendris ou stupéfaits de cette allocution inattendue, qu'ils donnent chacun un ou deux écus à l'auteur de cette comédie burlesque..... Peut-être demanderez-vous, lecteurs, pourquoi la police, qui est informée de cela, ne l'empêche pas. Pourquoi? la raison en est toute simple : les mystificateurs et les dupes ne sont jamais à craindre.

CHAPITRE VII.

Patriotisme des Légitimistes. Folies des jeunes Henriquinquistes. Diners. Bals.

Nous sommes fâché d'être obligé d'employer ici le mot patriotisme, parce qu'il a toujours été pris en mauvaise part par les légitimistes; mais nous ne trouvons pas d'autre expression pour rendre exactement notre pensée: on voudra donc bien regarder ce mot, lorsqu'il se trouvera dans cet écrit, comme n'ayant aucune acception révolutionnaire.

Le patriotisme des légitimistes peut se diviser en deux classes: dans l'une se trouvent les efforts faits par les jeunes gens, en paroles, en costumes et en folies, pour prouver leur attachement à la branche aînée des Bourbons; dans l'autre il faut enregistrer, sous la direction des gens âgés, les plans de conspirations, les lettres fulminantes insérées dans les journaux, les discours énergiques prononcés par les légitimistes accusés, dans l'enceinte des tribunaux, et enfin les sou

scriptions à la fidélité et pour la fidélité malheureuse

et persécutée.

Examinons dans ce chapitre la conduite de la jeunesse seules et voyons jusqu'où va son intelligence, sa perspicacité et son adresse, pour arriver à son but, i celui de renverser le pouvoir existant. Quant au courage et aux actions, comme ils se sont montrés semblables, soit dans la force de l'âge, soit dans la décrépitude de la vieillesse, nous n'en parlerons que plus tard.

Un des points que les jeunes légitimistes regardent comme le plus important en politique, c'est les fonctions de la mâchoire et de l'estomac. On pourrait peut-être croire que nous voulons ici établir un paradoxe, mais ce n'est nullement notre intention, et d'ailleurs le sujet est trop grave, pour que nous nous permettions à cet égard la moindre plaisanterie.

Nous disons donc que la gastronomie joue un grand rôle dans la cause des jeunes gens comme il faut; et, en effet, que de projets hardis ont été conçus, élaborés, discutés et approuvés dans les réunions culinaires! Desmares, Vefour, le Café de Paris, le Rocher de Cancale, enfin tout ce qu'il y a de distingué chez les professeurs célèbres qui dirigent la Science de la Gueule (1), et qui, en outre, ont des cabinets parti(1) Voyez Montaigne.