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CHAPITRE VII

LE CONCORDAT DE 1801

Je viens de dire que la question de principes n'avait pas été tranchée. En effet, elle ne pouvait l'être, et l'archevêque de Malines a parfaitement exprimé cette difficulté, encore la même aujourd'hui, par ces deux mots spirituels qui s'appliquent aux classes dirigeantes de tous les temps continuons et examinons.

Continuons, disait le Vatican; examinons, commençait à répéter la France philosophique, cette fille des huguenots du seizième siècle, de la Fronde et du Jansénisme du dix-septième; cette sœur aînée de la France industrieuse et productive de 1874.

Continuons, disaient alors Léon X et ses agents. Examinons, répondit du fond d'un cloître une voix inconnue, faible d'abord, mais qui, acquérant progressivement un volume immense, se fit entendre et répéter par toute l'Allemagne et par tout le Nord,

étouffa celles qui tentèrent de la couvrir ou de lui imposer silence, et finit par dicter un code que vingt peuples inscrivirent dans leurs cœurs et dans leurs archives, et qu'ils honorent encore d'hommages séculaires, à la vue de ceux mêmes dont il les a séparés.

Nous continuons, disaient les exacteurs de Rome aux peuples révoltés de leurs rapines; elles vivent sous la protection des lois, sous l'abri tutélaire de la prescription, fille du temps. Vous ne possédez pas vous-mêmes à d'autres titres. Examinons, répondent les spoliés. Si vous avez dû commencer à dépouiller; pour nous, nous sommes bien sûrs d'avoir eu le droit de commencer de posséder. Cela n'a pas besoin d'examen. Chez nous, le temps a marché avec la nature et a sanctionné ses œuvres; chez vous, le temps a marché contre elle et l'a détruite. Le monde compte deux espèces d'archives, celles de la nature et celles des hommes. La justice se trouve toujours dans les premières; souvent l'intérêt l'a bannie des secondes.

Continuons est le mot de l'homme qui possède et qui jouit.

Examinons est le cri de celui par lequel on possède et qui souffre.

Le premier mot est celui de l'égoïsme heureux; le second est celui du mal-être fatigué et réclamant.

Un cercle étroit d'intérêts privés borne la pre

mière; l'univers est à peine assez étendu pour la seconde.

Voilà ce qu'il importe d'examiner. Le langage qu'à l'époque de la réformation l'on opposait à Rome, au fond, est le même que celui qu'à l'époque de la philosophie on a parlé aux continuateurs de tout ce qui était établi. De part et d'autre la demande et la réponse ont été les mêmes. Aussi les deux époques présentent-elles un grand nombre de conformités, quoiqu'avec la différence d'étendue qui se fait remarquer entre les questions sociales dont le monde est l'objet, et des questions religieuses dont quelques points de doctrine et quelques provinces sont le sujet et le terme. A cet égard, la prééminence de l'époque de la philosophie sur celle de la réformation est immense. Il y a entre elles la distance qui se trouve entre l'heure fugitive et le temps, entre un quart de l'Europe et l'univers, entre quelques religionnaires et le genre humain.

La réformation avait appelé l'examen sur les matières religieuses; Descartes l'avait invoqué pour les opérations de l'esprit, car son doute méthodique n'est pas autre chose. La philosophie en fit l'application à toutes les parties de l'ordre social; la philosophie est donc la comparaison des principes de cet ordre avec les institutions existantes.

Par ces deux mots, continuons, examinons, voilà le monde partagé en deux parties; le petit

nombre d'un côté, la presque totalité de l'autre....

« .... Cinq cents ans de disputes théologiques, aggravées par cinq cents ans de vexations inouïes de la part de Rome, avaient préparé l'explosion qui alors se fit contre elle. Les peuples étaient au désespoir : la mine s'était chargée tous les jours. Rome croyait qu'il n'y avait qu'à continuer, un jour elle se trouva citée et contrainte à tout examiner... C'est cette confiance irréfléchie qui perd tout, en tenant ceux qui jouissent bien persuadés qu'il n'y a qu'à continuer. »

Et c'est là le langage d'un prêtre, d'un archevêque, d'un grand chancelier, d'un homme qui a vécu de cette vie fiévreuse de la fin du dix-huitième siècle, en pleine préparation à cette explosion, dont les mêmes imprudences amèneront prochainement un retour identique, malgré les efforts des esprits éclairés que n'entraînent pas l'esprit de parti et l'amour exagéré du continuons.

Au lendemain donc de cette grande crise, qui s'é- . tait terminée par l'humiliation de Louis XIV, il n'y avait pas de raison pour qu'on modifiât une situation avantageuse au fond pour les deux cours. Évidemment l'esprit gaulois restait debout; de temps à autre le caractère gallican et la vieille politique française reprirent le dessus, particulièrement à la fin du règne de Louis XV, avec l'arrivée d'un grand ministre aux affaires de la guerre et de l'intérieur, M. de Choiseul; mais ces efforts, qui abou

tirent au renvoi des Jésuites de 1774, n'étaient en réalité que les préludes du mouvement où tout allait disparaître, sous l'implacable logique des faits. La catastrophe était fatale et tout indiquée pour ceux qui savaient voir. Le conseiller d'État, Salier, a perfaitement rendu cet état aigu, dont les lettres récentes de Marie-Antoinette et de Marie-Thérèse au comte de Mercy-Argenteau viennent de démontrer la véracité poignante :

<< Louis XIV se montrait disposé à tous les sacrifices, mais ceux qui devaient les ressentir se liguaient pour les empêcher. Les réformes ne pouvaient se composer que de détails, et à chaque proposition, on opposait un obstacle ou des clameurs que le gouvernement était trop faible pour faire taire ou pour mépriser. Les favoris pour qui on avait créé des places les regardaient comme un patrimoine, qu'ils prétendaient bien garder, pour les transmettre à leurs descendants, comme autrefois les grands vassaux avaient obtenu l'hérédité des fiefs dans leurs familles. Vouloir les frustrer de cet espoir, c'était, suivant eux, porter atteinte au droit de propriété.

1. Correspondance secrète de Marie-Thérèse et du comte de Mercy Argenteau, par MM. Arneth et Geffroy.

Cette note de Salier est d'autant plus curieuse que la situation qu'elle explique a beaucoup d'analogie avec celle actuelle. C'était en effet au lendemain des victoires prussiennes et du désastreux traité de Paris que s'imposaient ces réformes dont les conservateurs d'alors ne voulaient à aucun prix.

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