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Il n'est pas aussi aisé qu'on se l'imagine de loin, de pénétrer dans les cercles du faubourg Saint-Germain, et d'être agréé par les maisons distinguées de ce noble faubourg. Soyez bien né, pour me servir de l'expression favorite de ce quartier, tant mieux pour vous, mais ce n'est pas assez pour être admis dans les gynécées de ces hautes dames, pour vous confier des cancans ou pour vous croire la complaisance et le talent nécessaire de propager adroitement la calomnie et la médisance qui découlent si facilement de leurs jolies lèvres roses. Malbeur à la noble étrangère de qui une femme du faubourg Saint-Germain dit: Cette dame n'est pas de notre société, car elle a un chapeau de la rue Vivienne!

Cet anathême une fois lancé d'une manière sardonique, c'en est fait de l'avenir de cette pauvre dame,

alors même qu'elle serait fille ou femme du meilleur gentilhomme de France. De tous côtés elle se verra dédaignée; elle restera ainsi une heure dans une bergère, sans qu'on lui adresse la parole; elle passera la nuit entière au bal sans être invitée une seule fois à danser; et, si elle fait bien, elle finira par quitter cette société, où l'on traite en ennemie tout ce qui n'est pas de telle ou telle coterie.

S'il s'agit d'un jeune homme plein de mérite, bien tourné, mais timide, c'est bien pis encore : partout il trouve de la politesse, car l'urbanité est une qualité inhérente et incontestable aux habitants du faubourg Saint-Germain, et c'est peut-être le seul endroit de France où l'ancienne courtoisie chevaleresque se soit conservée intacte, comme aux temps d'Henri IV et de François I.; mais cette urbanité he dure que quelques moments pour le pauvre hobereau de campagne: quand il parle à quelqu'un, tout le monde est poli pour lui; mais à peine a-t-il le dos tourné, qu'on voit se former les petits groupes masculins, et les jeunes gens, en se faisant des signes et se penchant l'un vers l'autre, dire à voix basse dans l'oreille, en pouffant de rire Est-il lourd notre provincial! Dieu a-t-il l'air bourgeois!

Et cependant ce pauvre diable, si rebuté, honni et vilipendé, fait tout son possible pour se présenter convenablement dans la haute société. Dès son arrivée à

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Paris, suivant les conseils d'un fashionable en renom il a fait faire ses souliers chez Moos, ses bottes chez Sakoski, ses habits chez Staub; et il a pris col et gants glacés chez Chardin (1).

Messieurs les rieurs, cet honnête homme a perdu sa mère sur l'échafaud révolutionnaire, son père à Quiberon, et son unique frère au château de la Pénissière? Est-ce ainsi que vous soutenez la noblesse et le courage e?...... Mais non, le jugement est irrévocablement porté sur cet intègre Breton dont l'enveloppe un peu grossière se ressent encore de la province. Certes, on rend justice à ses qualités morales et à sa bravoure personnelle, mais il a l'air bourgeois. C'est impardonnable, c'est intolérable dans les réunions distinguées; de pareils gens sont les lépreux de la bonne compagnie.

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Cette supériorité imaginaire, consacrée par une certaine masse d'habitants au milieu d'une population nombreuse et souvent riche, qui n'admet pas ces opinions exagérées sur le mérite d'un seul quartier, est sans contredit un phénomène qui mérite l'attention d'un observateur; mais que ces folles idées soient descendues des somptueux salons du faubourg Saint-Germain jusque dans l'humble loge des portiers, voilà un fait au moins digne de remarque. Si, par hasard, vous

(') Cordonnier, bottier, tailleur et parfumeur célèbres à Paris.

arrivez inconnu et à pied, ne fût-ce que pour jouir du beau temps, chez madame la comitesse A ou chez madame la marquise de B, presque toujours le suisse, après vous avoir toisé de la tête aux pieds, et arrêtant son regard sur la pointe de vos souliers ou de vos bottes, pour scruter et peser des yeux la quantité de poussière ou de boue qui peuvent s'y trouver, ouvrira aussitôt dédaigneusement la bouche, tirera le cordon et dira: Madame n'y est pas. Certes, des milliers de personnes peu fortunées seraient heureuses si elles pouvaient toujours aller en fiacre; eh bien! même quand leur voiture est cassée, la plupart des belles dames aiment mienx rester chez elles que d'aller en fiacre; elles croieut se déshonorer, car le seul mot de fiacre les révolte c'est si bourgeois! Si donc, par un mauvais temps, vous avez le malheur de vous servir de ces chars numérotés, que d'avanies n'avez-vous pas à craindre dans les hôtels où vous êtes inconnu! Bien des fois on vous refuse l'entrée, vous êtes obligé de descendre dans la rue, et vous arrivez mouillé et confus chez la maîtresse de maison! Si, au contraire, le portier, par ordre exprès de son maître, vous laisse entrer dans la cour de l'hôtel, vous voyez la figure de ce concierge se rembrunir comme le temps, ses sourcils se froncer, sa bouche se contracter, et souvent, après avoir atteint les premières marches de l'escalier, vous entendez les énergiques jurements du con

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cierge qui, humilié de la démarche qu'il vient de faire, accable l'innocent cocher, parce que celui-ci n'a pu remonter sur son siége, tourner et sortir avec la même promptitude que les éclairs qui sillonnent en ce moment le ciel en courroux.

Plusieurs auteurs, entre autres M. Mazères dans sa comédie des Trois Quartiers, sont tombés dans l'erreur quand ils ont dit qu'il était indifférent aux femmes du faubourg Saint-Germain de se mésallier, et qu'elles se prenaient de passion aussi bien pour un roturier que pour un gentilhomme. Après la révolution de 1830, =quelques écrivains cyniques portèrent même le mensonge et la mauvaise foi jusqu'à transformer toutes les dames du faubourg Saint-Germain en Phrynés déhontées, dont les amours scandaleuses avaient pour objet leurs cochers et leurs laquais : rien n'est moins vrai, rien n'est plus infâme que ces calomnies atroces. Ce qui a pu tromper les premiers (car nous ne ferons pas aux derniers l'honneur de relever la fausseté insigne de leurs turpitudes), c'est que les femmes élégantes du faubourg Saint-Germain reçoivent tous les étrangers riches avec les mêmes égards que les gentils-hommes français; soyez un dandy anglais, soyez Russe, Allemand ou Chinois, vous flatterez autant l'amourpropre de ces dames, que si vos hommages sortaient de la bouche d'un Noailles, d'un Biron, d'un Richelieu ou de tout autre nom historique. A quelques excep

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