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aucune imposition sur les églises sans le consentement des églises mêmes. L'un des arguments invoqués par le chapitre est surtout curieux à signaler. « Comme les papes, disaient les membres du chapitre, pour lever cette dîme, se servent du prétexte de la guerre à faire contre le Turc, le meilleur moyen pour s'opposer audit Turc est d'apaiser la colère de Dieu par une réforme générale de l'Église, in capite et in membris, à cause de l'ambition, de l'avarice et de l'impureté qui règnent non-seulement à Rome, mais dans tout le clergé.

Mais la querelle n'en resta pas là. Du domaine des déclarations, elle passa dans celui du fait. En 1510', les membres de l'Église de France réunis en concile à Tours promulguèrent les huit fameux articles, dont voici les principaux :

1o Est-il permis au pape de faire la guerre aux princes séculiers?

Réponse Le pape ne le peut ni ne le doit.

2o Est-il permis à un prince séculier non-seulement de se défendre et de repousser l'injure qui lui est faite par le pape, mais de s'emparer des terres de Sa Sainteté, à dessein seulement de lui ôter les moyens de nuire et non pas de le retenir? Réponse : Oui.

1. Jules II (Julien de la Rovère), né à Savone, était alors pape (1503-1513).

3o Est-it permis à un prince de se soustraire à l'obéissance vis-à-vis le pape?

Réponse: Oui, non tamen in totum et indistincte, sed pro natione tantum ac defensione jurium suorum temporalium.

Pour les affaires ordinaires on devait s'en tenir aux articles de la pragmatique sanction. La même année, le 16 août 1510, d'accord avec le chapitre de Paris et la Faculté, le roi prescrivait de ne plus se pourvoir en cour de Rome pour quelque affaire que ce fût. Il défendait également à ses sujets de porter ou faire porter en cour de Rome ni or ni argent et d'impétrer aucune grâce expectative et aucunes provisions contre les saints décrets de la pragmatique1. Et cela se passait il y a trois cents

ans!

Augustin Thierry a donc eu raison de s'écrier <«< que l'esprit d'indépendance est empreint dans notre histoire aussi fortement que dans celle d'aucun autre peuple ancien ou moderne. >>

Malheureusement l'instabilité des jugements des hommes est aussi grande que la mobilité de leurs

1. Sous François Ier, ce droit nouveau de se pourvoir contre les décisions de la curie romaine prit un nom. Il s'intitula appel comme d'abus. « Le mot venait de la pratique des procureurs et des avocats, lesquels, suivant l'ordre de se pourvoir au Parlement par appel, donnèrent aussi ce nom aux recours que les ecclésiastiques y avaient. >>

MSS. de Charles Le Tellier, archevêque de Reims. V. 20761 (Bibl. nat.).

actions. La mort de Louis XII suffit pour mettre fin à ces viriles déclarations, ce qui tendrait une fois de plus à prouver l'inutilité et le danger des institutions qui tiennent aux personnes et à leurs passions, au lieu de s'appuyer uniquement sur la raison et les principes qui en découlent.

En effet, l'expédition de François Ier en Italie, la victoire de Marignan, la facile conquête du Milanais, la nécessité de rechercher des alliances contre nature pour se maintenir dans cette province, et par-dessus tout l'influence néfaste du chancelier Duprat, produisirent un revirement complet dans l'attitude du conseil royal. Aussi, un an à peine après l'avènement de François Ier, le toutpuissant ministre et les cardinaux d'Ancône et de Sanctiquarto signaient, au nom du pape Léon X et du roi de France, « d'un mauvais pape et d'un mauvais roi, » a dit Richelieu, le concordat désastreux dont la conséquence première fut l'introduction des clercs réguliers en France (barnabites, jésuites, etc.).

Par ce contrat, le roi abandonnait la faculté de subordonner le pape au Concile et renonçait à la réunion décennale de ce dernier. Par compensation, il se faisait conférer le droit de nommer aux évêchés et aux autres grands bénéfices ecclésiastiques, sauf l'institution canonique qui émanait de Rome. D'autre part, il concédait au pape les an

nates1, à la condition pour ce dernier de renoncer à quelques-unes des perceptions qui mécontentaient le plus les populations. Tel fut le traité qui régla les rapports du roi et du pape, de l'Église de France et de la curie romaine, jusqu'à la révolution, traité d'une gravité considérable, dont nous supportons encore aujourd'hui les déplorables conséquences. On ne saurait, en effet, trop observer que, en substituant le concordat à la pragmatique, Léon X et François Ier firent un acte purement personnel. Incités tous les deux par des mobiles différents, mais, en réalité, égoïstes; conseillés d'ailleurs par des ministres ambitieux, ils ne firent que substituer leur individualité à l'action légale de leurs sujets. L'archevêque de Malines a très-clairement expliqué cette transformation, assez peu connue en France : « Le prince, dit-il 2, se mit à la place des chapitres et des corps religieux auxquels appartenait le droit d'élire. Le pape se mit à la place des métropolitains et de leurs suffragants, auxquels appartenait le droit d'instituer. Ces nouveaux contractants eurent bien soin de frapper ce coup, sans appeler les intéressés. »

1. On appelait annates le droit de percevoir la première année de revenus d'un bénéfice ou de tous les bénéfices d'un diocèse. On donnait aussi ce nom à l'impôt qui était ainsi perçu. Rétabli en 1516, ce droit fut supprimé par les lois des 11 août et 21 septembre 1789.

2. L'abbé de Pradt, Les quatre concordats (1818).

Or, ajoute M. de Pradt:

<< Les concordats doivent pourvoir aux besoins de l'Église et de l'État, ils ne doivent pas compromettre la sûreté de l'État, ni faire que, par la confusion la plus déplorable et contre tout droit et raison, le spirituel puisse être appelé à venger le temporel, pas plus que le temporel à diriger ou bien à contraindre le spirituel.

<< Le concordat de 1510 ne fut pas religieux, car il était de matière bénéficiale et non de religion proprement dite.

<< Il n'était pas utile pour l'État, car il était antinational et repoussé par la nation, par l'église de France, par les universités et par les parlements. Objet de la réprobation générale, il a introduit un pouvoir étranger au sein de l'État.

<< A-t-il maintenu l'égalité entre le pape et les rois de France? Aucunement, car il a donné aux papes un avantage immense sur les rois.....

« Quant aux défauts qui se firent remarquer dans le concordat, et par suite dans ceux qui lui ont succédé, ils provenaient de deux causes, l'une éloignée, l'autre prochaine.

« La cause ancienne consistait dans l'habitude contractée de mêler le spirituel avec le temporel. L'Église, l'État, les papes, le clergé, la puissance séculière n'ont pas cessé de se confondre ensemble. Aucun ordre, aucune règle, aucune délimitation

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