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furent pas convoquées, afin d'élire de nouveaux députés; on ordonna seulement que les députés qui, en 1712, s'étaient réunis à Madrid pour donner leur approbation à la renonciation exigée par le traité de paix d'Utrecht, et qui étaient encore à Madrid, demandassent à leurs commettants respectifs de nouveaux pouvoirs, sans que ni la nation ni les villes eussent été instruites du projet du roi, de modifier la loi de succession au trône. Ces Cortès n'étaient même pas en nombre; on ne put réunir à Madrid que les députés de vingt-sept villes; il manquait donc près du tiers du nombre voulu (1). On leur soumit l'auto acordado, non comme une proposition royale, non comme un projet de loi qu'elles devaient discuter, mais comme une loi toute faite, comme un motu proprio, et uniquement pour qu'il fût promulgué.

Cet acte du pouvoir royal était alors sans exemple dans l'histoire d'Espagne; aucun roi n'avait bravé les Cortès au point de leur faire publier des lois sans qu'elles les eussent discutées et approuvées. C'eût été même quelque chose de moins étrange, si Philippe V

fournit la preuve que jamais Philippe V n'a demandé le consentement du clergé pour l'auto acordado de 1713.

(1) Essai historique sur le droit de succession à la couronne d'Espagne, par le marquis de Miraflores, comte de Villa-Paterna, publié en 1833 à Madrid, en espagnol, puis en français à Paris, en 1839; p. 12.

d'an

avait donné cette loi à la nation comme un acte de sa royale volonté, sans y faire intervenir aucunement les Cortès. Dans son auto acordado, ce prince ordonna encore expressément d'annuler et de mettre à néant tout ce qui y était contraire, lois, statuts, coutumes, édits, ordonnances, etc., et notamment les lois de las siete partidas, —lois qui avaient été établies, dans toutes les formes et selon toutes les règles du droit, sous le règne de ses prédécesseurs, dont il avait recueilli l'héritage en vertu de ces mêmes lois; lois vénérables et justement honorées par leur ancienneté et par leur constante application; -lois, enfin, qui avaient appelé au trône le roi Philippe même, et que, peu nées auparavant, il avait juré de maintenir, en recevant les hommages de la nation. Quels que fussent donc les motifs politiques qui, selon sa manière de voir, réclamaient impérieusement un tel changement, jamais le roi ne put avoir le droit de renverser ces lois qui renfermaient le principe de sa souveraineté personnelle, qu'il avait lui-même fait valoir et que son serment devait rendre inattaquables, ni de les modifier en aucune manière sans avoir obtenu le consentement des Cortés, sans observer les formalités voulues pour modifier une loi fondamentale. Au lieu de suivre la voie légale, Philippe V imita l'exemple de son grand-père, Louis XIV. Son motu proprio et les mots qui le terminent, «< ceci est ma volonté, » devaient, selon lui,

suppléer aux formalités légales et au consentement des Cortès.

Nous nous abstenons de tout jugement sur cette conduite; nous laissons au lecteur à décider si l'on peut appeler mesure légale l'abolition d'une loi fondamentale, existant depuis des siècles, et déclarée inviolable par le serment du roi lors de son avénement, par un seul acte émané de sa volonté. S'il n'en est pas ainsi, il est évident que cette loi n'a pas pu être abolie par Philippe V. Aussi l'acte de ce monarque est-il nul en principe; il ne détruit aucun ancien droit; il n'établit aucun droit nouveau.

Il est vrai que les défenseurs de Don Carlos ont toujours prétendu que l'auto acordado avait été fait avec le consentement des Cortès. Mais quelque attention que nous mettions à en suivre pas à pas l'histoire, nous ne pouvons découvrir nulle part la moindre trace de l'exécution des formalités légales nécessaires. Nous devons donc persister dans notre opinion que l'auto acordado est frappé de nullité, tant qu'on ne pourra pas nous opposer des faits que nous avons vainement cherchés jusqu'ici dans les écrits de ceux qui défendent les prétentions de Don Carlos. Mais ces faits n'ont jamais existé. Nous avons donc très bien pu nous expliquer pourquoi les défenseurs de Don Carlos passent si rapidement sur un point si important, pourquoi ils n'entrent jamais dans aucun détail sur les

faits, et admettent la légalité de l'auto acordado comme une nécessité de leur argumentation.

Mais quittons maintenant ce point. Nous savons avec quel respect nous devons traiter les actes d'un souverain, lors même que nous ne pouvons nous empêcher de douter de leur légalité. Nous éviterons donc de tirer de la nullité dont nous venons de parler les conséquences qu'on pourrait en déduire; car il nous reste encore assez de raisons pour prouver que l'auto acordado ne peut en aucune manière être appliqué au cas actuel. Nous ne pouvons qu'applaudir à ce que firent les Cortès en 1789, lorsque laissant de côté la question de légalité ou de nullité de l'auto acordado, elles se contentèrent de prononcer son abrogation, avec l'approbation du roi.

Il est à peine croyable que cet acte loyal et sage des Cortès en 1789 ait pu servir d'argument pour défendre la validité formelle de l'auto acordado. Comment, dit-on, aurait-on eu besoin d'abolir l'auto acordado, s'il n'avait pas été regardé comme une loi complétement en vigueur? On voulait donc ici déduire, pour ainsi dire, ex post facto, en faveur de la légalité de l'auto acordado, une preuve qu'il était impossible de tirer des faits mêmes. Mais on n'a pas songé, dans cet argument, qu'une loi, qui est nulle en droit, peut cependant exister en fait, et que ce

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fait, il faut le détruire (1). On ne peut donc pas conclure de l'expression « abrogation » (abrogacion), dont se sert le pouvoir législatif en abolissant l'auto acordado que la législation en reconnût la validité; d'autant plus qu'il s'agit d'une nation habituée à voir dans son roi l'image de l'autorité suprême, et qui par conséquent évitait de désigner avec toute l'énergie du mot propre un acte despotique émané d'un des prédé cesseurs du roi régnant. Aussi n'eût-on en 1789 aucune raison pour se servir d'une expression plus juste; aucune occasion ne s'était encore présentée d'appliquer l'auto acordado, ni d'exclure la fille d'un roi en faveur d'un agnat de la ligne collatérale. Au reste, il est certain que le but des Cortès, en abrogeant l'auto acordado, était d'en établir la nullité; la preuve en est que la proposition royale du 23 septembre 1789, que nous donnerons plus bas textuellement, en invitant les Cortès à abroger l'auto acordado et à déclarer valables les anciens droits, indique expressément la nullité et le défaut de formes comme les raisons pour lesquelles on fait cette invitation aux Cortès, afin d'éviter les doutes, la confusion et le mécontentement qui pourraient un jour en résulter.

(1) Il ne faut pas oublier que l'auto acordado avait passé dans la Nueva Recopilacion comme auto acordado, 5, tit. 7, lib. 5; il y avait donc là apparence de validité.

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